Le décompte électoral israélien risque de sombrer dans la farce
Il n'y a aucune raison de croire qu'il se passe quelque chose de fâcheux ; mais les retards, divergences et problèmes techniques menacent de saper la confiance dans les résultats
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Les journalistes et commentateurs avisés de la politique israélienne ont une règle le soir des élections, apprise à leurs dépens après des années d’amère expérience : lorsque les sondages de sortie des urnes sont publiés à 22 heures, dire aux lecteurs, aux téléspectateurs et aux auditeurs de ne pas les prendre trop au sérieux.
Les élections successives ont confirmé que ces sondages, même si les présentateurs de télévision et leurs collègues experts en statistiques les ont présentés de façon spectaculaire et avec assurance, sont souvent inexacts. D’où l’impératif d’attendre un peu avant d’attribuer une victoire ou de tirer d’autres conclusions radicales ; d’être patient jusqu’à ce qu’une bonne proportion des votes réels ait été décomptée, généralement environ trois heures en moyenne seulement après.
De toute évidence, personne n’avait enseigné à Benny Gantz, le novice en politique qui a défié Benjamin Netanyahu dans ce scrutin, cette leçon la plus fondamentale de la réalité du soir des élections. Et c’est ainsi que, après la diffusion d’un des trois principaux sondages de sortie des urnes à 22 heures, celui annoncé par la chaîne de télévision israélienne la plus regardée, la Douzième, est tombé le résultat que le parti Kakhol lavan de Gantz devancerait le Likud de Netanyahu avec 37 sièges contre 33, et que Gantz pourrait être en mesure de former une coalition majoritaire, et que Gantz s’est rendu à la soirée électorale de son parti et a annoncé à ses partisans en liesse : « je serai le Premier ministre » et qu’il formera une coalition gouvernementale « qui représente tout Israël ».
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L’annonce prématurée de Gantz était d’autant plus ridicule qu’il l’a faite deux heures après la diffusion des sondages de sortie des urnes, alors que tous les observateurs israéliens avaient remarqué depuis longtemps que le sondage de la Douzième chaîne était un cas isolé ; les deux autres sondages de sortie des urnes, celui de la Treizième chaîne et celui de la chaîne publique Kan, indiquaient clairement que Netanyahu était le mieux placé pour former une coalition majoritaire. (Même la Douzième chaîne affichait depuis longtemps les trois sondages de sortie des urnes au bas de son écran, mettant en évidence les écarts). Cela ne signifiait pas que les deux autres sondages étaient nécessairement plus fiables que ceux de la Douzième chaîne, mais cela soulignait certainement l’absurdité de faire des déclarations grandioses sur la base de l’un d’eux.
Ce qu’il s’est passé depuis la publication de ces sondages de sortie des urnes, cependant, est ce qui est censé être la partie la plus fiable du processus de rapport post-électoral – la partie sur laquelle nous pouvons compter, la partie où l’auguste commission centrale électorale, expérimentée, non soumise à des notations et sans limite de temps, compte efficacement les votes réels et informe les électeurs de son progrès via son site Internet.
Sauf que ce n’est pas ce qu’il s’est passé.
Dans la nuit de mardi à mercredi, le décompte s’est d’abord déroulé à un rythme curieusement long. Seuls quelque 4,3 millions d’Israéliens ont voté, et cela a pris un temps inhabituellement long pour qu’une proportion importante de ce nombre soit enregistrée et totalisée.
Une inspection minutieuse du site au cours de la journée de mercredi a en outre révélé de curieuses anomalies, notamment des taux de participation de plus de 500 % dans une circonscription et de plus de 100 % dans plusieurs autres ; des informations font également état de résultats (en hébreu) extrêmement improbables dans certaines régions, dont un soutien important à l’un des partis arabes dans l’implantation Bat Ayin au sud de Jérusalem. Des membres de la commission auraient évoqué des erreurs techniques.
