Laure Adler : « Tel Aviv est l’incarnation de la tolérance et du vivre-ensemble »
La journaliste et écrivain nous parle d'Israël et de ses liens avec le pays, de féminisme, de littérature et d'un monde commun dont la Ville Blanche pourrait être l'emblème
Journaliste et écrivain, productrice à France Culture depuis 1974, Laure Adler a su depuis toujours multiplier les vocations. Appelée comme conseillère à la culture en 1989 par François Mitterrand, elle mène ensuite une carrière à la télévision en animant pendant quatre ans l’émission culturelle Le cercle de minuit.
Aujourd’hui productrice de l’émission Permis de penser sur France Inter, Laure Adler est, entre autres, l’auteure de nombreux livres, dont les biographies remarquées de Marguerite Duras, Hannah Arendt, Françoise Giroud et Simone Veil.
Prochainement à Tel Aviv pour La nuit des idées, qui réunit nombre d’artistes et intellectuelles israéliennes, elle nous parle d’Israël et de ses liens avec le pays, de féminisme, et d’un monde commun dont la Ville Blanche pourrait être l’emblème. Entretien.
Le Times of Israël : Dans quel état d’esprit êtes-vous à quelques jours de votre venue en Israël ? Avez-vous des liens avec le pays ?
Laure Adler : Je suis déjà venue de nombreuses fois en Israël. J’ai même failli y vivre quand j’étais jeune et que j’avais dix-huit ans. J’ai travaillé dans un kibboutz pendant quelques mois. J’avais songé à rester peut-être mais je suis revenue en France faire des études. Je viens régulièrement en Israël et c’est toujours un grand bonheur pour moi.
Avez-vous subi des pressions d’organisations telles que le BDS pour ne pas venir ?
Le BDS est une organisation puissante en France mais je n’ai subi aucune pression, non, de personne.
Y-a-t-il des personnalités avec qui vous voudriez échanger plus particulièrement durant votre séjour ?
Nous avons conçu, avec les personnes de l’Institut Français, un programme incluant un choix d’artistes et d’intellectuelles israéliennes et françaises. Ceci dans le but qu’elles se parlent, et qu’elles échangent leurs expériences, et dans l’objectif de faire avancer aussi la cause des femmes.
Je suis très heureuse que toutes ces participantes aient accepté l’idée de débattre durant cette Nuit des idées.
Pendant ces rencontres qui auront lieu au Musée d’Art de Tel-Aviv vous tiendrez le rôle de modératrice. Cet événement réunit beaucoup de femmes d’horizons différents. Françaises ou israéliennes, artistes, intellectuelles, politiciennes… En connaissez-vous déjà certaines ?
Oui. Je ne les connais pas toutes mais j’en connais certaines. Notamment dans le domaine de la littérature, puisque la littérature israélienne féminine est très connue en France.
Je connais Alona Kimhi, et également la cinéaste qui a été invitée et que j’aime beaucoup, Keren Yedaya. J’ai déjà vu tous ses films.
Parmi les autres que je ne connais pas, et que j’ai hâte de rencontrer, il y a notamment la jeune députée travailliste Stav Shaffir.
Y-a-t-il des personnalités israéliennes, féministes ou pas, des parcours de femmes exemplaires qui sont justement des références pour vous ?
Écoutez, l’histoire d’Israël a quand même été très marquée par une personnalité de premier plan, à qui je rendrai hommage dans un dictionnaire de femmes que je suis en train de rédiger, et qui est Golda Meir.
Elle a quand même marqué, par la force de ses convictions, par sa détermination, par son aura et par son charisme, l’idée très profonde que les femmes sont aussi puissantes, et peut-même plus puissantes, que les hommes.
« Les femmes sont aussi puissantes, et peut-être même plus puissantes, que les hommes »
Laure Adler
Maintenant, l’égalité juridique qui règne en Israël est-t-elle une égalité réelle dans les mœurs, dans la représentativité du pays, dans la perception du rapport entre les hommes et les femmes ? Ça, je ne sais pas, et je ne me permettrais pas de juger.
J’apprendrais beaucoup au cours de ce colloque. Je sais qu’en France la domination masculine continue, et qu’elle augmente même en ce moment.
Les fragilités sociales et la dignité humaine sont les thèmes notamment abordés durant cette Nuit des idées. Y-a-t-il selon vous des choix sociaux ou politiques que seule une femme peut faire ?
Je pense en tout cas que les hommes et les femmes n’entendent pas la même chose quand on parle d’action politique. Les hommes sont beaucoup dans la stratégie, dans la tactique, dans la représentativité, soit d’eux-mêmes, soit de leur propre parti.
Alors que les femmes, dans l’action politique, veulent traiter la réalité des choses, avancer dans des domaines bien précis. Donc je pense que la mixité des hommes et des femmes en politique est une condition nécessaire pour le maintien de la démocratie. Parce que justement, les hommes et les femmes peuvent être complémentaires.
Pour les prochaines élections présidentielles nous avons deux candidates : une très marginalisée, Sylvia Pinel qui représente les radicaux et qui hélas n’existe pas, qui est une sorte de caution, et une autre qui n’est que la fille de son père, et qui représente le racisme, l’antisémitisme, l’intolérance, la fermeture à l’autre, le non-métissage des populations, et qui est Marine Le Pen.
