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La loi sur la récusation du Premier ministre, « clairement personnelle » pour la Cour

Les juges ont laissé entendre qu'ils envisageaient de retarder la mise en œuvre de la loi qui empêche le tribunal de destituer un Premier ministre

Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Esther Hayut, présidente de la Cour suprême, à Jérusalem, le 3 août 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Esther Hayut, présidente de la Cour suprême, à Jérusalem, le 3 août 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

La Haute Cour de justice a affirmé jeudi dans des termes sans équivoque qu’elle considérait que la loi récemment adoptée empêchant la Cour d’ordonner à un Premier ministre de se récuser était une mesure législative très personnelle. Elle a laissé entendre qu’elle envisageait la mise en place d’une mesure qui retarderait l’application de la loi.

Esther Hayut, présidente de la Cour suprême, a plaisanté en affirmant que les « empreintes digitales » de ce projet conçu pour empêcher que le Premier ministre Benjamin Netanyahu ne reçoive l’ordre de se récuser étaient « très claires ». Son collègue, le juge Uzi Vogelman, a lui simplement déclaré que : « Le fait est que cette loi est personnelle. »

L’audience de la Cour ce jeudi a duré cinq heures, et la date à laquelle le tribunal rendra sa décision dans l’affaire reste indéterminée.

De manière significative, les trois juges présidant l’audience ont demandé à plusieurs reprises aux avocats des requérants si ce problème pouvait être résolu en retardant l’application de la loi – un amendement à la Loi fondamentale : le gouvernement –, une décision qui serait similaire à celle rendue par le tribunal il y a trois jours contre un autre projet de loi de la coalition, la loi dite de Tibériade.

L’avocat de Netanyahu a cependant avancé un contre-argument, affirmant que la loi était légitime et ne devrait pas être annulée par le tribunal, car, selon lui, elle n’a pas été conçue spécifiquement pour profiter à Netanyahu, mais plutôt pour garantir que des responsables non élus ne puissent pas destituer du pouvoir un Premier ministre élu.

Autre moment important de l’audience : Vogelman a insisté lors de l’audience sur le fait que la Haute Cour était pleinement dans son autorité pour exercer un contrôle judiciaire sur les Lois fondamentales quasi constitutionnelles d’Israël, y compris la loi de récusation de la coalition qui viendrait modifier la Loi fondamentale : le gouvernement.

La présidente de la Cour suprême Esther Hayut (au centre) avec le juge Uzi Vogelman (à gauche) et le juge Issac Amit à la Cour suprême de Jérusalem, le 3 août 2023. (Yonatan Sindel/Flash90)

Plusieurs ministres ont affirmé ces derniers jours que la Haute Cour n’avait pas le pouvoir d’annuler ou de modifier les Lois fondamentales, notamment le ministre du Patrimoine, Amichai Eliyahu, qui a déclaré que la Knesset ne respecterait pas une telle décision.

En mars, la coalition a adopté un amendement à la Loi fondamentale : le gouvernement, éliminant la possibilité pour la Haute Cour d’ordonner à un Premier ministre de se récuser. La loi stipule que ce pouvoir n’appartiendra qu’au gouvernement et à la Knesset, sur la base de raisons médicales, et a requis le soutien de 75 % des ministres et de 80 législateurs au sein du parlement de 120 membres.

La législation a été adoptée dans un contexte de requêtes déposées auprès de la procureure générale exigeant qu’elle ordonne à Netanyahu de se récuser de ses fonctions pour avoir apparemment violé un accord sur des conflits d’intérêts qu’il a signé en 2020, sous les auspices de la Haute Cour, lui permettant de continuer à servir comme Premier ministre malgré son inculpation pour corruption.

A LIRE – Etat d’Israël vs. Netanyahu : détails de l’acte d’accusation du Premier ministre

L’accord de 2020 interdisait à Netanyahu de nommer des responsables de l’application de la justice et de la magistrature ou de s’impliquer dans des questions législatives susceptibles d’avoir un impact sur son procès.

La revendication centrale de ces requêtes contre la loi soutient qu’elle a été taillée sur mesure pour que Netanyahu empêche le tribunal ou le procureur général de lui ordonner de se récuser.

Les requêtes soutiennent que la nature personnelle de cette législation équivaut donc à un « abus de l’autorité constituante » par la Knesset lorsqu’elle a adopté l’amendement, l’une des deux seules doctrines que la cour a affirmées par le passé comme pouvant être utilisée pour annuler une Loi fondamentale.

Dans quelques commentaires significatifs pendant l’audience, Vogelman a insisté sur le fait que la Haute Cour avait effectivement le pouvoir de contrôle judiciaire sur les Lois fondamentales, bien qu’elles aient un caractère quasi constitutionnel.

« La Haute Cour est habilitée à réviser les Lois fondamentales en formation plénière », a-t-il affirmé.

Répondant aux affirmations selon lesquelles la loi était adaptée à Netanyahu, Hayut et Vogelman ont tous deux déclaré explicitement qu’ils pensaient que la législation était de nature très personnelle.

Le juge de la Cour suprême Uzi Fogelman lors d’une audience, le 2 août 2023. (Yonatan Sindel/Flash90)

« Le député [Likud] Moshe Saada a déclaré deux jours avant l’adoption de la loi en deuxième et troisième lectures : ‘Nous avons légiféré en raison de Netanyahu.’ Ça ne peut pas être plus clair que cela », a noté Hayut lors de l’audience.

