Israël en guerre - Jour 530

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Explications

Le gouvernement et la Haute Cour s’opposent cette fois sur la loi de « récusation »

Les requérants et la procureure générale soutiennent que la loi, qui empêche la Cour de destituer un Premier ministre frappé d'incapacité, n'est pas constitutionnelle

Jeremy Sharon

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu portant un toast lors de la réunion hebdomadaire du cabinet avant le Nouvel an juif, le 10 septembre 2023. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu portant un toast lors de la réunion hebdomadaire du cabinet avant le Nouvel an juif, le 10 septembre 2023. (Crédit : Chaïm Goldberg/Flash90)

Alors que les tensions sociétales et politiques en Israël sont plus vives que jamais, la Haute Cour de justice – véritable épicentre de ces tensions – doit entendre jeudi les recours déposés contre la loi, récemment adoptée par le gouvernement, qui empêche la Cour d’ordonner au Premier ministre de se récuser.

Entre-temps, la Cour a cessé de recevoir les recours déposés lui demandant de le faire.

Adoptée en mars, la loi elle-même est fondamentalement liée à la tempête politique qui s’est abattue sur le pays depuis que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a été inculpé en 2020 pour corruption et, par extension, à la grave polarisation qui en a résulté.

L’audience de jeudi sera le deuxième volet de la télénovela judiciaire de ce mois, après l’audience sur la loi du « caractère raisonnable » qui s’est tenue plus tôt en septembre, qui a donné lieu à une confrontation entre le gouvernement et le pouvoir judiciaire au sujet de la loi largement controversée, qui limite le pouvoir de contrôle judiciaire des tribunaux sur les décisions administratives du gouvernement.

Bien que la loi de « récusation » ait moins d’impact constitutionnel en termes d’équilibre des pouvoirs entre le judiciaire et l’exécutif, il s’agit néanmoins d’une question très sensible étant donné l’importance que Netanyahu lui accorde. Son camp politique voit dans toute tentative d’invalidation de cette loi une menace pour son poste de Premier ministre et une atteinte à sa stabilité.

De plus, la loi de « récusation », tout comme la loi du « caractère raisonnable », est un amendement à l’une des Lois fondamentales – en l’occurrence, la Loi fondamentale : Le gouvernement.

Le président de la commission spéciale de la Knesset sur les amendements à la Loi fondamentale : Le gouvernement, le député Likud Ofir Katz votant lors d’une réunion de la commission pour approuver le projet de loi pour ses lectures finales dans le plénum de la Knesset, le 21 mars 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Les Lois fondamentales sont quasi-constitutionnelles, ce qui rend leur invalidation ou leur modification très controversée.

La loi de « récusation », peut-être plus correctement appelée loi d’incapacité, a modifié une ambiguïté de la Loi fondamentale dans laquelle le tribunal aurait théoriquement pu avoir le pouvoir d’ordonner à un Premier ministre de se récuser dans certaines circonstances, notamment en cas de violation d’un accord sur les conflits d’intérêts tel que celui signé par Netanyahu.

La loi stipule désormais que le pouvoir de déclarer le Premier ministre inapte ne relève que du gouvernement et de la Knesset, sur la base de motifs médicaux uniquement, et nécessite le soutien de 75 % des ministres du cabinet et de 80 législateurs sur les 120 membres du Parlement.

En vertu de l’accord de 2020 sur les conflits d’intérêts, rédigé par le procureur général de l’époque, Avichaï Mandelblit, afin de permettre à Netanyahu de rester Premier ministre alors qu’il avait été inculpé pour corruption, ce dernier ne peut pas être impliqué dans des questions qui concernent les témoins ou d’autres défendeurs dans son procès, ou dans des projets de loi qui pourraient avoir un impact sur les procédures judiciaires à son encontre.

À LIRE – État d’Israël vs. Netanyahu : détails de l’acte d’accusation du Premier ministre

Cet accord interdit à Netanyahu de participer à la nomination de juges et de hauts responsables juridiques, en particulier au tribunal de Jérusalem où se déroule son procès, ainsi qu’à la Cour suprême où se tiendrait l’appel d’une éventuelle condamnation à son encontre. L’accord lui interdisait également de participer à l’élaboration de lois susceptibles d’affecter la procédure ou l’issue de son procès.

En février, la procureure générale Gali Baharav-Miara a écrit à Netanyahu pour lui dire explicitement que, selon son avis juridique, l’accord lui interdisait de s’impliquer dans la législation de la refonte judiciaire de son gouvernement. Le paquet législatif comprend des mesures qui donneraient au gouvernement un plus grand contrôle sur la commission de sélection des juges, qui nomme les nouveaux magistrats.