Vous êtes l’auteur de plusieurs biographies, sur, entre autres, Marguerite Duras, Hannah Arendt et Simone Veil.
Une écrivain, une philosophe et une femme politique. Pourquoi elles ? Si vous deviez définir en quelques mots ce qui vous a fortement marqué et inspiré pour chacune d’entre elles ?
La force de leur intelligence, l’audace de leurs pensées et la liberté qu’elles incarnent pour pouvoir penser aujourd’hui et demain. Même si elles ont toutes disparu, leur œuvre permet encore aujourd’hui d’agir et d’espérer.
Que pensez-vous du choix de Tel Aviv pour cette Nuit des Idées, ville cosmopolite et qui a intégré plusieurs couches d’immigrants au cours de son histoire, lieu de métissage, de pluralité par excellence ? Pourrait-elle être selon vous l’une des villes ambassadrices de ce projet d’ « Un monde commun » ?
Oui, bien sûr, c’est évident. Je suis très heureuse de faire cette Nuit des idées à Tel Aviv. J’y étais encore l’année dernière et il y a deux ans. Je suis très contente d’y retourner parce que pour moi, c’est l’incarnation de la tolérance, du vivre-ensemble, de l’éloge des différences, de l’acceptation des cultures.
Même si demeurent des gros problèmes au niveau politique, je pense que Tel Aviv est le sanctuaire pour vivre toutes ces différences dans le Moyen Orient en ce moment. Je veux parler aussi des différentes façons de vivre sa sexualité.
« Je pense que Tel Aviv est le sanctuaire pour vivre toutes ces différences dans le Moyen Orient en ce moment »
Laure Adler
J’appartiens à un courant de pensée proche du mouvement pour la paix. Je me réclame des positions d’Amos Oz, d’Élie Barnavi, de David Grossman, de tous ces écrivains et intellectuels que j’admire infiniment.
Y-a-t-il des œuvres littéraires ou cinématographiques d’artistes israéliens qui vous ont marquée ?
Je vais avoir la chance de passer une journée chez Aharon Appelfeld car je prépare un numéro spécial pour une revue que j’ai créée il y a trois mois. Je dirais mon immense admiration pour l’écrivain, et aussi pour la cinématographie israélienne, notamment féministe.
Ce cinéma est une merveille !
Je suis en train de lire le prochain livre de Zeruya Shalev, qui est aussi une très grande créatrice à mes yeux.
Et puis je voudrais dire à quel point l’œuvre de cette cinéaste disparue il y a un an, Ronit Elkabetz, qui était une amie et une compagne, m’accompagne toujours.
Cette thématique d’ « Un monde commun » vous est-t-elle familière, l’avez-vous déjà traitée, de manière directe ou indirecte, en tant que journaliste ou
écrivain ?
Oui, dans la pratique de mon métier, puisque je fais une émission quotidienne sur une radio publique [Permis de penser, ndlr], en invitant des artistes, des intellectuels, des philosophes, des cinéastes, des écrivains, etc.
J’ai l’impression de tenter, à ma modeste mesure, d’y travailler chaque jour. Je crois au monde commun. Je pense que c’est la base de notre avenir. Nous sommes dans une période où règne l’intolérance et le fanatisme, où on refuse la différence.
Avez-vous envie de vous exprimer sur la vague d’attentats sans précédent qui a touché la France ces deux dernières années ?
Je suis une disciple d’Hannah Arendt, la philosophe la plus importante du 20e siècle.
Toute sa vie, elle a essayé justement de construire un monde commun et elle a expliqué que la démocratie était constituée de la reconnaissance de l’autre avec un grand A.
Je pense que ce monde commun qu’elle a essayé de construire après la tragédie de la Shoah, il faut le défendre.
Il faut le défendre parce qu’en France, comme dans d’autres pays, on est manifestement la cible de terroristes qui ne se considèrent pas eux-mêmes et qui pensent que la mort est plus importante que la vie. En tuant des gens qu’ils ne connaissent pas, ils pensent qu’ils vont soi-disant faire la révolution.
Il ne faut pas que ces attentats terroristes qui nous ont endeuillés au plus profond de nous-mêmes, à chacun d’entre nous Français, portent atteinte à notre capacité de liberté.
Je suis très admirative du peuple auquel j’appartiens, parce que la liberté, l’absolue liberté, le courage dont a fait preuve le peuple français dans son écrasante majorité est absolument incroyable, vraiment. Je suis fière d’être Française, au vu de cette liberté et du courage dont on a fait preuve.
La nouvelle génération nous montre déjà l’exemple. Je pense à ces attentats qui ont visé notamment des personnes assises en terrasse, à Paris. Dès le lendemain, ces mêmes terrasses ont été remplies de jeunes. Ils nous montrent le chemin : ne pas céder à l’intimidation d’une minorité de terroristes fous.
A l’exemple d’Israël qui a une grande capacité de résilience…
Oui, absolument. C’est l’unique chemin.
DEBAT D’IDÉES- LA NUIT DES IDÉES, Des femmes peu communes pour « un monde commun » : jeudi 26 janvier 2017, 18h30-00h00 au Musée d’Art de Tel Aviv, Sderot Sha’ul HaMelech 27, en français et en hébreu (traduction simultanée), entrée libre mais inscription obligatoire par mail : nightofideas@ambfr-il.org
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