La vulnérabilité du réseau électrique inquiète devant la menace de la guerre contre le Hezbollah
En cas d'attaque, le pays n'est pas préparé à gérer de longues coupures d'électricité, disent les experts ; ruée sur les groupes électrogènes au diesel, malgré des solutions plus vertes
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
La semaine dernière, Shaul Goldstein, le directeur de la société responsable de la planification des systèmes électriques du pays, a averti qu’une guerre avec le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah, soutenu par l’Iran, risquait de gravement perturber le réseau électrique israélien. Il a estimé qu’Israël deviendrait invivable au bout de trois jours sans courant, ce qui lui a valu de nombreuses critiques.
« Nous ne pouvons pas promettre de l’électricité en cas de guerre dans le nord [du pays]. Après 72 heures sans électricité, il sera impossible de vivre ici. Nous ne sommes pas préparés à une véritable guerre », a-t-il déclaré lors d’une conférence dans la ville de Sderot, dans le sud du pays.
Ses propos, soulignant le risque qu’occasionnerait une coupure de courant prolongée, ont suscité l’inquiétude des responsables et du public, en raison de l’escalade dans les tensions à la frontière nord d’Israël.
Le ministre de l’Énergie, Eli Cohen, et le PDG de la Compagnie israélienne d’Electricité (IEC), Meir Spiegler, se sont empressés de critiquer ces propos. L’Independent System Operator Ltd, connu par ses initiales en hébreu, NOGA, dirigée par Goldstein, s’est lui-même distancié de ses remarques.
Selon Yoram Laredo, directeur de l’Autorité nationale de gestion des urgences, le problème ne vient ni du NOGA, qui gère l’infrastructure du réseau électrique israélien, ni de l’IEC, qui fournit l’électricité via le réseau.
Le problème se situe plutôt dans le fait que l’infrastructure fiable et de haute qualité du réseau électrique israélien « est dans la ligne de mire de l’ennemi et […] Israël n’est pas préparé à des coupures de courant prolongées », a-t-il déclaré lors d’une conférence de l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) sur l’énergie en temps de guerre, qui a eu lieu il y a deux semaines.
Depuis le lendemain des massacres barbares palestiniens du 7 octobre, le Hezbollah lance des attaques quasi quotidiennes contre Israël, au nom, dit-il, de son soutien au groupe terroriste palestinien du Hamas de Gaza. Près de 1 200 personnes ont été assassinées le 7 octobre tandis que les terroristes aidés de civils palestiniens complices ont enlevé 251 autres lors d’un assaut sans précédent lancé sur le sud d’Israël adjacent à l’enclave palestinienne. Israël a lancé son incursion totale de la bande de Gaza le 27 octobre.
Au début du mois, le Hezbollah, soutenu par l’Iran, a publié une vidéo qui, selon lui, a été capturée par un des drones du groupe, qui aurait réussi à pénétrer l’espace aérien israélien et à filmer des sites militaires et des infrastructures sensibles dans les environs de Haïfa.
Tsahal considère le Hezbollah comme « l’acteur non étatique le plus puissant du monde« . Le groupe dispose d’un vaste arsenal capable de toucher en profondeur le territoire israélien, comprenant des centaines de missiles guidés de précision et des dizaines de milliers de roquettes.
Les États-Unis ont récemment exprimé leur inquiétude sur la capacité des systèmes de défense aérienne israéliens très avancés à contenir un assaut du Hezbollah.
Un document professionnel sur la sécurité énergétique publié le 2 juin (en hébreu) suggère que ces systèmes de défense aérienne pourraient essuyer quelque 4 000 missiles par jour durant les premières semaines de combat et que la priorité serait probablement donnée d’emblée à la protection des biens militaires plutôt qu’à celle des infrastructures (électricité pour les civils, par exemple).
Des « coupures de courant locales prolongées » sont probables.
Pourquoi le réseau électrique israélien est-il si vulnérable ?
