La responsable UE de la lutte contre l’antisémitisme défend la shehitah et la brit-milah
Katharina von Schnurbein est une avocate influente de l'abattage casher et de la circoncision, coutumes jugées controversées en Europe

Quatre ans après son entrée en fonction en tant que coordinatrice de l’Union européenne (UE) dans la lutte contre l’antisémitisme, Katharina von Schnurbein a demandé à son patron d’ajouter les mots « et promotrice de la vie juive » à l’intitulé officiel de son poste.
Ce changement en 2019 reflète l’évolution professionnelle de Mme von Schnurbein, qualifiée par le président du Congrès juif européen, Ariel Muzicant, comme « l’alliée la plus importante et la plus influente du peuple juif » au sein de l’UE.
Depuis lors, elle est allée au-delà de la simple lutte contre la haine et la discrimination à l’égard des Juifs, recourant à des outils tels que l’établissement d’une définition académique de l’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah (International Holocaust Remembrance Alliance – IHRA). Sous la direction de Mme von Schnurbein, son département a ajouté une nouvelle mission plus délicate à ses attributions : défendre les coutumes juives, telles que l’abattage rituel pour respecter la casheroute, face à une surveillance et des limitations toujours plus importantes, y compris de la part de gouvernements d’États membres de l’UE et même d’institutions de l’UE elle-même.
« J’ai compris au cours des trois premières années que la lutte contre l’antisémitisme ne sert qu’un objectif ultime, qui n’est autre que celui de favoriser la vie juive, de veiller à ce que le judaïsme puisse s’épanouir », a confié von Schnurbein au Times of Israel la semaine dernière à Jérusalem, où elle participait à des discussions avec ses homologues israéliens et au rassemblement annuel du Global Forum de l’American Jewish Committee. « Nous avons entrepris de nous pencher sur cette question ».
En 2021, le bureau de von Schnurbein a mentionné pour la première fois la shehitah, ou l’abattage casher d’animaux pour la consommation de la viande, comme faisant partie de son champ d’action. Cette mention est apparue dans un document rédigé par son bureau détaillant les stratégies de l’UE pour lutter contre l’antisémitisme et encourager la vie juive. Le même document stratégique de l’UE mentionne également la circoncision rituelle, ou brit milah, notant que 82 % des répondants juifs européens à une enquête de 2018 ont déclaré qu’une interdiction de la circoncision leur poserait un problème dans leur vie.
Le document, qui encourage également les États membres de l’UE à adopter leurs propres plans stratégiques de lutte contre l’antisémitisme, n’a pas impressionné tous les membres de la communauté juive – un grand rabbin a déclaré que le document était formulé en termes vagues et qu’il n’était « pas sérieux ».
Pour von Schnurbein, c’était un mandat pour « comprendre l’impact des interdictions sur les communautés juives et musulmanes concernées », comme elle l’a décrit. Elle a également fait ouvertement pression sur les fonctionnaires pour qu’ils s’opposent aux interdictions.

L’année dernière, Mme Von Schnurbein s’est entretenue avec des responsables finlandais au sujet d’un projet de loi qui proposait de rendre illégal le fait de tuer un animal pour sa viande sans l’avoir étourdi au préalable. Cette loi aurait rendu illégale la production de toute viande casher et halal.
En février, une commission parlementaire qui avait approuvé le projet de loi a supprimé l’interdiction avant que la législation sur le bien-être des animaux ne soit adoptée en mars.
Lors d’une récente réunion avec un fonctionnaire d’un État membre de l’UE qui soutenait une interdiction de l’abattage casher et halal pour des raisons de bien-être animal, von Schnurbein aurait rétorqué : « Qu’en est-il du bien-être humain ? » Cette anecdote a été rapportée au Times of Israel par une personne qui a assisté à la réunion, mais qui n’a pas pu mentionner le pays en question, invoquant la confidentialité des discussions, qui se sont déroulées à huis clos.
Le Congrès juif européen et d’autres groupes juifs s’opposent depuis des années aux tentatives d’interdiction de la shehitah et de la brit milah. Mais la participation de von Schnurbein à cet effort « l’a mis à l’ordre du jour de l’UE », a déclaré Ariel Muzicant, le président du Congrès juif européen.

Les pratiques halal et la shehitah ont été soit explicitement interdites, soit de facto proscrites ces dernières années en Belgique, au Danemark, en Estonie et en Slovénie, entre autres États de l’UE, ainsi qu’aux Pays-Bas et en Pologne, dont les Parlements avaient interdit la pratique avant de revenir sur cette interdiction.
Aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suède, en Norvège, au Danemark et en Islande, la brit milah a également fait l’objet d’un examen minutieux de la part du Parlement, des tribunaux, des associations médicales ou des partis politiques.
La campagne visant à interdire ces coutumes, qui sont dans une certaine mesure communes aux musulmans et aux juifs, est menée par une coalition politique improbable entre, d’une part, les xénophobes de droite et, d’autre part, les laïques et les progressistes qui invoquent les principes du bien-être des animaux et des enfants, qu’ils estiment violés par la shehita, la milah et leurs équivalents musulmans.
Les dirigeants de la communauté juive affirment que ces tendances contribuent au sentiment que les Juifs ne sont pas les bienvenus dans certaines sociétés européennes. Cette perception aggrave les inquiétudes de nombreux Juifs au sujet de l’antisémitisme et jette des doutes sur la viabilité à long terme de la présence juive en Europe. Ces préoccupations – conjuguées à l’idéologie sioniste, aux attaques terroristes antisémites perpétrées par des musulmans et au harcèlement qui est devenu monnaie courante en Europe occidentale au tournant du siècle – ont conduit des dizaines de milliers de Juifs européens, dont 50 000 rien qu’en France, à faire alyah en Israël ces dix dernières années.
Cette situation affecte des communautés où les taux d’assimilation étaient élevés avant même que les personnes fréquentant les synagogues et celles portant des symboles juifs ne se voient menacées de violence.

« Imaginons que nous parvenions un jour à vaincre l’antisémitisme. Qu’aurons-nous accompli si, d’ici là, il n’y a plus de juifs en Europe ? » s’est interrogé Muzicant, lors d’une récente réunion du conseil d’administration de son organisation. L’interdiction des coutumes religieuses juives en Europe « nous fait sentir que nous ne sommes pas les bienvenus », même s’il existe des solutions pour contourner ces interdictions, a déclaré Muzicant.
Mme Von Schnurbein, née en Allemagne et mère de quatre enfants, travaille à l’UE depuis plus de 20 ans. « Garantir la liberté religieuse des juifs est un aspect essentiel pour assurer la viabilité des juifs en Europe », a-t-elle déclaré lors de l’une des conférences auxquelles elle a participé en Israël.
Parlant doucement, avec une disposition et une garde-robe indubitablement optimistes – elle semble préférer les longues robes de mousseline colorées aux vêtements sombres privilégiés par de nombreux autres bureaucrates de l’UE lors d’événements formels – von Schnurbein a dû faire face au scepticisme de certains Juifs européens lorsqu’elle est devenue la personne de référence de l’UE en matière de lutte contre l’antisémitisme, en 2015.
Cette nomination était une promotion pour elle. Elle avait occupé auparavant le poste de conseillère du président de la Commission européenne sur le dialogue avec les églises, les religions, les organisations philosophiques et non confessionnelles, ou laïques.
Elle a été promue au cours d’une période de turbulences pour les Juifs d’Europe, peu après les attaques terroristes djihadistes perpétrées contre les Juifs d’Europe en 2012. Certains l’ont d’abord qualifiée de porte-parole de l’UE ou de poids plume en raison de ses réponses ambiguës aux critiques sur des questions politiques clés, comme les effets de l’immigration musulmane sur l’antisémitisme, les échecs dans la définition de cette haine, les limitations des libertés religieuses et la capacité des groupes terroristes antisémites, comme le Hezbollah, à opérer sur le sol de l’UE. Les difficultés à faire appliquer les lois contre les discours haineux dans les discours sur les réseaux sociaux basés aux États-Unis ont été un autre domaine problématique.
Huit ans plus tard, elle est presque universellement reconnue par les dirigeants de la communauté juive comme une force discrète mais puissante qui promeut et propose des moyens de favoriser la vie juive en Europe.

