Zeruya Shalev, gagnante du prix littéraire « Femina étranger »
L'auteur israélienne, qui a survécu il y a dix ans à un attentat suicide, s'est dite "ravie d’être la première Israélienne à recevoir ce prix"
Le Femina, l’un des principaux prix littéraires français, a récompensé lundi l’Haïtienne Yanick Lahens pour un roman sur son pays, traversé par les cataclysmes et l’opportunisme politique, et l’Israélienne Zeruya Shalev pour une oeuvre sur l’amour et la famille.
Le jury exclusivement féminin a estimé que « Bain de lune », de la romancière haïtienne Yanick Lahens, « nous sort de notre horizon habituel », a déclaré Christine Jordis, porte-parole du jury.
« Bain de lune » est un « beau roman qui a le sens du mystère et de l’invisible (…) L’auteur évoque les ancêtres disparus, à l’influence très forte sur les vivants », a-t-elle ajouté.
Dans le roman, un pêcheur découvre une jeune fille échouée sur la grève. La voix de la naufragée, qui en appelle aux dieux du vaudou et à ses ancêtres, scande cet ample roman familial qui convoque trois générations pour tenter d’élucider le double mystère de son agression et de son identité.
« C’est une merveilleuse surprise et une reconnaissance pour la littérature francophone en Haïti », a dit à l’AFP, Yanick Lahens, radieuse.
« Ce livre et ce prix sont une preuve que la culture haïtienne est très forte et le roman montre à quel point en Haïti nous savons toujours nous relever des épreuves », a-t-elle ajouté.
« Je suis très sensible au fait que le jury a compris que cette histoire, si elle se passe en Haïti, est universelle », a-t-elle encore confié.
Grande figure de la littérature haïtienne, engagée dans le développement social et culturel de son pays, Yanick Lahens est née à Port-au-Prince en 1953. Elle a cofondé l’Association des écrivains haïtiens, qui lutte contre l’illettrisme.
Variation sur les liens parents-enfants
Zeruya Shalev a reçu pour sa part le « Femina étranger », décerné à un roman écrit dans une autre langue que le français, pour « Ce qui reste de nos vies », que le jury a préféré au roman de l’Irlandais Sebastian Barry.
« Ce qui reste de nos vies » est une envoûtante variation, au soir de la vie d’une mère, sur les mystérieux liens tissés entre parents et enfants.
L’auteur, qui a survécu il y a dix ans à un attentat suicide dans son pays, s’est dite « ravie d’être la première Israélienne à recevoir ce prix », ajoutant vouloir « partager ce moment avec » son père, mort il y a deux semaines.
Zeruya Shalev, 55 ans, a écrit ce roman traduit de l’hébreu pendant ses longs mois d’immobilisation. Elle vit aujourd’hui à Jérusalem où elle est éditrice. Ses livres sont traduits en 21 langues.
« Ce qui reste de nos vies » est « mon livre le plus optimiste, je pense aussi que c’est le plus romantique. Mes personnages cherchent tous l’amour, ils y croient, bien plus que mes personnages antérieurs », explique la romancière.
Zeruya Shalev refuse de transformer la littérature en manifeste politique. Elle écrit, dit-elle, « des livres qui examinent l’âme humaine, universelle, qui parlent souvent de la guerre des sexes mais pas de la guerre des peuples ».
Dans « Ce qui reste de nos vies », une vieille femme, Hemda Horowich, vit ses derniers jours. Les souvenirs douloureux l’assaillent : son père trop exigeant, un mariage sans amour, cette difficulté à aimer équitablement ses deux enfants, Avner et Dina.
Face à leur mère mourante, Avner, le fils adoré, et Dina, la mal aimée, se battent pour tenter de changer leur vie.
Dans une langue puissante, Zeruya Shalev évoque avec maestria la colère, le ressentiment, la frustration et la peur qui construisent les familles autant que l’amour et le bonheur.
L’historien de la Rome antique Paul Veyne (84 ans), a par ailleurs remporté le prix Femina de l’Essai pour l’attachant livre de souvenirs « Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas ».