L’AIEA a découvert que l’Iran a tenté, il y a une 20 ans, de produire des armes nucléaires
Selon un récent rapport de l'organisme de surveillance nucléaire, cela fait des décennies que Téhéran mène des activités secrètes : il recommande de porter l'affaire devant le Conseil de sécurité de l'ONU

Le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA) publié le 31 mai dernier à propos des activités nucléaires de l’Iran a révélé qu’il y a de cela plus d’une vingtaine d’années, la République islamique avait mené et dissimulé plusieurs essais d’implosion – étape clé dans le processus de développement d’une arme nucléaire.
Selon le think tank Institute for Science and International Security (ISIS), dont le siège se trouve à Washington, qui a analysé et publié les points clés du rapport de l’AIEA et publié ses conclusions le 6 juin dernier, les activités menées par l’Iran avaient vocation à mener à un « essai à froid », l’une des dernières étapes dans la mise au point d’une bombe nucléaire.
Les essais à froid sont effectués avec un engin nucléaire finalisé, mais doté d’un noyau d’uranium naturel ou appauvri, au lieu du noyau d’uranium de qualité militaire.
Selon l’analyse du groupe de réflexion, le rapport de l’AIEA révèle qu’en 2003, avant la clôture officielle du programme nucléaire iranien, Téhéran a procédé à « un certain nombre » d’essais d’implosion dans une installation nucléaire située près de Marivan, dans le centre de l’Iran.
Le groupe de réflexion explique que quatre de ces tests d’implosion ont utilisé « des systèmes d’implosion hémisphérique à grande échelle, avec la mise en œuvre d’explosifs puissants qui ont généré une onde de choc sphérique dirigée vers l’intérieur laquelle a comprimé un noyau d’explosif nucléaire, mais sans l’uranium de qualité militaire et les sources de neutrons explosives ».
Suite au succès de ces essais d’implosion, l’Iran a eu l’intention de procéder à des essais à froid et effectivement procédé à des essais de protection contre les explosions. Selon le groupe de réflexion, il est difficile de savoir si ces essais à froid ont eu lieu à Marivan ou dans une autre installation nucléaire.
L’installation de Marivan a servi de « site pour des essais d’explosifs à haut niveau en plein air et de zone de soutien », explique le groupe de réflexion, et elle a été surtout utilisée pour des essais d’explosifs de grande ampleur.
Le site de Marivan a été « nettoyé » en 2019, explique l’Institute for Science and International Security, semble-t-il une fois que l’AIEA a demandé à y avoir accès.

« L’AIEA s’est rendue en août 2020 dans la zone de soutien de Marivan ainsi que sur le site d’essai d’explosifs en extérieur mais elle dit n’avoir pas eu accès au bunker de contrôle lors de sa visite », ajoute le groupe de réflexion. « Et par la suite, l’Iran a ensuite démoli le bunker. »
Trois autres installations nucléaires font l’objet d’une enquête de l’AIEA depuis 2019 : Lavisan-Shian, Varamin et Turquz-Abad.
Avec Marivan, ces quatre installations, ainsi que « d’autres sites », ont constitué le cœur du « programme nucléaire structuré mais non déclaré » de l’Iran, et cela, bien au-delà de la fin supposée de son programme officiel, en 2003, estime l’ISIS. Le think tank ajoute que le rapport de l’AIEA confirme pour la première fois que ces sites sont directement liés à des matières nucléaires manquantes en Iran.
Le nettoyage des sites complique la tâche de l’AIEA
La base Lavisan-Shian, explique l’ISIS, a été le quartier général du programme nucléaire iranien, créé par le Centre de recherche en physique, un institut militaire iranien qui a fourni personnels, équipement et matériels au programme nucléaire.
Le site a été essentiellement utilisé par l’Iran pour la production de sources de neutrons explosives (EDNS) utilisées dans des armes nucléaires implosives. L’uranium utilisé pour la production d’EDNS a été extrait d’une dizaine de kilos d’uranium non déclaré, stocké par l’Iran dans son laboratoire polyvalent de Jaber Ibn Hayan (JHL), précise le think tank.
L’uranium non déclaré est aujourd’hui introuvable, regrette l’AIEA, et il actuellement impossible de savoir s’il a été entièrement utilisé ou mélangé à de l’uranium déclaré.