Elle a résisté à la tentation de tirer parti de son succès pour gravir les échelons hiérarchiques de l’UE. « Ne me demandez pas ce qui vient après », dit-elle quand on aborde le sujet de sa carrière.
Huit ans de lutte contre l’antisémitisme, ce n’est pas si long par rapport aux deux millénaires pendant lesquels de tels services ont été nécessaires, a-t-elle plaisanté. « Certaines personnes se consacrent à un sujet particulier parce que c’est un sujet qui les passionne vraiment. C’est mon cas », a déclaré von Schnurbein, qui a grandi en Bavière dans une famille pro-juive et pro-israélienne.
Défendre les traditions juives séculaires signifie lutter non seulement contre les xénophobes qui les considèrent, tout comme leurs homologues musulmans, comme des importations indésirables, mais aussi contre les personnes qui ont un programme humaniste conforme à certaines des valeurs fondamentales de l’UE.
Cette tension « est probablement liée dans une certaine mesure à la sécularisation » des sociétés européennes, a déclaré Mme von Schnurbein. Cela a donné naissance à une perception répandue selon laquelle la religion est réduite à un système de croyances qui peut être suspendu sur le lieu de travail ou dans un cadre public, ou encore limité aux lieux de culte, a-t-elle fait remarquer.
« Dans la société laïque majoritaire d’Europe occidentale, l’idée que l’on peut laisser sa religion de côté en arrivant au travail est assez répandue », a déclaré Mme von Schnurbein, soulignant que pour de nombreuses personnes croyantes, la religion est présente dans toutes les sphères de la vie. « Il s’agit là d’un grand défi de notre époque : trouver une forme de conciliation et d’accommodement raisonnable pour les personnes qui souhaitent exprimer leur foi dans le respect de leurs traditions », a-t-elle ajouté.
Sous la présidence de von Schnurbein, la quasi-totalité des États membres de l’UE ont adopté la définition de l’antisémitisme établie par l’IHRA, un comité intergouvernemental chargé de la commémoration du génocide. Seules l’Irlande et Malte n’y ont pas adhéré. Cette définition est considérée comme controversée par certains groupes et institutions car elle cite la diabolisation d’Israël comme un exemple de haine des Juifs. Les militants pro-palestiniens s’y opposent car selon eux, elle étouffe les critiques légitimes formulées à l’encontre d’Israël.

La définition de l’IHRA est perçue comme ayant remplacé celle de l’UE, qui a été supprimée en 2013 à la suite de protestations d’activistes pro-palestiniens.
Les Nations unies travaillent actuellement sur leur propre plan d’action contre l’antisémitisme. Von Schurbein a confirmé avoir lu un projet, mais elle a refusé d’en discuter ou de s’inquiéter du fait que l’ONU, dont les forums ont un parti pris bien documenté contre Israël, adopterait une définition qui contourne le large chevauchement entre l’antisionisme et l’antisémitisme moderne.
« Il y a en effet encore matière à amélioration », a-t-elle déclaré à propos du projet de document de l’ONU.
Le projet comporterait également « de nombreux aspects positifs », d’après elle. Il ne faut pas « rejeter cette tentative parce que c’est la première dans l’histoire de l’ONU », qui, comme l’UE, a été créée sur la base des leçons tirées de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah, a-t-elle rappelé.
Alors, les Nations unies vont-elles enfin adopter un plan d’action solide contre l’antisémitisme ?
« Cela viendra », a affirmé Mme von Schurbein.
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