Le contrôleur de l’État accusé d’être le « toutou » de Netanyahu
Le nouveau médiateur est sous le feu des critiques depuis qu'il envisage de réduire les effectifs de l'unité anti-corruption, saupoudre ses audits de compliments, - entre autres
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.

Deux mois après sa prise de fonction au poste de contrôleur de l’État, Matanyahu Englman n’a pas perdu de temps pour initier une vaste réforme de son nouveau bureau.
Le médiateur de l’État produit régulièrement des rapports étoffés grouillant de cas d’abus, de corruption et d’échecs du gouvernement à servir les citoyens. Il inflige également des amendes aux fonctionnaires et contribue à l’ouverture d’enquêtes judiciaires.
Mais Englman semble adopter une approche moins frontale.
Le projet d’Englman, dont les détails ont fuité dans le quotidien pro-Netanyahu Israel Hayom plus tôt ce mois-ci, comprend la fermeture de l’unité anti-corruption du bureau, la fin des évaluations des ministères en temps réel, la nécessité que tous les audits doivent inclure des commentaires positifs et la refonte de la Commission des permis chargée d’empêcher les conflits d’intérêts parmi les membres du gouvernement.
Alors que certains fonctionnaires du contrôle de l’État ont défendu ces réformes, indiquant qu’Englman tentait de rationaliser le processus d’audit et d’améliorer les relations avec les ministères, leurs détracteurs estiment, eux, que le choix du Premier ministre pour le poste est davantage préoccupé par le fait de faire plaisir à son patron en stérilisant une entité clé chargée de le surveiller.
« Si le Messie arrivait et annonçait qu’il n’y avait plus de corruption au sein de l’État d’Israël, alors je dirais qu’il faudrait fermer l’unité [anti-corruption]. Mais nous ne sommes pas dans une telle situation », dénonce Eliad Shraga, à la tête du Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël.
« Nous sommes dans une situation où la corruption croît et au lieu de faire passer les effectifs de l’unité de 25 à 250, il la ferme entièrement ».

Diversité politique vs. diversité démographique
Englman, comptable de formation et ancien directeur éducatif du prestigieux Technion et responsable du Conseil de l’enseignement supérieur, a été intronisé le 1er juillet dernier. Il est le premier contrôleur de l’État depuis trois décennies à ne pas être un ancien juge.
Un fonctionnaire du cabinet du contrôleur de l’État a indiqué au Times of Israel dimanche que le nouveau contrôleur se familiarisait encore avec son poste et que la plupart des réformes mentionnées plus haut en étaient toujours au stade de la réflexion.
Néanmoins, des changements ont déjà eu lieu au sein de la commission des permis.
La semaine dernière, Englman a annoncé la refonte de l’entité, qui a refusé — à trois reprises l’année passée — d’autoriser Netanyahu à accepter des dons de riches magnats pour financer ses frais de justice.
D’après la Treizième chaîne, le nouveau médiateur a tapé du poing sur la table lors d’une réunion en juillet, accusant des juges sortants de la commission d’avoir « outrepassé » leur autorité en demandant à Netanyahu de rembourser les 300 000 dollars que son cousin, l’homme d’affaires américain Nathan Milikowsky, lui avait donnés pour sa défense.
Moins d’un mois après ce reportage, trois membres du panel ont remis leur démission, un acte principalement symbolique puisque leur mandat doit prendre fin bientôt et ne sera pas renouvelé, comme leur a fait savoir Englman.
Ce dernier s’est jeté sur l’occasion pour initier la première phase de son projet, faire passer de quatre à huit le nombre de juges de la commission et en diversifier la composition pour inclure, pour la première fois, des représentants éthiopiens-israéliens et ultra-orthodoxes.
« Aujourd’hui, nous avons pris la première mesure de la mise en place d’une réforme qui favorisera les contrôles constructifs et de qualité », avait déclaré Englman dans un communiqué annonçant sa décision. « Le renforcement de la composition de la commission des permis permettra l’intégration d’experts de différents secteurs (droit, économie et administration publique) ainsi que l’élargissement de la diversité d’opinions et l’ouverture de la commission à différentes composantes de la société ».

