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La première victime juive en Éthiopie voulait faire son alyah depuis 24 ans

Girmew Gete, 36 ans, abattu dans la région entre Amhara et le Tigré, laisse derrière lui sa compagne et sa fille de 4 ans ; sa grand-mère, 84 ans, vit seule à Kyriat Gat

Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

Une photo non datée de Germew Gete en uniforme de l'armée. (Autorisation de Markachew Woldie)
Une photo non datée de Germew Gete en uniforme de l'armée. (Autorisation de Markachew Woldie)

L’escalade de la bataille entre le gouvernement éthiopien et les dirigeants de la province du Tigré, dans le nord du pays, a fait sa première victime au sein de la communauté juive de Gondar : Girmew Gete, 36 ans.

Gete, qui attendait avec sa famille pour immigrer en Israël depuis 24 ans, laisse derrière lui sa compagne et leur fille de 4 ans.

Il s’était engagé dans l’armée régionale d’Amhara pour gagner de l’argent pour sa mère et ses frères et sœurs démunis, qui ont quitté leur village pour se rapprocher du centre communautaire juif de Gondar City avec le rêve d’immigrer en Israël et de retrouver la grand-mère de Gete, âgée de 84 ans.

Gete avait pris congé de l’armée, était retourné dans sa famille à Gondar, puis était parti dans la zone frontalière entre le Tigré et Amhara (Gondar fait partie de cette dernière) pour effectuer des travaux agricoles saisonniers.

Alors qu’il travaillait sur son tracteur, l’armée l’a également chargé de s’occuper d’une petite quantité d’armes.

Un homme tient un drapeau national alors qu’il attend dans les tribunes pour donner son sang lors d’une collecte de sang en soutien aux militaires du pays, dans un stade de la capitale Addis-Abeba, en Ethiopie, le 12 novembre 2020. (AP Photo/Mulugeta Ayene)

Selon son cousin Markachew Woldie, 27 ans, qui s’est adressé au Times of Israel depuis son collège près de la ville méridionale d’Ashdod, Gete a reçu l’ordre de rejoindre d’autres personnes du district pour aider à défendre la zone frontalière contre les incursions tigréennes.

« Les Tigréens sont entrés dans la zone où il travaillait », a déclaré Woldie. « Ils ont tiré sur un grand nombre de soldats et de civils, dont lui. Il est mort jeudi matin. »

Bien que ses racines soient profondes, la confrontation actuelle, qui dure depuis près de deux semaines, s’inscrit dans une lutte de pouvoir qui remonte à l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed il y a deux ans.

Sur cette photo prise le 1er août 2019, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed donne une conférence de presse au bureau du Premier ministre dans la capitale, Addis-Abeba. (MICHAEL TEWELDE / AFP)

Abiy a mis fin à l’état d’urgence dans le pays, a libéré des prisonniers politiques et a fait la paix avec l’Érythrée voisine, ce qui lui a valu un prix Nobel. Dans un autre geste en faveur de la démocratie, il a également dissous le parti qui avait dirigé le pays pendant près de 30 ans – un parti qui avait été dominé par le Front populaire de libération du Tigré, même si le Tigré ne représente que 6 % de la population éthiopienne.

Le FLPT a refusé d’adhérer au Parti de la prospérité d’Ahmed et a organisé en septembre ses propres élections parlementaires, que le gouvernement national a jugées illégales.

Le 4 novembre, les forces de sécurité du Tigré ont attaqué le quartier général du commandement nord de la Force de défense nationale éthiopienne au Tigré, ce qui a incité Addis-Abeba à ordonner des frappes aériennes de représailles.

Des milliers d’Éthiopiens ont fui au Soudan et des centaines auraient été tués dans les combats.

Des réfugiés de la région du Tigré en Éthiopie attendent de s’inscrire au centre de la Commission des droits de l’homme des Nations unies à Hamdayet, au Soudan, le 14 novembre 2020. (AP Photo/Marwan Ali)

Le conflit pourrait-il s’étendre à Amhara, où vivent la plupart des Juifs ?

