Israël en guerre - Jour 350

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La victoire contre Israël en 1973 a façonné l’Egypte, mais le souvenir s’estompe

L'actuel dirigeant Sissi utilise toujours le conflit pour rallier les Égyptiens à sa cause, mais 85% de la population de la population n'était pas née au moment de la guerre

Spectateurs d'une scène de guerre recréée au musée et mémorial de la guerre israélo-arabe de 1973 au Caire, en Égypte, le 1er octobre 2023. (Crédit : Khaled DESOUKI/AFP)
Spectateurs d'une scène de guerre recréée au musée et mémorial de la guerre israélo-arabe de 1973 au Caire, en Égypte, le 1er octobre 2023. (Crédit : Khaled DESOUKI/AFP)

Cinquante ans après ce que l’Egypte appelle la « victoire d’octobre », le souvenir de la guerre de 1973 contre Israël, qui a façonné la politique et la diplomatie de la nation arabe, est en train de s’estomper.

Ces dernières décennies, les présidents égyptiens qui se sont succédés ont pourtant tiré leur légitimité de ce passé militaire et de la lutte contre Israël.

L’actuel dirigeant égyptien, le président Abdel-Fattah el-Sissi, fait exception. Enrôlé l’année-même de la guerre, il n’a pas combattu contre le voisin israélien.

Cela ne l’a pourtant pas empêché de capitaliser sur ce chapitre de l’histoire nationale.

Le 6 octobre 1973, l’Égypte et la Syrie lancent une attaque surprise et acculent l’armée israélienne à la défaite, avant un magistral revirement de situation, à la faveur notamment du pont aérien américain.

Au bout de trois semaines, le cessez-le-feu validé par les Nations Unies entre en vigueur.

Troupes égyptiennes traversant le canal de Suez le 7 octobre 1973 (Crédit photo : Wikicommons)

À l’occasion du 49e anniversaire de la guerre, l’an dernier, Sissi a évoqué une « journée de fierté et de dignité » qui a montré « la capacité des Egyptiens et leur supériorité dans les moments les plus difficiles ».

Ses propos ont pu faire mouche chez les Égyptiens qui vivent depuis plus d’un an des dévaluations monétaires douloureuses et une inflation qui atteint des niveaux records.

Sissi dirige aujourd’hui un pays majoritairement jeune : 85% des 105 millions d’Égyptiens n’étaient pas nés au moment de la guerre de 1973 et n’ont donc pas vécu ses conséquences immédiates.

Des décennies de guerre ont fait de l’armée égyptienne un acteur puissant du monde économique et commercial du pays, ainsi que des questions de sécurité.

Un seul président n’a pas émergé de ses rangs, le défunt dirigeant islamiste Mohamed Morsi, élu mais destitué en 2013 par celui qui était à l’époque le général Sissi.

Anouar el-Sadate, président de l’Égypte au moment de la guerre de 1973, a signé un accord de paix avec Israël en 1979, créant un précédent au sein du monde arabe.

Le président égyptien Anouar el-Sadate, à gauche, le président américain Jimmy Carter, au centre, et le Premier ministre Menachem Begin se serrent la main sur la pelouse nord de la Maison Blanche après avoir signé le traité de paix entre l’Égypte et Israël, le 26 mars 1979 (crédit photo : AP/Bob Daugherty/File).

Son attitude en temps de guerre lui a assuré « une légitimité comparable à celle de son prédécesseur » Gamal Abdel Nasser, héros de la révolution de 1952 qui a renversé la monarchie, explique l’historien Tewfik Aclimandos du Centre égyptien d’études stratégiques.

« L’Armée de la victoire »

Suite à l’assassinat de Sadate par des membres d’une organisation djihadiste égyptienne en 1981, Hosni Moubarak préside durant trente ans aux destinées du pays en bénéficiant de l’héritage de la guerre d’octobre.

Moubarak – qui est commandant dans l’armée de l’air de Sadate en 1973 – se présente comme un « héros de la campagne aérienne », rappelle Aclimandos à l’AFP.

Aujourd’hui, « tout cela semble très loin à la nouvelle génération ».