Mais tandis qu’Englman se vante de la diversité démographique du panel, la Douzième chaîne a révélé que les affiliations politiques de quatre nouveaux membres étaient tout sauf diverses. Ces derniers auraient des liens avec le Likud, et deux d’entre eux ont publiquement exprimé leur soutien à Netanyahu à la lumière des enquêtes criminelles dont il fait l’objet.
Suite à ces révélations, l’ancien Premier ministre et candidat du Camp démocratique, Ehud Barak, a qualifié Englman de « misérable valet de Netanyahu », de « serpillière », lors d’un entretien sur l’antenne de la radio de l’armée la semaine dernière.
« Une honte pour l’institution qu’est le contrôle de l’État. Des gens nommés au sein de la Commission des permis se trouvent en situation de conflit d’intérêts », a ajouté Ehud Barak, faisant référence à la mission de l’institution.
Lundi, l’un des quatre nouveaux membres affiliés au Likud, Sara Frish, a notifié à Englman qu’elle n’était plus intéressée par le poste.
Rationaliser la bureaucratie ou ignorer les mauvaises conduites ?
Encore plus significatif peut-être que le remaniement de la commission des permis serait la fermeture de l’aile anti-corruption du service, instaurée il y a environ 15 ans par l’ancien contrôleur Micha Lindenstrauss.
Employant près de 25 personnes, c’est elle qui a révélé les délits ayant entraîné les condamnations de l’ancien Premier ministre Ehud Olmert et de Sara Netanyahu.
Tous les départements du contrôle de l’État enquêtent par définition sur les dérives légales du gouvernement, l’aile anti-corruption est spécifiquement chargée d’examiner les soupçons de corruption et peut recommander au procureur général d’ouvrir une enquête si nécessaire.
Défendant le projet de fermeture, un cadre du bureau d’Englman a expliqué que l’unité « avait nui au travail d’audit du bureau et poussé les ministères à ignorer leurs recommandations et refuser de coopérer avec les auditeurs ».

Il a également estimé qu’un service distinct au sein du bureau destiné à enquêter sur des soupçons de corruption n’était pas nécessaire alors que la police a déjà la responsabilité de le faire. D’après lui, les employés de l’unité « étaient occupés toute la journée à traiter des rumeurs au lieu de faire un travail sérieux d’audit », ajoutant qu’ils avaient privé de ressources précieuses d’autres départements. (Un ancien fonctionnaire du contrôle de l’État dont le mandat a pris fin le mois dernier a indiqué au Times of Israel qu’Englman lui-même avait été la source d’Israel Hayom pour son article sur les réformes prévues.)
Évoquant les accomplissements de l’unité anti-corruption au cours de sa brève histoire, le responsable du Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël, Eliad Shraga a catégoriquement rejeté les arguments employés pour justifier sa fermeture.
« Ce n’est pas une question de rationalisation. Lorsque vous utilisez cinq cannes à pêche, vous avez plus de chances d’attraper un gros poisson que si vous n’en avez qu’une », a déclaré Elia Shraga lors d’un entretien la semaine dernière dans lequel il défendait l’utilité d’avoir une entité autre que la police pour enquêter sur les cas de corruption.
Il a souligné que tandis que la police ne peut pénétrer dans un cabinet gouvernemental pour enquêter qu’après avoir reçu des renseignements précis ou après le dépôt d’une plainte, les responsables du contrôle de l’État sont eux en contact avec les différents ministères de façon quotidienne, ce qui les rend bien mieux placés pour identifier d’éventuels cas de corruption.

