La Méditerranée orientale, riche en gaz et en tensions
La découverte d'immenses réserves de gaz naturel en Méditerranée orientale aiguise l'appétit des pays riverains sur fond de tensions géopolitiques entre la Turquie et ses voisins
Ces dernières se sont accrues ces derniers mois après des opérations d’exploration et de forage turques dans les eaux revendiquées par Chypre et la Grèce. Le point sur ces réserves d’ « or bleu ».
Les gisements chypriotes
Chypre, qui rêve de devenir un acteur énergétique majeur, dispose d’une zone économique exclusive (ZEE) importante découpée en 12 blocs potentiellement riches en gaz.
Le pays a signé en novembre dernier sa première licence d’exploitation avec trois poids lourds de l’Energie, Noble Energy, Shell et Delek, qui porte sur 25 ans et concerne le champ gazier Aphrodite, situé dans le bloc 12 et premier découvert au sud de l’île en 2011.
Les réserves d’Aphrodite sont estimées à 127,4 milliards de mètres cubes (m3) de gaz. En échange, Nicosie devrait engranger des recettes estimées à 9,3 milliards de dollars sur 18 ans, selon les calculs du ministère de l’Energie.
L’italien ENI et le français Total mènent des activités d’exploration d’hydrocarbures plus à l’ouest, notamment dans le bloc 6, appelé Calypso, qui pourrait contenir entre 170 et 225 milliards de m3 de gaz.
Dans le bloc 10, plus au sud, l’américain ExxonMobil et Qatar Petroleum ont annoncé début 2019 la découverte du champ Glaucus-1, qui pourrait abriter 130 milliards de m3 de gaz.
Les autres champs
La Méditerranée orientale « a été un paradis pour les explorateurs au cours de la dernière décennie, avec des découvertes de gaz géantes et peu coûteuses », expliquent Aditya Saraswat et Pranav Joshi, analystes de Rystad Energy.
En Israël, la compagnie locale Delek a commencé en janvier 2020 l’exploitation du gisement de Leviathan situé à 130 km des côtes de Haïfa. Découvert dix ans plus tôt, il renfermerait 539 milliards de m3 de gaz naturel.
Le gisement de Tamar, plus proche – 80 km au large de Haïfa – est exploité depuis 2013 et ses réserves sont estimées à 238 milliards de m3. Le pays compte également d’autres champs de tailles plus modestes, parmi lesquels Tanin et Karish.
Le voisin égyptien possède lui aussi un gigantesque champ offshore : Zohr, découvert en août 2015 par ENI, qui pourrait abriter 850 milliards de m3.
Le gazoduc
Pour acheminer ce gaz vers le reste de l’Europe, lui permettant au passage de diminuer sa dépendance vis-à-vis de la Russie, les dirigeants de Chypre, Grèce et Israël ont conclu en décembre 2018 un accord pour construire un gazoduc, baptisé East Med.
Ce pipeline long de 2 200 km, doit passer à 170 km au sud de Chypre et s’achever à Otranto, dans le sud de l’Italie, en traversant la Grèce et la Crète. Le coût de sa construction est estimé à 7 milliards de dollars et il devrait acheminer 20 milliards de m3 de gaz naturel par an.
Le développement du projet ne devrait toutefois pas commencer avant plusieurs années, et le gazoduc ne serait opérationnel qu’en 2025.
Les tensions
La Grèce accuse la Turquie de violer le droit maritime international en prospectant dans ses eaux quand Ankara soutient qu’elle a le droit de mener des recherches énergétiques, arguant que la présence de la petite île grecque de Kastellorizo près de ses côtes ne suffit pas à imposer la souveraineté d’Athènes à ses alentours.
Le navire d’exploration gazière turc qui croisait en août dans la zone, retiré peu avant un sommet européen début octobre, a été renvoyé avec la même mission le 12 octobre.
La Turquie entretient aussi une relation conflictuelle avec son voisin chypriote, dont elle a envahi la partie nord en 1974 en réaction à un coup d’Etat de Chypriotes-grecs souhaitant unifier l’île à la Grèce. Les discussions formelles sur une réunification sont au point mort depuis 2017.
Les relations d’Israël avec ses voisins ajoutent aux tensions dans la région, à l’image du contentieux avec le Liban au sujet d’une zone offshore disputée.
Si l’Etat hébreu exporte vers l’Egypte du gaz naturel issu des gisements de Leviathan et Tamar depuis janvier, la Jordanie a voté dans le même temps une motion visant à interdire l’importation de gaz d’Israël, en dépit d’un accord signé en 2016.