La vie s’est arrêtée pour les familles de 3 otages, liées par l’amour de leurs ados
Ofir Engel, Yossi et Eli Sharabi ont été kidnappés au kibboutz Beeri par le Hamas le 7 octobre ; les familles, qui œuvrent pour leur libération, se sont rencontrées à la mer Morte
Pendant les mois qu’a duré l’histoire d’amour à distance entre Ofir Engel et Yuval Sharabi, leurs parents, Nira et Yossi Sharabi et Yair et Sharon Engel, ont essayé à plusieurs reprises de se rencontrer pour prendre un café ensemble.
Mais en raison de la distance, il a fallu du temps pour organiser la rencontre. Les Sharabi vivent dans le kibboutz Beeri, dans le sud d’Israël, et les Engel dans le kibboutz Ramat Rachel, juste à côté de Jérusalem, à deux heures de route.
Au bout de plusieurs mois, ils avaient finalement trouvé une date qui leur convenait à tous : le 7 octobre. Les Engel devaient aller chercher Ofir à Beeri, où il avait passé plusieurs jours avec sa petite amie Yuval.
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Au lieu d’une rencontre agréable, Yossi Sharabi et Ofir Engel ont été pris en otage à Gaza par des terroristes du Hamas, poussés dans une petite voiture noire sous le regard choqué de Nira Sharabi et de ses trois filles.
Quarante jours plus tard, Nira est assise avec Yair et Sharon dans le hall de l’hôtel David Spa, au bord de la mer Morte, où de nombreux survivants du kibboutz Beeri vivent depuis l’attaque. Elles se sont enfin rencontrées, mais sans Yossi et sans Ofir.
« La vie s’est arrêtée net », explique Nira Sharabi. « Je ne sais pas quand ils reviendront, j’espère seulement qu’ils reviendront. »
Les trois adultes étaient assis sur les canapés et les fauteuils de l’hôtel, la conversation était facile, mais il était impossible de ne pas voir les cernes profonds sous leurs yeux, ou les expressions de chagrin et d’inquiétude gravées sur leurs visages.
Nira Sharabi portait un T-shirt sur lequel étaient imprimés les portraits de son mari, Yossi, et de son beau-frère, Eli Sharabi, également pris en otage à Beeri.
La femme d’Eli Sharabi, Lianne, et leurs deux filles, Noiya et Yahel, ont été tuées le 7 octobre. Nira ignore encore tout de ce qui s’est passé ce jour-là.
« Je n’ai pas de temps à moi. Il n’y a pas de coin où je puisse pleurer toute seule », dit-elle, la voix étranglée par les larmes. « On ne pleure pas parce que l’on n’a pas où le faire. »
La famille de Nira a été réveillée à 6 h 30 par des sirènes et s’est précipitée dans sa chambre sécurisée avec une bouteille d’eau alors que la maison sentait bon le ja’hnun, ce mets savoureux yéménite que l’on laisse cuire toute la nuit pour le manger le Shabbat.
Les sirènes ne s’arrêtaient pas, raconte Nira. Puis ils ont entendu des coups de feu à l’extérieur ainsi que des cris en arabe. Yossi Sharabi ne cessait de regarder par la fenêtre de leur maison pour voir ce qui se passait et tenait la porte de la pièce sécurisée fermée lorsqu’ils étaient tous à l’intérieur.
À un moment donné, Nira a reçu un coup de fil d’un neveu qui se trouvait à la rave Supernova organisée dans le désert non loin de là. Il tentait de s’échapper et voulait leur adresse à Beeri.
Je lui ai dit : « Non, ne viens pas ici, trouve un abri dans les champs », raconte Nira. Elle apprendra plus tard qu’il a été tué avec d’autres dans un abri dans les champs.
À Beeri, les terroristes du Hamas sont arrivés au domicile de Nira à 12 h 30. Ils ont pénétré dans leur chambre sécurisée et ont immédiatement tué le chien de la famille.
Les terroristes ont ensuite fait sortir la famille, Nira et ses filles encore en pyjama, et ont fait asseoir tout le monde sur la pelouse du kibboutz, avec un couple de personnes âgées et une autre famille.
Ils ont ensuite emmené la famille d’un endroit à l’autre du kibboutz, dans le plus grand silence, jusqu’à une rue où les attendait une voiture noire. Ofir et Yuval se tenaient la main, et les terroristes leur ont dit de se séparer, avant de faire signe à Yossi et Ofir de monter dans la voiture, ainsi qu’au fils de 16 ans d’un voisin. C’est la dernière fois qu’ils ont vu Yossi et Ofir.
Le kibboutz était envahi par le bruit des coups de feu et l’air était rempli de la fumée des maisons incendiées, raconte Nira. À ce moment-là, elle ne savait pas ce qui était arrivé à leur maison, mais elle savait qu’ils devaient se cacher.
« Je ne comprends pas pourquoi ils ne nous ont pas tués », dit-elle.
Un univers parallèle
Nira et ses filles, Yuval, 17 ans, Ofir, 14 ans, et Oren, 13 ans, ont réussi à se réfugier dans une autre maison, où elles sont entrées par une fenêtre et y sont restées cachées jusqu’à 21 heures, heure à laquelle Tsahal a débarrassé le kibboutz de tous les terroristes.
Elles ont été évacuées vers Netivot, puis vers l’hôtel de la mer Morte, où Nira et ses filles vivent actuellement dans deux chambres contiguës.
Lorsque le Times of Israel s’est rendu sur place le 15 novembre, l’hôtel semblait se situer dans un univers parallèle. Le calme régnait, les lieux étaient bien entretenus et les évacués des kibboutz étaient nombreux, certains d’entre eux se promenaient pieds nus comme à leur habitude, avec leurs chiens en laisse. Une pile de jeux de société trônait sur une table basse, et deux jeunes femmes occupaient une bande de jeunes enfants à l’extérieur.