« Ces choses sont explicites, les empreintes digitales sont très claires », a commenté Hayut à un autre stade, tandis que Vogelman a déclaré : « Le fait est que cette loi est personnelle, il est difficile d’arriver à une autre conclusion. »

Hayut a cependant affirmé à l’avocat Hanner Helman, représentant la procureure générale, dont la position est que la loi devrait être annulée, qu’il devait démontrer pourquoi une loi personnelle est nécessairement un abus de l’autorité constituante.

« La loi est si personnelle qu’elle échoue au test selon lequel une loi a une applicabilité générale, elle contrevient complètement à l’idée que les Lois fondamentales traitent de situations générales puisqu’elle est conçue spécifiquement pour une question personnelle », a répliqué Helman.

Le juge Isaac Amit a ensuite demandé à Helman si ce problème de nature personnelle au sujet de la législation pouvait être résolu en retardant sa mise en œuvre. Helman a rejeté cette idée, affirmant que la nature personnelle de la loi était si flagrante qu’elle devait être considérée comme équivalant à un abus du pouvoir constituant.

Vogelman a répondu en affirmant que si la mise en œuvre de la loi était retardée, « une mauvaise loi resterait, mais l’aspect personnel en serait annulé ».

Hayut a également défié l’avocat Eliad Shraga, fondateur du Mouvement pour un gouvernement de qualité, qui est l’un des pétitionnaires contre la loi, soulignant que les lois pour la récusation du Premier ministre étaient nécessairement personnelles puisqu’elles concernaient un seul individu.

Eliad Shraga, fondateur du Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël, assiste à une audience au tribunal, le 3 août 2023. (Yonatan Sindel/Flash90)

« Il s’agit d’un amendement à une loi existante et sa place naturelle serait dans la Loi fondamentale : le gouvernement », a ajouté Hayut.

Shraga a rejeté son argument, affirmant que l’amendement était « une intervention agressive dans le domaine de la justice » car il ne laisse aucune place à un contrôle judiciaire, même en cas de récusation pour des raisons de santé.

L’avocat Michael Ravillo, représentant Netanyahu, a toutefois rejeté les arguments selon lesquels l’objectif de la loi était inadapté et a fait valoir qu’elle était conçue pour empêcher qu’un Premier ministre ne soit expulsé du pouvoir par des responsables non élus.

« Il n’y a pas de récusation légale. Cela n’a aucune comparaison ailleurs dans le monde », a soutenu Ravillo.

« La Knesset dit clairement à travers cette loi [de récusation] qu’elle n’est nullement préparée à ce qu’un Premier ministre puisse être évincé de ses fonctions par un juriste ou un fonctionnaire non élu », a-t-il poursuivi. Il a fait valoir que, puisqu’il s’agissait d’une utilisation équitable du pouvoir de la Knesset en tant qu’autorité constituante, les requêtes alléguant l’abus de ce pouvoir devaient être rejetées.

« La Knesset n’est-elle pas autorisée à légiférer cela ? Où est-ce écrit ? », a-t-il demandé, ajoutant : « Pour le bien de la population, il faut qu’il soit clair ce qu’est la récusation, et qui peut faire une récusation. »

Ravillo a encore nié les allégations selon lesquelles la loi avait été conçue personnellement pour Netanyahu, déclarant aux trois présidents de la Haute Cour que la législation s’appliquait largement à tout futur Premier ministre, et a clarifié la situation juridique auparavant peu claire de la récusation.

Il a également souligné que, malgré certains députés de la coalition, tels que Saada, déclarant au cours du processus législatif que la loi était conçue pour Netanyahu, d’autres députés tels que le député du Likud, Ofir Katz, ont déclaré à l’époque que la loi avait été conçue pour clarifier le statut juridique du bureau du Premier ministre en tant qu’institution, et non celui de Netanyahu en tant qu’individu en particulier.

Le député du Likud Ofir Katz présidant une réunion de la commission de la Chambre de la Knesset, à Jérusalem, le 19 juillet 2023. (Crédit : Noam Moskowitz/Knesset)

Katz était le principal parrain du projet de loi et a présidé la commission spéciale de la chambre de la Knesset qui a préparé le texte.

Avant l’adoption de l’amendement en mars, l’article 16 de la Loi fondamentale : le gouvernement déclarait qu’en cas d’empêchement temporaire d’un Premier ministre d’exercer ses fonctions, un vice-Premier ministre prendrait sa place pendant cette période, mais cela faisait davantage référence à d’éventuels problèmes de santé d’un Premier ministre, et non à des difficultés juridiques.

En 2008, la Haute Cour de justice a eu l’idée que l’article 16 pourrait concerner des problèmes juridiques auxquels le Premier ministre est confronté, lorsqu’une requête adressée au tribunal lui a demandé d’ordonner au procureur général de l’époque de récuser le Premier ministre de l’époque, Ehud Olmert, en raison d’enquêtes pénales alors en cours contre lui.

La Haute Cour a déclaré qu’elle était disposée à supposer que l’article 16 ne se limitait pas aux questions de santé et que les enquêtes pénales constituaient un problème important pour le Premier ministre, mais a déclaré que cela ne pouvait conduire à une récusation que dans des circonstances rares et exceptionnelles, et avait donc rejeté la requête.

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