La lutte pour le pouvoir judiciaire atteint son paroxysme. Qui peut gagner ?
Sans le soutien d'un centre politique sceptique, aucun résultat du vote sur une loi limitant les tribunaux n'offrira à l'un ou l'autre camp la victoire durable qu'il recherche

Les manifestants se comptent une fois de plus par centaines de milliers. La coalition au pouvoir, soumise à une pression intense de la part de son aile droite, est une fois de plus déterminée à faire passer des restrictions législatives sur le système judiciaire.
Dimanche est un jour de décision, un point d’inflexion. Pour la première fois depuis que le gouvernement a présenté sa vaste réforme judiciaire en janvier et l’a décrite comme sa politique déterminante, une partie de la réforme est débattue à la Knesset avant qu’elle ne soit effectivement adoptée lundi ou mardi.
Il s’agit d’un test profond pour les deux parties : la détermination de la droite à faire passer quelque chose, n’importe quoi, à partir de ses grandioses déclarations pour montrer à son flanc militant qu’elle peut tenir ses promesses, et la capacité de l’opposition à riposter et à forcer une pause ou un compromis.
L’affrontement entre ces deux forces se profile à l’horizon. L’impasse de dimanche ne porte pas vraiment sur les détails des changements proposés pour l’examen du critère juridique du « caractère raisonnable » dans le contrôle judiciaire.
Peu d’Israéliens, même parmi les opposants et les partisans les plus virulents du projet de loi, parlent du contenu de la loi. Peu d’entre eux, en effet, ont une idée précise de la manière dont le critère du « caractère raisonnable » a été utilisé par les tribunaux, de la façon dont il pourrait être modifié par la nouvelle législation et des raisons pour lesquelles cela pourrait être bénéfique ou néfaste pour le pays.
Le débat sur la notion du « caractère raisonnable » est plus diversifié et plus complexe que ne le laisse supposer l’énergie des activistes dans les rues. Certains spécialistes craignent une réduction considérable de la protection judiciaire des droits, mais d’autres, y compris certains opposants de centre-gauche à l’ensemble des mesures, voient dans la nouvelle loi un petit changement qui n’affaiblira pas les tribunaux de manière significative.
Cette complexité ne signifie pas pour autant que les activistes ont tort de tracer des lignes rouges claires. Tous comprennent que le simple fait qu’il s’agisse de la première étape dans la refonte judiciaire fait de ce vote un point de basculement dans l’histoire d’Israël.
Pour l’opposition, le projet de loi sur le « caractère raisonnable » est le premier pas du gouvernement dans un virage illibéral beaucoup plus important dans toutes les institutions de l’État, et doit donc être combattu indépendamment de son contenu. On ne peut pas faire confiance à une coalition qui, il y a six mois à peine, proposait un ensemble de changements dont même certains de leurs principaux architectes finiraient par reconnaître qu’ils constituaient une restriction de la démocratie, pour se limiter aux éléments fragmentaires qu’elle cherche aujourd’hui à mettre en avant. Les militants de l’opposition ne savent peut-être pas grand-chose de l’histoire et des abus passés de l’examen du « caractère raisonnable », mais ils connaissent tous les tentatives du ministre d’extrême-droite de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, le ministre en charge de la police, de faire passer une législation lui donnant le pouvoir d’arrêter des citoyens israéliens sans mandat. Le projet de loi sur le « caractère raisonnable » leur semble relever du même principe de démolition, mais au ralenti.

Pour les partisans de la coalition, le projet de loi actuel est un si petit fragment du paquet de réformes initial prévu qu’il démontre non pas l’illibéralisme de la droite mais sa capacité et sa volonté de compromis, tandis que la campagne frénétique de l’opposition contre un si petit changement prouve l’incapacité du centre-gauche (et de certaines parties du centre-droit) à faire la même chose.
En d’autres termes, le véritable débat ne porte pas sur le contenu du projet de loi. Il s’agit de la confiance – ou de l’absence de confiance.
L’opposition, qui fait maintenant face à un gouvernement de droite radicale dépendant des représentants les plus extrêmes de la politique israélienne, ne peut pas invoquer la confiance dans l’autre camp – ni la croyance fondamentale que tout accord sera respecté pendant un certain temps – qui est une condition préalable à un large compromis. La droite est tellement convaincue qu’elle est assaillie de toutes parts, même après quarante ans au pouvoir de façon presque ininterrompue, par une oligarchie de gauche qui l’entrave à chaque instant, qu’elle est psychologiquement mal équipée pour le type de confiance inter-partisane nécessaire pour sortir de l’impasse. Chaque pas vers un compromis est ressenti comme une capitulation et un échec.
En résumé, le système est bloqué. La coalition ne peut pas s’arrêter, même si le Premier ministre Benjamin Netanyahu signale occasionnellement à l’étranger qu’il essaie de le faire, et le centre-gauche ne peut pas considérer l’affaiblissement du système judiciaire comme moins que catastrophique, compte tenu d’un gouvernement qui envoie constamment autant de signaux illibéraux. En d’autres termes, les dégâts ne cesseront de croître à mesure que le pays s’enlisera, impuissant, et au ralenti.
Et ce n’est pas le pire. La plus grande ironie de tout ce gâchis est peut-être qu’aucune victoire n’est vraiment possible. Aucun des deux camps – celui qui impose une réforme impopulaire au pays et celui qui s’oppose à toute refonte – ne peut réussir, même s’ils parviennent à remporter quelques victoires législatives ou à gagner une ou deux élections sur la base des ressentiments générés par la lutte.