Le site de Lavisan-Shian a été « assaini » par l’Iran entre fin 2003 et début 2004, a constaté l’AIEA, ce qui a privé l’agence atomique de la possibilité de procéder à des prélèvements sur place et rend son évaluation comme sa compréhension des événements qui s’y sont déroulés lacunaires.
L’AIEA estime que l’assainissement de Varamin, en 2004, a été moins approfondi car les employés de l’Agence y ont trouvé des particules d’uranium artificiel en 2020.
De nombreuses preuves d’enrichissement de l’uranium
Sur la base de ses conclusions, l’AIEA a établi une chronologie indicative des activités menées à Varamin.
Selon l’Agence, le site a été créé en 1997 et l’équipement qui y était utilisé correspondait à celui des installations de conversion de l’uranium. Parmi ces équipements, qui, selon l’AIEA, sont tous des « éléments essentiels à une installation de conversion d’uranium », figurent des bouteilles d’hexafluorure d’uranium.
L’hexafluorure d’uranium, ou UF6, est un composé inorganique utilisé pour enrichir l’uranium.
Les bouteilles retrouvées étaient toutes fortement contaminées, explique l’ISIS, et certaines contenaient encore de grandes quantités d’UF6.
Le site de Varamin n’a été opérationnel que pendant quelques années, estime l’AIEA, et à la fin de 2003, tout l’équipement et le matériel, y compris les matières nucléaires, ont été retirés à bord de 13 conteneurs différents, en fonction de leur niveau de contamination.
L’équipement de Varamin a été envoyé à l’installation de Turquz-Abad, décrite par l’ISIS comme un entrepôt à ciel ouvert.
Après le démantèlement du site de Varamin, l’ISIS rappelle que l’AIEA savait que l’Iran souhaitait le remplacer par une nouvelle installation de production, du nom de code « Nouvelle usine de Téhéran ».
Selon l’ISIS toujours, l’AIEA n’aurait eu aucune information sur la construction de cette installation, mais si elle a effectivement eu lieu, cela s’est fait après l’arrêt du programme nucléaire iranien, en 2003.
Des matières et équipements nucléaires du laboratoire polyvalent de Jaber Ibn Hayan, et peut-être de Lavisan-Shian, étaient également stockés sur le site de Turquz-Abad, a constaté l’AIEA en concluant, images satellites à l’appui, que l’entrepôt était activement utilisé, avec des entrées et sorties régulières de conteneurs, jusqu’en 2018.

L’existence de l’entrepôt a été rendue publique en 2018 lorsque le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, en a parlé à la tribune de l’ONU, en le qualifiant d’entrepôt nucléaire clandestin, dissimulé dans une usine de nettoyage de tapis.
Comme pour la centrale de Varamin, l’ISIS a déclaré que l’AIEA avait retrouvé des particules d’uranium artificiel sur le site de Turquz Abad en 2020.
Appel à l’implication du Conseil de sécurité de l’ONU
En résumant les conclusions du rapport de l’AIEA, l’ISIS conclut que l’Iran a fait tout ce qu’il fallait pour « assainir les lieux qui intéressaient l’AIEA et donné des informations inexactes en réponse aux questions qui lui étaient posées », ce qui a gêné le travail de l’organisme de surveillance nucléaire.
Compte tenu des conclusions de l’AIEA, l’ISIS table sur un projet de résolution constatant que l’Iran n’a pas respecté ses obligations, que les États-Unis et les E3 – la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni – pourraient présenter lors d’une réunion de l’AIEA, sans oublier une possible évocation dans le cadre du Conseil de sécurité de l’ONU afin qu’il prenne des mesures.
« Une saisine du Conseil de sécurité de l’ONU ne doit en aucun cas mettre fin au travail fait par l’AIEA pour obtenir des réponses de l’Iran ; cela devrait même lui donner davantage de poids », écrit le think tank.

« Que la résolution contienne ou non une référence explicite au Conseil de sécurité de l’ONU, le E3 devrait demander l’imposition de sanctions de l’ONU contre l’Iran via la procédure de retour en arrière décrite dans le Plan d’action global commun », recommande l’ISIS. « Ce qui aurait par ailleurs pour effet de réactiver la demande du Conseil de sécurité de l’ONU que l’Iran mette fin à son programme d’enrichissement d’uranium. »
La publication du rapport de l’AIEA, le mois dernier, a coïncidé avec la reprise de négociations par les États-Unis pour parvenir à la conclusion d’un nouvel accord nucléaire avec l’Iran : le président américain Donald Trump s’était en effet retiré du JCPOA en 2018. Les démarches destinées à prouver le non-respect de ses obligations l’Iran, suite aux conclusions de ce rapport, pourraient singulièrement compliquer les pourparlers nucléaires.
L’Iran, qui ne fait pas mystère de son souhait de détruire Israël, a toujours nié vouloir se doter de l’arme nucléaire.
Or, un autre rapport de l’AIEA adressé aux États membres le mois dernier révèle que l’Iran disposait de 408,6 kg d’uranium enrichi jusqu’à 60 %, soit près de 90 % de la qualité requise pour une utilisation militaire. Cette quantité permettrait, sous réserve d’un enrichissement complémentaire, de fabriquer neuf armes nucléaires, selon les critères de l’AIEA.
L’uranium enrichi est dépourvu d’applications pacifiques.
Selon l’AIEA, l’Iran est, dans le monde, le seul et unique pays non doté de l’arme nucléaire à enrichir de l’uranium jusqu’à 60 % – niveau qui n’a aucune application civile. Ce pourcentage est inférieur aux 90 % requis pour fabriquer une arme nucléaire, mais bien au-delà de la limite de 3,67 % fixée par l’accord JCPOA de 2015.