Deux organisations ont ensuite saisi la Haute Cour pour lui demander d’ordonner à Netanyahu de se récuser en raison de ce qu’elles considèrent comme une violation de l’accord sur les conflits d’intérêts. La Cour a accepté d’entendre les recours déposés.

Huit jours plus tard, alors que Netanyahu craignait de plus en plus que la Cour ne le démette de ses fonctions, plusieurs députés de la coalition ont présenté des projets de loi visant à empêcher la Cour d’ordonner au Premier ministre de se récuser. La version finale du projet de loi soutenu par le gouvernement a été approuvée le 23 mars.

Bien que les procédures judiciaires relatives aux recours déposés demandant au tribunal d’ordonner la récusation de Netanyahu étaient déjà en cours, le projet de loi les a stoppées net, car la loi était désormais sans ambiguïté : seuls le gouvernement, la Knesset ou le Premier ministre lui-même pouvaient déclarer Netanyahu inapte et incapable d’exercer ses fonctions de Premier ministre.

Les recours contre la loi n’ont pas tardé à arriver, déposés par l’ONG Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël et le parti Yisrael Beytenu.

Ils ont fait valoir qu’étant donné que la législation était directement conçue pour aider Netanyahu à se soustraire aux recours déposés visant à ce que la Cour lui ordonne de se récuser – comme l’ont ouvertement reconnu certains députés de la coalition – cet aspect personnel de la loi la rendait inapte à faire partie de l’ordre constitutionnel.

La Haute Cour a développé une doctrine de « l’abus du pouvoir constituant » selon laquelle elle pourrait, dans certaines circonstances, invalider une Loi fondamentale ou un amendement à celle-ci, si la Knesset avait abusé de ses pouvoirs pour adopter ces lois quasi-constitutionnelles à des fins personnelles et à court terme. Aider le Premier ministre à éviter des poursuites judiciaires pourrait bien entrer dans cette catégorie.

La présidente de la Cour suprême Esther Hayut, au centre, le juge Uzi Vogelman, à gauche, et le juge Issac Amit, à la Cour suprême de Jérusalem, le 3 août 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

La procureure générale elle-même a fait valoir cet argument dans sa réponse aux recours déposés – en opposition à la position du gouvernement – en écrivant que la législation représentait « un coup sévère porté à l’État de droit » qui pourrait « établir un modèle d’utilisation abusive du terme ‘Loi fondamentale’ afin de créer un abri pour la violation de la loi, de nuire à la conduite éthique et de rendre les procédures judiciaires non-pertinentes en cours ».

Netanyahu et son équipe de juristes ont répondu à ces arguments par plusieurs aspects juridiques.

Dans sa réponse aux recours déposés, l’avocat de Netanyahu a fait valoir que la Cour n’a aucun pouvoir de contrôle judiciaire sur les Lois fondamentales puisqu’elles définissent l’espace juridique dans lequel fonctionnent toutes les institutions gouvernementales israéliennes, y compris la Haute Cour, et qu’elles ne sont donc soumises qu’à la Knesset en sa qualité d’autorité constituante, c’est-à-dire l’institution chargée de formuler la constitution d’Israël.

Netanyahu a également fait valoir que la version précédente de la loi n’avait jamais permis à la Haute Cour ou au procureur général d’ordonner à un Premier ministre de se récuser, et que la législation ne faisait que clarifier cette situation.

Enfin, il a fait valoir que la loi elle-même ne tombait pas sous le coup de la doctrine du « détournement du pouvoir constituant » puisque la loi a été formulée de manière générale et à long-terme et qu’elle s’appliquera à tous les Premiers ministres à l’avenir, et qu’elle est donc largement applicable.

« Il s’agit d’un amendement constitutionnel qui est un arrangement constitutionnel général, inclusif, permanent et stable basé sur un objectif public et politique », a soutenu l’avocat de Netanyahu, Me Michael Rabello.

Mais malgré les arguments de Netanyahu et de son équipe juridique, la Haute Cour a déjà adopté une position défavorable à l’égard de la législation.

Lors d’une audience préliminaire sur les recours déposés en août, devant les trois juges les plus anciens de la Cour, ces derniers ont clairement indiqué qu’ils pensaient que la loi avait été très clairement conçue pour profiter personnellement à Netanyahu.

