Le directeur du Mémorial de la Shoah de Paris défend « une histoire comparée des génocides »
"Parler de l'histoire de la Shoah sur le seul plan historique aujourd'hui ne suffit plus, parce qu'il y a une force des préjugés qui fait que l'antisémitisme est durablement établi", explique Jacques Fredj
« Travailler sur l’histoire comparée des génocides permet une stratégie pédagogique », estime Jacques Fredj, le directeur du Mémorial de la Shoah à Paris, qui s’apprête à commémorer la Journée internationale de la mémoire des génocides, qui a lieu samedi.
A la veille de cette journée mémorielle, qui marque la libération du camp d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 1945, une cérémonie réunit vendredi des lycéens « ambassadeurs de la mémoire » dans la crypte du Mémorial.
« La transmission de l’Histoire de la Shoah se fait aujourd’hui à l’école », assure à l’AFP le directeur du Mémorial qui reçoit chaque année « 100 000 scolaires ».
Mais « enseigner l’histoire de la Shoah, c’est un sujet très compliqué : il faut des connaissances sur le processus génocidaire, mais aussi sur le nazisme, la fin du 19e siècle, l’histoire des juifs en Europe, sur ce qu’est exactement le sionisme… »
Et « parler de l’histoire de la Shoah sur le seul plan historique aujourd’hui ne suffit plus, parce qu’il y a une force des préjugés qui fait que l’antisémitisme est durablement établi », ajoute Jacques Fredj.
En témoigne la flambée des actes antisémites l’an dernier, multipliés par quatre selon un rapport du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) qui déplore une « explosion » après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre.
« Dans cette montée de l’antisémitisme, la question de l’éducation a été cruellement absente » alors qu' »il y a un déficit de connaissance total », déplore Jacques Fredj, pour qui les jeunes « sont submergés par les images qu’ils voient, avec une confusion totale ».
« Catastrophe annoncée »
Comment le Mémorial de la Shoah peut-il contrer cette évolution ?
« Si on veut faire de la prévention, il faut replacer la Shoah dans un contexte plus long de l’histoire des génocides (…). On va parler de l’ensemble des procédure génocidaires parce qu’il n’y a pas de concurrence des mémoires, mais des spécificités propre à chaque génocide », ajoute-t-il.
Dans son approche, le Mémorial parle donc des Arméniens, des peuples indigènes Herero et Nama dans l’actuelle Namibie ou encore des Tutsi au Rwanda, dont le génocide il y a trente ans fait l’objet d’une exposition depuis mercredi.
« On multiplie notre capacité à parler des autres génocides pour montrer que le mécanisme de la Shoah est le même. Un génocide, ça commence par des signes, la propagande, l’exclusion… ».
Et au bout du compte, « travailler sur l’histoire comparée des génocides permet d’avoir une stratégie pédagogique ».
La disparition progressive des témoins de la Shoah ne facilite pas les choses: « Ils emporteront les témoignages avec eux, la capacité à répondre à des questions, à dialoguer » rappelle Jacques Fredj qui voit là « une catastrophe, mais une catastrophe prévisible, annoncée ».
Le Mémorial a donc renforcé la collecte des archives, passant « de 20 à 50 millions de documents » : enregistrement des témoignages, documents d’archives… « On s’attache à constituer des dossiers documentaires pour raconter des parcours individuels », ancrés dans l’histoire locale, dit-il.
Cette démarche, qui « correspond à un mouvement historiographique », a aussi une vertu pédagogique auprès des élèves: « si vous racontez l’histoire de leur ville, de leur quartier… tout à coup vous allez capter leur attention ».
Ces archives « vont constituer les armes de demain pour lutter contre la relativisation, la banalisation », ajoute M. Fredj, conscient qu' »il faut nous préparer à des tentatives de remise en cause de l’histoire de Vichy, de la Shoah, qu’on croyait révolues ».
Et il reste des documents à collecter, ajoute-t-il.
« En 2010 on a découvert le brouillon du statut des juifs, annoté de la main de Pétain. On imaginait que c’était un vieillard grabataire qui s’était laissé mener par le bout du nez. On s’est rendu compte que l’antisémitisme faisait partie de sa façon de voir et on a changé de regard sur Pétain ».
De même, la découverte, en 2021, d’un reportage photographique sur la rafle du 14 mai 1941, dite « du billet vert », première arrestation massive de 3.700 Juifs étrangers en France, « a permis de parler différemment de cet épisode méconnu du grand public ».