L’artiste contemporain Rafram Chaddad s’intéresse à la mémoire des Juifs de Tunisie
L’artiste, né en Tunisie, et dont les œuvres sont le reflet de son histoire personnelle, présente son travail dans une rétrospective à Tunis jusqu’au 31 octobre
Jusqu’au 31 octobre 2023, l’artiste juif tunisien Rafram Chaddad sera mis à l’honneur dans une exposition présentée au centre d’art B7L9 de la Kamel Lazaar Fundation, dans la banlieue Nord de Tunis.
L’artiste, aujourd’hui âgé de 47 ans, mêle histoire personnelle et documentation historique pour cette nouvelle rétrospective intitulée « The Good Seven Years ».
À travers une œuvre pluridisciplinaire, cette exposition retrace l’histoire de la communauté des Juifs tunisiens, présente depuis des siècles sur le territoire tunisien mais qui ne compte aujourd’hui plus que quelques centaines de personnes. On peut ainsi découvrir, dans les locaux de l’atelier B7L9, une variété d’œuvres, allant de publications sur les réseaux sociaux à des dessins ou encore des sculptures comme ce bateau en bois déposé dans une synagogue abandonnée du village de sa mère, Metameur, dans le sud est du pays.
Chaddad, comme ses parents, est né en Tunisie, à Djerba, en 1975. Alors qu’il n’avait que deux ans, sa famille a dû fuir les terribles violences antisémites survenues en réaction aux guerres israélo-arabes. Sa famille s’est alors installée à Jérusalem, où une partie de la communauté tunisienne s’est retrouvée, avec ses coutumes et traditions.
Son entrée dans une école d’art à 18 ans lui ouvre la voie à une vie de fuites et de transgressions. Dès cet âge, Chaddad refuse d’effectuer son service militaire en Israël, obligatoire, et se retrouve en prison à trois reprises. Il quitte ensuite Israël pour voyager et s’épanouir artistiquement. Il découvre alors l’Europe mais aussi la Tunisie en 2004. Il est alors missionné pour travailler sur le patrimoine juif d’Afrique du Nord et se rend en Libye en 2010 où il est accusé d’espionnage et à nouveau envoyé en prison. Après avoir passé plusieurs mois à l’isolement, à la prison d’Abou Salim, il a finalement été exfiltré à la suite d’un accord plus ou moins formel avec Israël.
Cinq ans après cette fâcheuse expérience, Chaddad s’installe en Tunisie. C’est là qu’il découvre la relation d’amour-haine qu’entretiennent la Tunisie et sa communauté juive. Alors que cette relation est souvent idéalisée et guidée par la nostalgie de la cohabitation entre juifs et musulmans, Chaddad préfère s’intéresser au présent, et s’indigne de l’antisémitisme qui existe dans le pays, où un individu juif ne pourrait pas être candidat à la présidence de la République ou rejoindre l’armée, en raison de la suspicion qu’il susciterait selon lui – une règle appliquée à tous les non-musulmans du pays mais qui semble pour l’artiste être le reflet d’un antisémitisme latent.
Cet antisémitisme s’est d’ailleurs à nouveau illustré le 9 mai dernier lors de l’attaque de la synagogue de la Ghriba à Djerba, quand un membre de la garde nationale a ouvert le feu sur la foule, faisant cinq victimes : deux pèlerins et trois membres des forces de sécurité tunisienne. Chaddad a perdu un membre de sa famille : Ben Haddad, présent sur place. Ce drame avait suscité une réaction surprenante de la part du chef de l’État tunisien, Kaïs Saïed, qui avait réfuté tout caractère antisémite.
Pour Chaddad, « il faut regarder les choses en face : lorsqu’on parle des Juifs en Tunisie, il y a toujours un éléphant dans la pièce, la question de la Palestine », a-t-il expliqué au Monde. Il faisait alors référence aux propos de Kaïs Saïed, qui avait déclaré après l’attentat que que « des Palestiniens sont tués chaque jour et personne n’en parle ».