Pendant que Nira parlait, une jeune femme poussant deux bébés dans un parc à roulettes le long d’une rampe, lui a fait un signe de la main ; Nira lui a envoyé un baiser en l’air.
« C’est notre force en tant que kibboutz, nous sommes une communauté forte. C’est comme au kibboutz », dit Nira « on se voit à la réception, à la salle à manger pour les repas ».
Elle s’interdit cependant de penser aux conditions dans lesquelles se trouvent son mari Yossi, le petit ami de sa fille Ofir ou les autres otages, car, confie-t-elle, si elle commence à se poser des questions, « cela me brisera ».
« Je vois cette période comme une réalité alternative parallèle à l’autre réalité, la leur « , dit-elle.
Elle ne pense pas non plus à retourner chez elle, à Beeri.
« Il n’y a plus de maison, elle a été brûlée », dit Sharabi, qui s’est fait confirmer cette information par un voisin immensément soulagé de trouver Nira en vie. « Je ne pense pas à y retourner. Je me dis qu’aujourd’hui Yossi va revenir, ou demain, ou après-demain. »
« Nous pensions que nous étions en sécurité, protégés. Tout ce que nous voulions, c’était avoir une vie de famille normale », a-t-elle déclaré. « Cette confiance a été brisée. »
Un grand, grand amour
Nira et Yossi sont arrivés et se sont rencontrés à Beeri alors qu’ils avaient une vingtaine d’années. Yossi était parti travailler au kibboutz avec son frère Eli. Le couple y élève sa famille depuis 18 ans.
Nira, infirmière de formation, a dirigé la clinique de Beeri pendant de nombreuses années. Récemment, ressentant le besoin de prendre du recul par rapport à son travail qui l’occupait 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, elle a accepté de travailler dans une clinique d’une autre communauté.
Leur fille aînée, Yuval, a rencontré Ofir lors d’une conférence réunissant des adolescents des kibboutzim de tout le pays, il y a environ huit mois.
« Ils sont très, très amoureux l’un de l’autre », a déclaré Yael Engel Lichi, la tante d’Ofir.
Les deux adolescents passaient tout leur temps ensemble. Ofir Engel, joueur de basket-ball dans l’équipe d’adolescents de Hapoel de Jérusalem, a rejoint l’équipe régionale d’Eshkol, dans le sud du pays, afin de pouvoir passer plus de temps avec sa petite amie.
Les deux adolescents viennent tous deux de familles vivant dans des kibboutzim. Les arrière-grands-parents d’Ofir Engel sont arrivés de Pologne en Israël en 1938 et se sont rendus directement à Ramat Rachel, qui avait été créé 12 ans plus tôt.
Sa grand-mère paternelle est née dans ce kibboutz, son père et ses frères et sœurs y sont nés et y ont grandi. Aujourd’hui, ses grands-parents, sa famille et les trois frères et sœurs de son père, ainsi que leurs familles, vivent toujours dans ce kibboutz de la région de Jérusalem.
La tante d’Ofir, Yael Engel Lichi, est devenue le porte-parole officieux des Engel dans cette épreuve traumatisante pour la famille.
Engel Lichi est une force de la nature, elle s’occupe de la couverture médiatique locale et étrangère tout en montant un projet pour les survivants de Beeri, et travaille avec les fabricants de sandales Shoresh et Teva Naot pour fournir des sandales et des pantoufles aux évacués des kibboutzim au prix coûtant.
Mercredi, elle était à l’hôtel de la mer Morte avec ses filles, où elle a installé une table afin de vendre les sandales à prix réduit aux personnes évacuées.
« On voit des familles brisées », dit-elle. « Un garçon qui n’a plus qu’une jambe a demandé, en plaisantant, s’il pouvait acheter la moitié d’une paire de sandales, puis il a fait le tour du hall pour voir si quelqu’un voulait l’autre sandale. »
Engel Lichi secoue la tête.
Elle a pris contact avec la Croix-Rouge, ainsi qu’avec le gouvernement néerlandais – la famille a la nationalité néerlandaise – et prévoit une rencontre à l’UNICEF pour parler des 30 enfants israéliens retenus en otage.
Son frère et son père ont rencontré le Premier ministre néerlandais et l’ambassadeur du Qatar aux Pays-Bas. Elle a rencontré l’épouse du Premier ministre Benjamin Netanyahu, Sara, ainsi que plusieurs membres de la Knesset. Mais selon Engel Lichi, le gouvernement israélien ne s’investit pas pleinement dans la question des otages.
« Je veux que les gens se lèvent le matin et se couchent le soir en pensant aux 240 personnes qui ne sont pas encore rentrées chez elles », déclare Engel Lichi, lors d’une réunion avec la famille élargie, y compris les parents et les frères et sœurs d’Ofir, dans le jardin de la maison familiale d’Ofir, le quartier général de la famille depuis le 7 octobre.
Les Engel étaient à la Knesset la veille, et ils ont eu l’impression que « le gouvernement est complètement déconnecté de cette situation », a déclaré Engel Lichi. « Il n’y a pas une seule affiche ou une seule photo des otages sur les murs. C’est arrivé sous leur garde. Où sont-ils ? »
Nira Sharabi s’est fait l’écho de ces réflexions, mais avec plus de distance. Elle a déclaré qu’elle ne pouvait pas réfléchir ou critiquer le rôle du gouvernement dans les massacres du 7 octobre, se contentant de dire que « ce qui s’est passé est une Shoah et que c’était prévisible ».
Pour l’instant, elle ne pense qu’à Yossi, Ofir, Eli et aux autres otages.
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