La forte dépendance d’Israël à l’égard de l’électricité a une incidence sur presque tous les aspects de la vie quotidienne, y compris les transports, l’approvisionnement en eau (l’eau potable provient essentiellement d’une poignée d’usines de dessalement côtières), les communications, les banques, le commerce et la réfrigération des aliments.
En cas de guerre, le Hezbollah pourrait endommager les pipelines, les ports, les centrales électriques et les plates-formes de forage de gaz en mer qui assurent la production d’énergie en Israël. Il pourrait également toucher les infrastructures vitales qui sous-tendent le réseau électrique, comme les sous-stations et les pylônes à haute tension, ce qui bloquerait la distribution de l’électricité.
En sa qualité d’île énergétique, le pays ne peut pas compter sur les réseaux voisins pour les approvisionnements d’urgence en électricité.
Le pays tire la majeure partie de son électricité du gaz fossile qu’il possède en abondance au large de ses côtes. Le gaz utilisé pour les centrales électriques israéliennes est fourni par seulement trois puits en mer Méditerranée, chacun doté de sa propre plate-forme de traitement et d’une usine de réception de l’approvisionnement terrestre.
Le gaz naturel devrait fournir 75 % de l’électricité du pays cette année, à partir de quelques dizaines de grandes centrales électriques et autres sous-stations, dont beaucoup sont aisément repérables sur Google Maps.
La plate-forme la plus au sud, Tamar, a dû être provisoirement fermée après l’invasion du groupe terroriste palestinien du Hamas, le 7 octobre, pour parer aux dégâts que pourraient causer les roquettes du Hamas. En cas de guerre avec le Hezbollah, les trois plates-formes pourraient donc devoir être fermées à titre préventif, ce qui interromprait le flux de gaz dans l’heure et demie suivant l’arrêt (il n’y a pas de réserves de gaz) et entraînerait le passage au diesel ou au charbon.
La plupart des centrales électriques israéliennes fonctionnant au gaz ont été construites de manière à pouvoir passer au diesel en cas d’urgence. Toutefois, les réserves de diesel et de charbon sont limitées et dépendent de la chaîne d’approvisionnement. La guerre pourrait avoir un impact négatif sur les livraisons, en particulier si les attaques des Houthis du Yémen, soutenues par l’Iran contre les pétroliers en mer Rouge, s’étendent à la Méditerranée, comme la menace en a été proférée.
Sami Turjeman, un ancien général de Tsahal qui préside aujourd’hui le conseil d’administration de NOGA, a expliqué à la conférence de l’INSS le 5 juin dernier que les centrales électriques à combustibles fossiles représentaient un « point faible » et que la dépendance à l’égard des réserves de charbon et de diesel – toujours insuffisantes – était le talon d’Achille d’Israël.
Le pays a besoin de plus de centrales électriques à combustibles fossiles, a-t-il déclaré, mais il a également noté qu’au moins 30 % du bouquet énergétique d’Israël doit provenir de sources renouvelables, conformément aux engagements pris auprès de l’ONU et pour sa propre sécurité énergétique.
En raison des efforts déployés depuis des années par le pays pour développer le gaz naturel, les énergies renouvelables – principalement l’énergie solaire – ne représentaient que 12 % de ce bouquet énergétique en décembre.
Se préparer aux pannes d’électricité
La durée, le lieu et la fréquence des coupures d’électricité dépendront de la nature des attaques du Hezbollah.
Des mesures sont en cours pour augmenter les réserves de diesel et de charbon, renforcer les défenses autour des infrastructures électriques essentielles et être capable de réparer tout dommage rapidement.
Selon Laredo, 2 milliards de shekels ont été dépensés pour augmenter les réserves d’énergie depuis le 7 octobre.
Spiegler, de l’IEC, a expliqué que son équipe travaillait avec le ministère des Communications pour se préparer aux problèmes de réception cellulaire et avec le ministère de la Santé pour s’assurer que les machines qui sauvent des vies soient alimentées en électricité pour pouvoir continuer à fonctionner.