Les jeunes Egyptiens « n’ont pas accès à des livres sérieux, en arabe, sur la question », et seuls « les gens qui ont vécu la guerre se souviennent de la peur et des privations liées à une économie de guerre », ajoute l’historien.

La guerre de Sissi ne se fait pas contre Israël mais contre le « terrorisme », particulièrement dans la péninsule du Sinaï, où les djihadistes fidèles au groupe État islamique mènent l’insurrection depuis des années.

Le président égyptien Abdel-Fattah el-Sissi, au centre, s’exprime devant les caméras de la télévision d’État avant les funérailles militaires de 30 soldats morts au combat dans la péninsule du Sinaï, avec à ses côtés les commandants de l’armée au Caire, en Égypte, le 25 octobre 2014 (Crédit : AP/MENA)

Israël s’empare de la vaste région désertique qui borde le canal de Suez au terme de la guerre des Six Jours, en 1967, à la grande honte de l’Égypte et de sa puissance militaire.

Désireuse de laver son honneur et de redorer son image au sein du monde arabe et du Mouvement des non-alignés de l’époque de la guerre froide, l’Égypte fait du Sinaï le cœur de sa campagne militaire en 1973.

Le 6 octobre, l’armée égyptienne traverse le canal de Suez lors d’une attaque surprise, le jour du jeûne de Yom Kippour, le Jour des Expiations, journée la plus sainte de tout le calendrier juif.

Dans le même temps, la Syrie et des alliés arabes attaquent le plateau du Golan, annexé depuis par Israël en un geste non avalisé par l’ONU.

En relation : La guerre du Kippour était une « gifle nécessaire », dit le vétéran qui a aidé à inverser le cours de la bataille

L’armée israélienne finit par repousser l’agression arabe.

Le Caire récupère une partie du territoire du Sinaï durant la guerre, qui sera complétée dans le cadre de l’accord de paix de 1979.

Les événements donnent à l’armée égyptienne le lustre d’« une armée de la victoire, aux antipodes de l’armée de la défaite de 1967 », explique Amr al-Shobaki, analyste politique au Centre Al-Ahram pour les études politiques et stratégiques.

Le président égyptien de l’époque, Hosni Moubarak (2e à droite), et le ministre de la Défense de l’époque, Mohamed Hussein Tantawi, passent en revue les troupes égyptiennes lors d’un défilé militaire marquant le 25e anniversaire de la guerre israélo-arabe de 1973, dans les environs du Caire, en Égypte, le 6 octobre 1998. (Crédit : Amr Nabil/AFP)

« Le bon choix »

La guerre d’octobre conforte l’idée que l’Égypte est sortie de la sphère d’influence sécuritaire de l’Union soviétique « et a tenu ses positions dans un contexte de sécurité occidental », analyse H. A. Hellyer du Royal United Services Institute de Londres.

L’Égypte devient l’un des plus principaux bénéficiaires de l’aide militaire américaine, qui dépasse cette année 1,2 milliard de dollars.

Dans un « monde multipolaire », l’Egypte « ne veut pas s’aliéner la Russie, la Chine ou l’Inde » et souhaite entretenir de bonnes relations avec ses alliés américains, du Golfe et d’Occident, a expliqué Hellyer à l’AFP.

Le Caire n’est plus le seul, dans la région, à avoir reconnu Israël, ce qui à l’époque avait suscité la colère du monde arabe et musulman, à commencer par celle des assassins de Sadate.

La Jordanie a signé un accord de paix en 1994.

En 2020, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc ont normalisé leurs relations avec Israël dans le cadre d’accords soutenus par les États-Unis. Washington tente aujourd’hui d’obtenir la conclusion d’un accord similaire entre l’Arabie saoudite et Israël.

« Sadate n’aurait pas été surpris », estime Shobaki.

« À l’époque, il était convaincu d’avoir fait le bon choix en concluant la paix. »

Les gouvernements peuvent bien faire amende honorable, le peuple n’est pas toujours convaincu.

Pour de nombreux Egyptiens, Israël reste un ennemi acharné.

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