La zone frontalière entre Amhara et le Tigré est depuis longtemps contestée par les deux États régionaux et l’on craint que les combats qui s’y déroulent n’entraînent Amhara dans la violence.

Vendredi soir, le FLPT a lancé des roquettes dans deux aéroports d’Amhara, dont l’un dessert Gondar City, où sont basés les trois quarts des Éthiopiens qui attendent de venir en Israël.

Markachew Woldie. (Autorisation)

« La situation dans le camp de Gondar est vraiment grave », a déclaré M. Woldie. « J’ai parlé à mon frère là-bas hier. La roquette qui est tombée sur l’aéroport a créé beaucoup de stress et les gens ont peur que quelque chose les frappe aussi. Les Tigréens se battent avec acharnement et ils ont menacé de tirer d’autres roquettes sur Gondar. Beaucoup de jeunes Ethiopiens sont tués et certains craignent que le gouvernement éthiopien ordonne un appel militaire général, qui pourrait inclure certains des jeunes hommes qui attendent de faire l’alyah [immigrer en Israël] ».

« C’est très effrayant pour moi de voir de loin ce qui arrive à ma famille », a déclaré Woldie. « Je suis tout déchiré à l’intérieur. »

Malgré les assurances du Premier ministre éthiopien selon lesquelles le conflit serait bientôt terminé, les attaques se poursuivent.

Samedi, le Tigré a tiré trois roquettes sur l’Erythrée.

Le ministère de l’Intérieur a changé d’avis quelques jours avant l’immigration

Les mères de feu Girmew Gete et de Markachew Woldie sont sœurs. Les sœurs font partie des neuf enfants (dont un est décédé) nés de leur mère, Ereebebu Shibesh. Ereebebu a été autorisée à immigrer en Israël il y a un peu moins de 18 ans dans le cadre de la loi du retour, qui accorde automatiquement la citoyenneté aux Juifs et à leur descendants.

Une photo non datée d’Ereebebu Shibesh, grand-mère de Markachew Woldie et de feu Germew Gete. (Autorisation)

Aujourd’hui âgée de 84 ans, elle vit depuis lors dans un centre d’intégration dans la ville de Kyriat Gat, au sud du pays. Lors des fêtes, elle est rejointe par des parents venus en Israël en 1984 dans le cadre de l’opération Moïse. Sinon, avec Woldie, sa seule famille proche qui est toujours à Gondar, elle est totalement seule.

« La vie de grand-mère est une vie de souffrance constante », a déclaré Woldie, ajoutant que la mort de Gete l’a bouleversée. « Il était son berger quand il était petit. Elle l’a aidé à l’élever et après que tous ses enfants se sont mariés et ont déménagé, il a vécu avec elle. J’ai attendu cinq jours pour lui annoncer la nouvelle. »

Woldie, qui a passé la plupart de sa jeunesse dans et autour du centre communautaire juif de Gondar, a déclaré que six familles – dont celle de Gete et la sienne – ont obtenu la permission d’immigrer en Israël en 2014 grâce à la Loi du retour.

Des membres de la communauté juive éthiopienne, les Falash Mura, assistent à un office religieux avant de participer au repas du Seder de Pessah, dans la synagogue de Gondar, en Ethiopie, le 22 avril 2016 (Crédit : Miriam Alster/Flash90)

« Nous devions venir le 17 décembre 2014 », a-t-il rappelé. « Nous avions tout vendu, nous avions été vaccinés et il nous restait une semaine avant de nous rendre en bus à Addis-Abeba pour prendre l’avion pour Israël. Puis ils [le ministère de l’Intérieur] ont changé d’avis et ont dit que nous ne pouvions pas bénéficier de la Loi du retour. Depuis lors, tout a été gelé. Mais nous n’aurons pas de repos tant que les torts causés à notre famille n’auront pas été réparés et nous pourrions tous être avec grand-mère, qui est déjà très âgée ».

