La lettre de Trump aux Palestiniens : « C’est ce que vous allez jeter »
En théorie, le plan de "Paix pour la Prospérité" avantage largement les Palestiniens ; en pratique, l'Autorité palestinienne l'a déjà rejeté ; que va faire l'administration Trump ?

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Jared Kushner a tenu parole. Dans une interview accordée le mois dernier, il a exprimé sa méfiance vis-à-vis de l’expression « deux États » pour décrire la résolution attendue du conflit israélo-palestinien. « Si vous dites ‘deux États’ aux Israéliens cela signifie une chose, et si vous dites ‘deux États’ aux Palestiniens cela veut dire autre chose, a-t-il expliqué. Alors nous avons dit, ‘n’utilisons pas cette expression’. Contentons-nous de travailler sur ce que cela signifie précisément ».
Et, de fait, le plan économique de « Paix pour la Prospérité » de 40 pages, dévoilé samedi par la Maison Blanche à l’approche d’un sommet économique focalisé sur les Palestiniens cette semaine au Bahreïn, foisonne de propositions pour libérer le potentiel des Palestiniens. Le plan est accompagné d’un document « de programmes et de projets » de 96 pages qui détaille une refonte économique régionale à hauteur de 50 milliards de dollars jusqu’au moindre dollar alloué dans tous les sujets possibles, en partant des programmes de formations jusqu’aux réfections de routes.
Mais il ne fait aucune mention d’une solution à deux États. Il ne parle pas d’État palestinien.
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Tout cela n’aura probablement pas surpris les dirigeants de l’Autorité palestinienne qui ont décrété en décembre 2017, quand le président américain Donald Trump a reconnu Jérusalem comme la capitale d’Israël, qu’il s’agissait d’une administration si biaisée vis-à-vis des Palestiniens et tellement en faveur d’Israël, que la seule possibilité d’action était tout simplement de la boycotter. Trump avait déjà provoqué la colère de Ramallah en nommant un ambassadeur en Israël qui soutient fortement le projet d’implantation et en devenant le premier président américain en fonction à visiter le mur Occidental en présence d’officiels israéliens. Il a ensuite davantage agacé l’Autorité palestinienne et son président, Mahmoud Abbas, en fermant la mission diplomatique de l’OLP à Washington et en expulsant son représentant. Il a aussi coupé les aides américaines, tout particulièrement celles versées à l’agence d’aide aux réfugiés palestiniens des Nations unies, puisque l’administration considérait que cette institution entretenait et aggravait, plutôt que contribuait à régler, le problème des réfugiés palestiniens.
Dès que les Etats-Unis et le Bahreïn ont annoncé l’organisation de l’atelier de travail de cette semaine, l’Autorité palestinienne a fait savoir qu’elle n’y participerait pas et a appelé ses alliés arabes à ne pas s’y rendre. Dans la même logique, dès que Kushner et son équipe ont publié leur plan samedi, les Palestiniens l’ont rejeté, le critiquant en disant qu’il tentait d’acheter leurs aspirations à un Etat.
Examiné hors contexte, le programme de « Paix pour la Prospérité » est, en théorie, très largement positif pour les Palestiniens, promouvant une fin de la victimisation et la voie vers l’émancipation. Il pose un cadre de travail pour une amélioration révolutionnaire de la vie quotidienne des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, y compris grâce à des investissements pour relier physiquement la Cisjordanie à Gaza. En réalité, cela suggère la reconnaissance d’une nation palestinienne. Le chapitre deux du document principal est intitulé : « Émanciper le peuple palestinien : la plus grande ressource de chaque nation est son peuple ». Et s’il ne soutient pas un État palestinien indépendant, le plan ne s’y oppose pas non plus. Ses auteurs ont clairement exprimé qu’une résolution politique mutuellement acceptable du conflit israélo-palestinien était un pré-requis à ces réformes et projets économiques.
Bien sûr, la « Paix pour la Prospérité » n’existe pas hors contexte. Le plan est publié après 29 mois d’administration Trump, à un moment où le Premier ministre Benjamin Netanyahu ne pourrait pas être plus satisfait de sa relation avec l’administration, et à un moment où les Palestiniens ne pourraient pas en être plus insatisfaits. On peut donc raisonnablement interpréter le programme de « Paix pour la Prospérité », tout d’abord, comme une lettre de Trump « c’est ce que vous êtes en train de jeter » adressée à Abbas : vous pouvez travailler avec nous, et avec d’autres acteurs bien intentionnés, dit l’administration, et aboutir à ce que le paragraphe d’ouverture du plan évoque, à savoir « le projet historique [du peuple palestinien] pour construire un avenir meilleur pour ses enfants ». Ce à quoi Abbas, l’homme qui a choisi de ne pas accepter l’offre inégalable de création d’un État palestinien faite par le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, en 2008, a déjà répondu par un retentissant et prévisible : allez au diable.
La question devient donc : que peut faire l’administration maintenant ?
Armés de cette vision d’un avenir palestinien meilleur et assistés par certains de ses alliés régionaux les plus puissants, les États-Unis vont-ils chercher à court-circuiter une Autorité palestinienne synonyme de rejet et encourager le développement d’une alternative politique palestinienne ? A ce stade, cette voie semble très improbable. De fait, les Palestiniens crédibles, prêts et capables de défier l’Autorité palestinienne ne sont pas légion.
L’administration a-t-elle une stratégie de secours, donc – un chemin pour aller de l’avant qu’elle a sagement développé en sachant qu’Abbas se révélerait un partenaire réfractaire ? On voudrait pouvoir dire que la réponse est oui, même s’il est extrêmement difficile d’imaginer à quoi cette voie pourrait ressembler.

A l’inverse, verrons-nous tôt ou tard, le président américain étriller Abbas et faire une annonce spectaculaire en permettant à Netanyahu de procéder à l’exécution de sa promesse d’annexer progressivement des implantations – projet déjà à moitié soutenu par l’ambassadeur David Friedman et par l’envoyé spécial au Moyen-Orient, Jason Greenblatt ?
Si c’était le cas, alors l’administration ne ferait pas qu’éviter l’expression « solution à deux États ». Elle pourrait mettre le cap vers un désastre à un seul État dans lequel Israël et les Palestiniens seraient à la fois en désaccord profond et inextricablement entremêlés, et la nature essentielle juive démocratique d’Israël serait en danger.
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