Il a ajouté que la société stockait également des pièces détachées et effectuait des exercices dans le nord d’Israël en utilisant des kits et des substituts mobiles pour les sous-stations endommagées.
Cependant, Ariel Heimann, chercheur principal à l’INSS et expert en tremblements de terre, a fait remarquer qu’il n’y avait toujours pas d’organisme ou de personne responsable de la coordination de la réponse aux dommages généralisés du réseau électrique, tout comme personne n’avait été désigné comme responsable global de la gestion d’un événement sismique majeur.
Plus de soleil, moins de centralisation
À long terme, le passage à une plus grande utilisation des énergies renouvelables et le développement d’un réseau diffus constituent, pour les planificateurs, la clé de la protection de l’infrastructure électrique israélienne.
Il est en effet plus difficile pour un ennemi de paralyser un pays si des millions de personnes sont équipées de panneaux solaires, de systèmes de stockage solaires et d’onduleurs hybrides, leur permettant de se déconnecter du réseau électrique sans interruption.
Mais malgré l’abondance de soleil, l’espace des énergies renouvelables a été largement entravé jusqu’à présent par une réglementation insuffisante et une bureaucratie démesurée.
Nurit Gal, ancienne responsable de l’Autorité de l’électricité, qui régule le secteur de l’énergie en Israël, a expliqué à la conférence de l’INSS qu’Israël comptait déjà 48 775 producteurs d’énergie renouvelable, allant de la maison individuelle aux grands champs solaires.
Selon Gilad Yavetz, cofondateur et directeur d’Enlight Renewable Energy, une attaque de missiles sur un grand champ solaire avec un ensemble de panneaux permettrait à 98 % ou plus de l’installation de rester intacte et de produire de l’énergie propre.
Selon Ron Eifer, chef de la division de l’énergie durable du ministère de l’Énergie, les autorités cherchent également à mettre en place une gestion décentralisée – un projet que le lobby écologiste préconise depuis des années, mais auquel l’IEC, autrefois monopolistique, s’est toujours opposée, estimant qu’il représentait une menace pour son contrôle.
En raison de la nature centralisée du réseau électrique israélien, des dommages localisés aux lignes électriques dans le sud d’Israël le 7 octobre ont provoqué des coupures de courant sur de vastes zones, et il a fallu jusqu’à deux mois à l’IEC pour achever les réparations. Des problèmes similaires ont touché le nord et quatre monteurs de lignes ont perdu la vie depuis le 7 octobre alors qu’ils effectuaient des travaux de rétablissement de l’électricité.
Conscient des avantages qu’il y a à permettre à certaines zones de se déconnecter du réseau national et à donner aux habitants une indépendance électrique en cas d’urgence, le ministère de l’Énergie a proposé, dans le cadre du plan de réhabilitation de l’administration Tekuma le long de la frontière de Gaza, de s’orienter vers la décentralisation par le biais de micro-réseaux.
L’électricité au service de la population
En raison en partie des propos de Goldstein, les Israéliens se seraient rués sur les générateurs diesel pour faire face à d’éventuelles pannes.
Cependant, plusieurs entreprises israéliennes, telles que Solax Israël et Inter Plus, qui ont toutes deux participé à la conférence de l’INSS, ont indiqué qu’elles proposaient des solutions de micro-réseaux plus propres et plus fiables.
Eitan Parnass, PDG de l’Association des entreprises d’énergie verte en Israël, a expliqué aux participants à la conférence que des panneaux solaires sur le toit d’une maison, une batterie de stockage et une voiture électrique capable de fournir de l’énergie supplémentaire constituaient une protection optimale contre les pannes d’électricité.
Notant que la plupart des universités et des usines étaient équipées d’un dispositif de réserve d’énergie, Ruby Davidson, directrice générale adjointe d’une filiale d’Inter Plus, a déclaré que l’entreprise pourrait intégrer des micro-réseaux hybrides dans tous les nouveaux systèmes énergétiques ou moderniser ceux qui existent déjà.
« La solution est devant nos yeux », a-t-il déclaré.