Après avoir transporté par avion les Juifs éthiopiens Beta Israel dans les années 1990, les gouvernements successifs ont été divisés sur le statut des « restes de la communauté juive éthiopienne », péjorativement connus sous le nom de Falash Mura, qui se sont convertis au christianisme.

Et ce, malgré les décisions des rabbins de haut rang selon lesquelles les Juifs contraints de se convertir au christianisme étaient incontestablement des Juifs à tous égards.

L’indécision du gouvernement a déchiré des familles, certaines en Israël et d’autres attendant sans fin en Éthiopie.

Nouveaux immigrants éthiopiens embarquant dans un avion en route d’Addis-Abeba vers Israël pendant l’opération Salomon, 1991. (Natan Alpert/GPO)

Cela fait 5 ans qu’Israël a promis de ramener tous ceux qui restent

Lundi, les Éthiopiens-Israéliens ont célébré la fête annuelle de Sigd au cours de laquelle la communauté renouvelle son alliance avec Dieu et la Torah.

La veille, cela faisait cinq ans que le gouvernement avait pris la résolution 716 (en hébreu) de faire venir en Terre Sainte tous ceux qui attendaient encore de venir – sous réserve de divers critères – dans un délai de cinq ans.

Depuis lors, seuls 2 257 Éthiopiens ont été transportés par avion vers l’État juif, au compte-gouttes, selon les chiffres de l’Agence juive.

Quelque 8 000 à 9 000 personnes sont encore en Éthiopie, à Gondar et à Addis-Abeba.

Le Dr Morris Hartstein, un expert israélien d’origine américaine en chirurgie ophtalmique, plastique et reconstructive qui était bénévole au camp de Gondar jusqu’à l’apparition du coronavirus, se tient aux côtés d’un enfant de neuf ans en bonne santé (à gauche) et d’un enfant mal nourri du même âge à Gondar. (Autorisation de Morris Hartstein)

La pauvreté et la malnutrition ont augmenté depuis le début de la pandémie de coronavirus, et les combats ne font qu’ajouter à la pression.

Tomber entre les mailles du filet

En septembre, le gouvernement a annoncé sa décision de faire venir 2 000 Éthiopiens en Israël avant la fin janvier, disant que c’était ce que les budgets permettaient.

Mais pour Woldie et sa famille, cela n’a pas redonné espoir. Ils sont tombés entre les mailles du filet. Pour le ministère de l’Intérieur, ils ne répondent ni aux critères de la Loi du retour, ni à ceux des décisions gouvernementales plus récentes. La famille insiste sur le fait que le ministère a fait une erreur bureaucratique et qu’il remplit les conditions requises pour la première.

Fatigué de devoir soumettre sans cesse des demandes d’immigration et persuadé par un parrain de venir en Israël, Woldie a réalisé son rêve en prenant un avion pour Tel Aviv il y a un an.

« Ils [le ministère de l’Intérieur] ont annulé mon visa – bien que cela ne soit pas arrivé à temps à l’ambassade d’Israël à Addis-Abeba pour qu’ils m’empêchent de monter dans l’avion », a-t-il dit, s’exprimant dans un hébreu courant. « Quand je suis arrivé à Tel Aviv, ils m’ont arrêté et m’ont fait attendre pendant 18 heures jusqu’à ce qu’un avocat me fasse libérer. Ils ont essayé de m’expulser trois fois et l’avocat a fait annuler l’ordre trois fois. Heureusement, mon parrain et beaucoup d’autres ont pris en charge les frais de justice ».

Une fois que les autorités ont accepté de le laisser étudier en Israël, Woldie s’est inscrit à un cours universitaire pour devenir entraîneur professionnel de fitness.

Mais il ne se fait pas d’illusions.

« Une fois que j’aurai fini mes études, » dit-il, « ils sont censés me renvoyer. Mais j’espère qu’en attendant, l’Autorité de la population et de l’immigration reconnaîtra notre droit à immigrer ».

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