Impopulaire
L’un des meilleurs sondages clarifiant ce point provient de l’Institut israélien de la démocratie (IDI), un groupe de réflexion de Jérusalem qui penche à gauche et s’oppose à la refonte, mais dont les résultats sur ces questions sont proches de ceux des sondages de droite.
Son sondage de juin sur l’indice de la voix israélienne posait une question simple : Faut-il arrêter complètement la réforme, la poursuivre « telle quelle » sans tenir compte des craintes de l’opposition, ou ne la poursuivre qu’avec un « large accord » des deux parties ?
Dans chaque camp, une faible majorité (51 % des électeurs de la coalition, 56 % de ceux de l’opposition) souhaite obtenir ce qu’elle veut sans tenir compte de l’autre camp. Dans le grand public, aucune de ces positions radicales n’approche d’une majorité.
Selon le sondage, 36 % des citoyens souhaitent que le processus législatif de la réforme du système judiciaire soit complètement arrêté, 25 % veulent qu’elle soit adoptée « en l’état » et 29 % demandent un « large accord ».
La question elle-même, et les réponses qu’elle suscite, montrent à quel point il s’agit d’une lutte pour la confiance, et non pour les détails d’un changement particulier. La réforme elle-même évolue sans cesse, mais pas les opinions à son sujet. Le tiers environ du pays qui souhaite son arrêt ne fait pas confiance au gouvernement pour agir en faveur du bien-être du pays ; le quart qui insiste sur la réforme « telle qu’elle est » a tenu bon, même si le contenu de la législation a changé. Ils expriment leur confiance dans le gouvernement, pas dans la législation. Et les 29 % du centre semblent calculer que tout changement que la droite et le centre-gauche peuvent accepter est probablement un changement sûr, tandis que tout changement qu’un côté ne peut pas accepter est plus susceptible d’être mauvais.

Le plus intéressant est peut-être la nature bipartisane de ce juste milieu, qui se compose de 29 % des électeurs de la coalition et de 34 % de ceux de l’opposition.
Un autre signe de la taille et de l’importance de ce centre politique est l’aversion du public pour les activités de « perturbation » des militants de l’opposition.
Un sondage réalisé par la Douzième chaîne au début du mois a demandé aux Israéliens s’ils étaient favorables à l’annulation de la clause du « caractère raisonnable » pour les décisions gouvernementales et ministérielles, comme le propose le projet de loi du gouvernement. Le sondage a révélé que 32 % des personnes interrogées étaient favorables à cette idée, tandis que 42 % s’y opposaient. Il a ensuite été demandé aux personnes interrogées si elles étaient favorables au blocage des routes dans le cadre des manifestations qui se poursuivent contre la législation du gouvernement. Les 42 % de l’opposition (contre la loi sur le « caractère raisonnable ») sont tombés à 27 % (en faveur des barrages routiers), tandis que 68 % des Israéliens – soit l’ensemble des électeurs de la coalition et entre un tiers et la moitié des électeurs de l’opposition – s’opposent au blocage des routes.
Le pouvoir d’adhésion à tout changement dépend de ce vaste terrain d’entente. Si ce dernier ne soutient pas un changement, le prochain gouvernement pourra facilement le modifier.
En effet, le chef du parti HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz, en tête des partis d’opposition dans les sondages de ces derniers mois, a promis d’annuler tout ce qui est maintenant adopté unilatéralement, déclarant dans un communiqué le 26 juin (et répétant la promesse à plusieurs reprises depuis) : « Dans tout gouvernement que je mettrai en place ou dont je ferai partie, je veillerai à annuler toutes les lois de changement de régime avant la formation du nouveau gouvernement. »
Même si la droite gagne, elle perd. Elle aura adopté une réforme qui a peu de chances de survivre au premier changement de gouvernement, tout en perdant le soutien du centre, sans lequel elle ne peut pas faire passer la refonte.

Et même si les manifestants de l’opposition gagnent, ils perdent. Ils auront obtenu un nouveau délai, mais seulement un délai, tout en renforçant le sentiment de frustration de la droite et en ne montrant pas au centre une volonté de compromis.
Il ne s’agit pas ici de critiquer. Si la démocratie elle-même est en jeu, comment peut-on faire des compromis ? Et inversement, si l’autre partie ne peut pas faire de compromis, même sur ce qui semble être la plus petite parcelle d’une réforme bien plus vaste, quel est l’intérêt des négociations ? Il s’agit là de craintes et de frustrations authentiquement ressenties, de la substance émotionnelle qui sous-tend le conflit.
Pourtant, aussi désagréable que cela puisse paraître aux militants craintifs, il n’en reste pas moins un simple fait stratégique qui ressort de presque tous les sondages réalisés sur le sujet au cours des derniers mois : aucune victoire réelle ou durable n’est possible sans gagner le centre politique, un centre qui attend toujours des signaux de confiance et de modération que les militants d’aucun camp ne semblent en mesure d’offrir.
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