Me Michael Rabello lors d’une audience de la Haute Cour de justice pour les recours déposés contre la loi de « récusation » du Premier ministre de la coalition, le 3 août 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

« La présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a demandé avec insistance si la nature personnelle de cette loi ne relevait pas d’un abus du pouvoir constituant de la part de la Knesset. Elle a également déclaré que la Cour n’avait déploré que récemment ce qu’elle appelle l’abus des Lois fondamentales à des fins politiques à court terme, comme un amendement qui a empêché la tenue d’élections en 2020 en prolongeant le délai d’adoption du budget, ou une loi adoptée pour permettre au dirigeant du Shas, Aryeh Deri, de reprendre ses fonctions ministérielles après que la Haute Cour lui a interdit d’occuper des postes au sein du cabinet.

« Nous avons déjà exprimé des critiques, mais il semble qu’elles tombent dans l’oreille d’un sourd », avait déploré Hayut lors de l’audience du mois d’août.

À la suite de cette audience, la Cour avait émis une injonction ordonnant au gouvernement d’expliquer devant un panel élargi de 11 juges pourquoi la mise en œuvre de la législation ne devrait pas être reportée à une date ultérieure afin d’éliminer son aspect « fait sur mesure ».

Une telle injonction indique clairement que la Cour est encline à intervenir, car elle donne un premier aperçu de l’orientation de la pensée des juges et impute la charge de convaincre la Cour au gouvernement, et non plus aux requérants.

La présidente de la Cour suprême, la juge Esther Hayut, lors d’une audience sur les recours déposés contre la loi de « récusation » de la coalition, le 3 août 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Une décision de la Cour de retarder la mise en œuvre de la loi serait une décision dite « interprétative », par laquelle la Cour tente d’éviter de prendre la mesure controversée d’invalider la législation de la Knesset en « l’interprétant » d’une manière qui soit conforme au droit israélien existant.

Une telle décision pourrait être considérée comme la voie la plus modérée puisqu’elle évite une invalidation pure et simple, bien que le ministre de la Justice Yariv Levin et les chefs de la coalition aient insisté sur le fait qu’ils considéreraient une telle intervention comme tout aussi illégitime et qu’ils ont refusé de s’engager à respecter une telle décision.

Malgré les indicateurs, il y a encore des raisons de croire que la Cour n’interviendra pas nécessairement sur la loi de « récusation ».

Tout d’abord, la Haute Cour n’est jamais intervenue sur une Loi fondamentale, et n’en a encore moins invalidée, car elle est consciente des énormes ramifications constitutionnelles d’une telle intervention, sans parler des répercussions politiques et sociétales qui en résulteraient.

En outre, les commentaires des trois juges de la Haute Cour lors de l’audience du mois d’août et l’injonction qui s’en est suivie ne nous renseignent que sur les opinions de ces trois juges spécifiques – Hayut, Uzi Vogelman et Isaac Amit.

L’audience de jeudi sera présidée par 11 juges, dont cinq peuvent être définis comme conservateurs, et au moins deux d’entre eux – David Mintz et Noam Sohlberg – ont exprimé de sérieux doutes quant au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour sur les Lois fondamentales.

Même s’il existe une faible majorité de six juges en faveur d’une intervention, Hayut pourrait hésiter à prendre la décision sans précédent d’invalider une Loi fondamentale avec une Cour aussi divisée, ce qui pourrait être interprété comme une atteinte à la légitimité d’une telle décision.

La loi de « récusation » est d’une importance capitale pour Netanyahu, car il la considère comme essentielle pour assurer son maintien au poste de Premier ministre face à ce qu’il considère, ou du moins qualifie, comme une élite juridique hostile qui cherche à le renverser.

Si la Haute Cour devait intervenir, ne serait-ce que pour retarder la mise en œuvre de la loi, il y aurait certainement d’énormes répercussions politiques qui pourraient déstabiliser davantage les dispositions constitutionnelles du pays.

En même temps, il est peu probable que la Cour prenne en compte les sentiments et les préoccupations politiques de Netanyahu.

Mais elle sera très consciente des arguments de fond avancés par l’équipe juridique de Netanyahu, de la division probable de la Cour sur la législation et de l’étape radicale que représentera toute intervention sur une Loi fondamentale.

Les défis constitutionnels posés par la coalition atteignent rapidement leur paroxysme, l’audience de jeudi étant la deuxième de trois affaires majeures devant la Cour, la première ayant été l’audience sur la loi du « caractère raisonnable », et la troisième étant l’audience à venir en octobre sur le refus de Levin de convoquer la commission de sélection des juges.

À LIRE : Les branches du pouvoir israélien s’affrontent dans trois affaires majeures

Ce gouvernement met à rude épreuve l’indulgence de la Cour. Il reste à voir jusqu’à quel point il pense pouvoir faire preuve de retenue face à l’ensemble des mesures douteuses sur le plan constitutionnel.

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