Israël en guerre - Jour 489

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Le casse-tête des divorces qui débouchent sur le départ d’Israël d’un conjoint

De plus en plus de couples décident de rédiger un accord qui spécifie la procédure à respecter pour déterminer où habiteront les enfants en cas de rupture

Journaliste Société-Reportage

Des enfants brandissent des drapeaux israéliens et américains à New York, le 4 juin 2017 (Crédit : Perry Bindelglass)
Des enfants brandissent des drapeaux israéliens et américains à New York, le 4 juin 2017 (Crédit : Perry Bindelglass)

Israël est un pays extrêmement cosmopolite. Des immigrés du monde entier affluent, s’installent, travaillent, se rencontrent, et se séparent parfois.

« C’est dans les premières années après l’installation que les divorces sont le plus fréquent, » affirme l’avocat Eytan Lipsker, spécialisé dans les cas d’enlèvement d’enfants et du droit de la famille, qui évalue le taux de divorce en Israël aux alentours de 35 %.

Au problème déjà douloureux du divorce vient parfois s’en ajouter un
autre : lorsque l’un des conjoints est israélien et l’autre d’origine étrangère, il arrive que ce dernier souhaite retourner dans son lieu de résidence d’origine. Parfois, si les deux sont immigrés, l’un souhaite rester et l’autre rentrer, ce qui peut occasionner de douloureux déchirements, notamment si le couple a des enfants.

Résultat : « Le nombre d’enlèvements d’enfants est important, » selon Lipsker dont c’est aujourd’hui la spécialité. J’en traite entre 2 et 5 par an. Il s’agit généralement d’un conjoint qui est parti en vacances dans son pays d’origine avec ses enfants et qui décide de ne pas rentrer ».

La loi française préfère quant à elle parler de « déplacement illicite« .

Photo d’illustration : un tribunal (Crédit : CC BY-SA onaeg news agency/Wikimedia Commons)

Le nombre de cas d’enlèvements impliquant des familles françaises a augmenté avec l’accélération des départs de Français juifs vers Israël entre 2015 (environ 8 000 départs) et 2016 (5 000). « Il y a 10 ans je ne voyais presque jamais de dossiers de ce genre impliquant des Français », souligne-t-il.

Aujourd’hui, le nombre d’enlèvements d’enfants est stable selon lui. « D’un côté le monde moderne favorise cette tendance car les gens sont davantage ‘nomades’: on le voit avec le nombre croissant d’expatriés et leurs opportunités d’être mutés pour 2 ou 3 ans aux Etats-Unis par exemple, comme cela arrive à un certains nombre d’Israéliens dans le high-tech. Ce nombre important de déménagements peut être un facteur de déchirements ».

On estime aujourd’hui à 56 ou 57 millions le nombre d’expatriés dans le monde, dont 2,5 millions de Français, selon l’étude annuelle d’Expat Insider citée par Capital. Les Français vivant à l’étranger étaient environ un million en 2000.

Mais un élément vient nuancer cette tendance : « de plus en plus de couples sont avertis de l’existence de la convention de la Haye ».

La convention de la Haye de 1980 à laquelle sont soumis les pays européens et qu’Israël a ratifiée en 1991 stipule qu’en cas d’enlèvements des enfants par l’un des conjoints, la justice du pays dans laquelle ils se trouvent doit statuer sur leur cas, et décider s’ils peuvent rester ou s’ils doivent rentrer.

Alors qu’auparavant les femmes qui partaient d’Israël avec leurs enfants étaient à peu près assurées d’en conserver la garde, l’application plus stricte par Israël de cette convention est venue modérer ce phénomène.

« La raison principale est que le statu quo au tribunal est en train de changer en faveur du père », analyse Lipskier. « Dans le passé une mère pouvait faire ce qu’elle voulait ou presque. Si elle partait avec ses enfants sans prévenir son mari, elle pouvait facilement en obtenir la garde. Dorénavant, la justice prend en considération tous les paramètres du bien-être de l’enfant, et elle ne considère plus que celui-ci ne dépend que de la maman ».

Auparavant, la règle générale et admise de manière implicite par les tribunaux israéliens était que la mère avait par principe le droit de garde de ses enfants. Aujourd’hui, les pères sont pris autant, et même parfois plus, en considération par les tribunaux. Selon les expériences récentes de Lipsker, la justice israélienne a même eu tendance ces trois dernières années à rendre des décisions favorisant largement la garde des enfants par leur pères : « De manière presque excessive, mais aujourd’hui nous sommes parvenus à peu près à l’équilibre, » analyse-t-il.

Des militants brandissent des pancartes pour protester contre le traitement des pères divorcés devant la Cour suprême de Jérusalem, le 6 décembre 2016 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Au-delà de la garde des enfants, Israël a connu une autre évolution sociétale majeure en 2017, autour de la question de la pension alimentaire d’ordinaire toujours versée par les pères. Suite à des manifestations de pères divorcés réclamant un changement, la Cour suprême a pris une une décision historique : considérant la loi existante comme discriminante, elle a jugé que les femmes pourront désormais payer une pension alimentaire. Les tribunaux devront désormais juger en fonction de la situation financière des deux parents.

Lipsker se souvient d’un de ces cas de plus en plus fréquent où la justice a donné raison au père divorcé : « J’ai traité le cas d’une femme qui est allée passer comme d’habitude ses vacances chez sa famille en Irlande, et qui a décidé de rester là-bas avec ses enfants sans prévenir son mari avec qui elle était en conflit. Le tribunal irlandais l’a renvoyée en Israël à cause de la convention de la Haye qui stipule que le pays où se trouve l’enfant doit juger de son sort. De retour en Israël, elle a entamé des démarches juridiques afin de retourner en Irlande avec ses enfants. Mais le tribunal a jugé qu’étant scolarisés en Israël – ils étaient alors au jardin d’enfants – ils devaient rester en Israël, pays considéré comme leur véritable lieu de résidence ».

Pour prendre ce genre de décision, les tribunaux évaluent tous les paramètres favorables au bien-être de l’enfant. « Et ils ne voient pas le conjoint qui a enlevé ses enfants d’un œil favorable », selon l’avocat. « Cela ne représente pas a priori un gage de stabilité ».

Autre exemple : une cliente de Lipsker a épousé un Américain et l’a suivi aux Etats-Unis. « Elle est tombée enceinte et a accouché là-bas, » se souvient-il. Trois mois plus tard, les conjoints se disputent et elle décide de rentrer en Israël avec l’enfant. Mais, alors que le garçon est né aux Etats-Unis où réside encore son père et où il a vécu les trois premiers mois de sa vie, le tribunal israélien a jugé qu’il pouvait rester en Israël.

« J’ai montré, en produisant des lettres que la maman avait écrites à ses proches, et en démontrant qu’elle avait conservé un compte bancaire ici en Israël, et avec d’autres petites choses encore, que son lien avec Israël n’avait jamais vraiment était rompu, et que l’on pouvait le considérer comme son véritable lieu de résidence, » se souvient l’avocat.

Exemple de la première page d’un contrat (« Heskem » en hébreu) signé en 2017 entre deux époux avant un déménagement (Crédit: autorisation)

Face à l’augmentation de ces divorces « internationaux », un nouveau phénomène a fait son apparition. Pour éviter ces complications en cas de divorce et de déménagement d’un conjoint à l’étranger, certains couples décident d’établir un accord écrit où ils s’engagent sur une procédure à suivre en pareils cas.

Ces clients prévoyants ont généralement déjà connu un divorce, et sont plutôt aisés financièrement, analyse l’avocat. Ces procédures coûtent chères, car les avocats travaillent jour et nuit avec les instances judiciaires des deux pays concernés pour un retour rapide de l’enfant.

« Les détails dans ce genre de contrat sont importants, explique Lipsker, car les modes de gardes seront forcément différents et devront s’adapter à la distance qui va séparer les parents ».

« Par exemple, nous avons établi un accord très précis l’été dernier pour une famille qui a décidé de partir d’Israel pour les Etats-Unis. Ils avaient déjà eu des problèmes dans leur couple précédent. Nous avons détaillé toutes les conditions en déterminant quelques étapes à suivre en cas de séparation ».

Ainsi, jusqu’à un an après l’installation aux Etats-Unis, l’un des deux parents qui voudrait revenir en Israël aurait le droit de le faire et de prendre les enfants avec lui. Entre un et deux ans après l’installation, ils ont décidé qu’il faudrait terminer l’année scolaire puis faire appel à un conseil local aux Etats-Unis, pour établir le meilleur lieu de vie pour l’enfant entre les Etats-Unis et Israël. Au bout de trois ans, ils devraient faire appel à un avocat sur place pour déterminer toutes les conditions de leur séparation.

L’avocat Ethan Lipsker (Crédit: Pierre-Simon Assouline)

« Des contrats comme cela, on va en voir de plus en plus, notamment grace au changement d’état d’esprit de la société israélienne et de sa justice, » analyse-t-il.

Imaginer tous les détails d’une rupture avant un mariage, ou un départ à l’étranger n’est-il pas difficile à envisager pour un couple ? « Il y a 2 ou 3 ans c’était très rare, mais aujourd’hui les gens osent se poser ces questions : que se passera-t-il si cela ne marche pas entre nous ? Je vais devoir vivre ici ou là-bas ? Des gens de France m’appellent parfois en amont de l’alyah. Parfois, ils me consultent pour des questions économiques relatives à l’alyah. C’est moi qui leur parle de ce type de contrat. Cela évite en cas de séparation beaucoup de douleur ».

« Les gens sont beaucoup plus prudents, ils se posent des questions et font des projets que l’on ne faisait pas avant, » conclut Lipsker.

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