Il a également relevé que la corruption en Israël ne faisait qu’empirer et nécessitait davantage de ressources, pas moins.
L’Indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency International a classé Israël à la 34e place des pays les moins corrompus en 2018 parmi 180 autres nations. C’est deux places de moins que l’année précédente. L’État juif se retrouve derrière ses voisins du Moyen-Orient que sont le Qatar et les Émirats Arabes Unis.
En plus de Netanyahu, menacé par une mise en examen pour pots-de-vin, fraude et abus de confiance dans trois affaires, deux autres ministres risquent également une inculpation – le vice-ministre de la Santé Yaakov Litzman et le ministre de l’Intérieur Aryeh Deri. Le député Likud Haim Katz a quant à lui démissionné de son poste de ministre des Affaires sociales la semaine dernière après que le procureur général Avichai Mandelblit a fait part de son intention de le mettre en examen pour fraude et abus de confiance. Son collègue du Likud David Bitan fait également l’objet d’une enquête pour des faits de corruption présumés.
Des compliments a posteriori
D’après le « haut fonctionnaire » cité par Israel Hayom, Englman envisage également d’ajouter une clause au mandat du contrôleur qui obligerait les audits à inclure des félicitations aux bureaux ayant fait l’objet d’un contrôle.
« Les derniers contrôleurs n’écrivaient que des reproches, et chaque section [de leurs rapports] se terminait sur des commentaires négatifs, mais statutairement l’auditeur doit donner des exemples de précédentes recommandations ayant été mises en place avec succès », affirme le haut fonctionnaire.
Shraga était loin d’être impressionné par le projet du nouveau contrôleur. « Vraiment ? Vous voulez distribuer des compliments aux gens, car ils font ce qu’on attend d’eux par nature ? » s’est-il agacé
Il a également qualifié « [d’]absurde » l’intention d’Englman de mettre un terme aux audits en temps réel.

Englman avait semblé défendre cette idée en mai quand il était candidat au poste, indiquant à Israel Hayom que « le contrôleur devrait se consacrer à l’audit et laisser la gestion à l’État ».
Le « haut fonctionnaire » ayant renseigné le quotidien un mois plus tard a détaillé ce point, arguant qu’un bon audit ne peut débuter qu’après les faits.
La professeure de sciences politiques à l’Université hébraïque Gayil Talshir a expliqué que la nomination d’Englman et les réformes qu’il prévoit pourraient être mieux comprises quand on considère le comportement adopté par les gouvernements Netanyahu successifs vis-à-vis du rôle des garde-fous de l’État d’Israël.
« Ce dont sont accusés les gouvernements Netanyahu, c’est qu’ils ont systématiquement tenté d’affaiblir les institutions dont le travail est essentiel à l’équilibre de leurs pouvoirs », explique l’expert, faisant référence aux efforts employés pour faire adopter une loi autorisant la Knesset à passer outre les vétos infligés à leurs lois par la Cour suprême ainsi que les tentatives visant à autoriser les ministres à choisir eux-mêmes leurs conseillers juridiques.
« L’argument, c’est que Netanyahu a tenté de nommer des personnes de confiance à des postes de pouvoir pour que les audits soient moins critiques », a ajouté Gayil Talshir, citant au passage la nomination de l’ancien ministre de Netanyahu Daniel Hershkowitz au poste de Commissaire à la fonction publique.
De leurs côtés, Netanyahu et ses alliés affirment que leur intérêt est de garantir que les opinions de la majorité de leurs électeurs soient représentées, mais Gayil Talshir rétorque que ce qui qualifie une démocratie libérale, c’est sa capacité à défendre les droits de la minorité ainsi que le contrôle du pouvoir d’un gouvernement.
S’il y en a un qui s’est réjoui de l’approche d’Englman, c’est le Premier ministre lui-même, estimant « merveilleux » la position du nouveau contrôleur sur les audits a posteriori.
« Celui qui décide en temps réel, c’est le gouvernement. À la suite de quoi, le contrôleur peut procéder à un audit », avait-il déclaré à la Douzième chaîne en juin peu après l’approbation du candidat Englman par la Knesset.
« Un commandant peut-il diriger une armée s’il doit s’inquiéter en temps réel de ce que les critiques vont dire ? Pensez-vous que Jeff Bezos pourrait travailler ainsi ? Et Amazon ou Google ? », avait-il interrogé rhétoriquement, reprenant un argument semblable à ceux avancés par ses défenseurs pour justifier leur opposition à la mise en examen d’un Premier ministre en exercice.