Alors que mercredi a cédé la place à jeudi, et que les 6 % restants ont été dépouillés – les votes « supplémentaires » des soldats et des diplomates qui prennent plus de temps à finaliser, car il faut vérifier que les soldats, par exemple, ne votent pas à la fois dans leur base et dans leur bureau de vote local – ce qui semblait être une légère perturbation est devenu beaucoup plus dramatique : HaYamin HaHadash de Naftali Bennett et Ayelet Shaked était resté juste en dessous du seuil de 3,25 % pour entrer à la Knesset, et avait placé ses espoirs dans les votes des soldats pour faire passer de zéro à quatre sièges au Parlement.
Et en effet, dès 8h42 jeudi, ses espoirs semblaient récompensés : le site de la commission centrale électorale présentait HaYamin HaHadash à 3,26 %, entrant finalement à la Knesset.
Ou pas.
Vers 10h du matin, un représentant de la commission informait les journalistes que le site était défaillant, victime d’un bug : HaYamin HaHadash est en fait arrivé à 3,22 % avec tous les votes désormais comptabilisés – il lui manque le chiffre crucial de 1 380 voix pour obtenir le moindre siège. En même temps, la commission elle-même, tout en confirmant que le dépouillement était terminé, a déclaré qu’elle attendait un peu plus longtemps pour annoncer officiellement les résultats, après avoir décidé de faire quelques vérifications finales, estimant que le décompte était très serré et donc sensible.
En début d’après-midi de jeudi, l’annonce officielle étant toujours imminente, la commission a annoncé que les résultats définitifs, avec ces derniers 6 % de votes supplémentaires, affecteraient plusieurs partis ; plusieurs gagneraient ou perdraient des sièges par rapport à leur classement avant que les votes supplémentaires soient comptabilisés. D’ordinaire, cela n’aurait pas été surprenant, mais dans le climat de difficultés techniques et de suspicion qui prévaut actuellement, il semblait probable que cela intensifierait le chœur de plaintes de plus en plus nombreux – mené par HaYamin HaHadash, mais non limité à ce parti – au sujet du processus de comptage.
La nécessité de considérer avec suspicion les données non officielles des sondages d’opinion d’Israël est une simple question d’arithmétique : lorsque des dizaines de partis se disputent des sièges, lorsque vous avez un seuil d’éligibilité qui peut faire passer n’importe lequel de ces partis de zéro à quatre sièges sur la base d’une seule voix ; quand vous essayez de sonder un public qui parle plusieurs langues, avec certains secteurs plus enclins à répondre aux sondeurs les contactant par téléphone, et d’autres plus enclins à répondre aux sondeurs qui leur envoient des courriels, et toutes sortes d’autres permutations supplémentaires… les sondages seront par définition peu fiables.
Et le résultat réel ? C’est une chose dont nous dépendions jusqu’à présent en Israël et sur laquelle nous devons pouvoir compter.
Au moment d’écrire ces lignes, le site Web public de la commission centrale électorale affiche HaYamin HaHadash à 3,26 % – c’est-à-dire qu’il a remporté quatre sièges à la Knesset. Les responsables de la commission disent depuis des heures que ce n’est pas le cas, cependant – et que HaYamin HaHadash n’a pas réussi à franchir le seuil – que le décompte est exact mais qu’il y a eu des problèmes pour introduire les chiffres sur le site, citant encore des problèmes techniques. Que sont censés en attendre les électeurs israéliens ? Si le site est inexact, pour commencer, pourquoi ne pas le dire ? Sur le site.
Il n’y a à ce jour aucune raison crédible de croire que l’affirmation de sources anonymes de HaYamin HaHadash selon laquelle l’élection est « volée ». Mais plus cette farce se prolonge, plus la crédibilité du processus de dépouillement électoral en pâtit. Et plus il est probable, une fois les résultats définitifs officiellement annoncés, qu’ils seront contestés – ironiquement devant la Cour suprême dont Ayelet Shaked a promis de limiter les pouvoirs en cas de réélection.
Et, enfin, plus le danger est grand, quelle que soit la décision finale, qu’une partie de la population ait perdu un peu de sa confiance dans l’intégrité du processus électoral.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel