Le musée de Jérusalem continuera de censurer l’exposition sur l’évolution
Le Musée d'histoire naturelle censure certaines œuvres lors de visites de groupes ultra-orthodoxes ; l'institution est accusée, en Israël et à l'étranger, de trahir la science

Le Musée d’histoire naturelle de Jérusalem s’est engagé à poursuivre sa politique de censure pour un pan de l’exposition sur la théorie de l’évolution, ainsi que d’autres expositions sur les dinosaures et le corps humain, lors des visites de groupes ultra-orthodoxes afin d’éviter d’offenser leurs croyances religieuses. L’annonce a été faite malgré l’indignation causée en Israël et à l’étranger par sa décision de s’autocensurer sur l’évolution, les dinosaures et le corps humain.
« Bien sûr », a répondu le directeur pédagogique du musée, le Dr Evgeny Reznitsky, au Times of Israel, mardi, lorsqu’on lui a demandé s’il continuerait cette pratique, et d’invoquer la situation financière désastreuse de l’institution en disant qu’il valait mieux que les enfants des écoles ultra-orthodoxes viennent en visite selon leurs critères plutôt que de ne pas venir du tout.
Alors que des gens protestaient à l’extérieur du bâtiment avec un mégaphone et exigeaient que le musée rejette les demandes des écoles affiliées au système ultra-orthodoxe, Reznitsky a déclaré qu’il ne reconsidérerait sa position que si les autorités municipales lui ordonnaient de le faire.
L’exposition en hébreu sur l’évolution, intitulée « Le début de l’évolution humaine et de la culture », détaille les étapes de la transformation progressive du singe à l’homo sapiens moderne, avec divers crânes, modèles et outils de chasse anciens accompagnés d’explications écrites.
Lorsque des groupes ultra-orthodoxes la visitent, ce pan de l’exposition est dissimulé sous un drap rose qui la recouvre. Cette partie de l’exposition en question a été retrouvée cachée au moins à deux reprises, même en l’absence de groupes ultra-orthodoxes. Le musée a indiqué qu’il s’agissait d’erreurs dues à une pénurie de main-d’œuvre. Il s’est excusé auprès de Chaya David, une visiteuse, à qui un membre du personnel a demandé de partir après avoir protesté contre le fait que l’exposition était censurée.
L’article du Times of Israel sur le musée a suscité des protestations virulentes sur les réseaux sociaux et a été suivi par d’importants organes d’information en hébreu. De nombreux utilisateurs de Facebook ont appelé au boycott du musée et ont contacté son administration en signe de protestation.

« La science et le savoir ne sont pas une plaisanterie », a déclaré Uri Keidar, directeur exécutif de Be Free Israel, une organisation à but non lucratif qui vise à promouvoir le pluralisme religieux en Israël. « Le musée doit décider s’il s’agit d’un musée scientifique présentant la vérité ou d’une institution pratiquant l’autocensure qui cherche à dire à ses visiteurs des demi-vérités et des mensonges complets ».
« Si cette dernière hypothèse est exacte, ils devraient au moins changer de nom, car il ne s’agit pas d’un musée scientifique », a accusé Keidar sur Facebook.
Beaucoup de Juifs ultra-orthodoxes rejettent la théorie scientifique de l’évolution puisque, selon la Bible, les humains ont été créés séparément de tous les autres animaux. Selon la lecture traditionnelle de la Bible, le monde a été créé il y a 5 778 ans, par opposition aux 13,8 milliards d’années citées par la science moderne. La théorie de l’évolution affirme que l’évolution humaine s’est produite sur des centaines de milliers d’années.

Certains ultra-orthodoxes rejettent l’existence des dinosaures et n’enseignent pas à leurs enfants les sujets ayant trait à la reproduction, et jugeraient donc les expositions sur ces thèmes inappropriés.
Ces derniers jours, le professeur Jerry Coyne du Département de l’écologie et de l’évolution de l’Université de Chicago a publié une lettre ouverte adressée au musée, disant qu’il était profondément scandalisé par cette pratique, ce qui revient à « mentir par omission ».
« Ce genre de comportement me fait avoir honte de mes origines juives », écrit Coyne, qualifiant les explications du musée de « pathétiques ».
« Ce n’est pas acceptable de la part d’un État moderne, favorable à la science et largement laïque. La vérité scientifique est la vérité scientifique, et ne devrait pas être cachée au public par le gouvernement parce qu’elle offense la religion. Une telle censure n’existerait jamais aux Etats-Unis », a-t-il ajouté.
Mais le musée s’est félicité de cette publicité, affirmant que le nombre de visiteurs ne faisait qu’augmenter et a justifié sa politique.

En parcourant les différentes expositions du musée ce mardi, Reznitsky a souligné de nombreuses références à l’évolution et des images de dinosaures qui ne sont jamais cachées, disant qu’une exposition sur la biodiversité et d’autres expositions d’animaux divers étaient en fait liées à l’évolution.
« Les ultra-orthodoxes ne sont jamais venus au musée depuis 25 ans que je travaille ici », a-t-il déclaré au Times of Israel. « Jamais. » Il a indiqué que le musée a conclu en septembre dernier un accord avec le Département religieux de l’Enseignement de Jérusalem- un organisme conjoint qui fait partie à la fois de la municipalité de Jérusalem et du ministère de l’Éducation – pour amener des groupes, le sujet étant « les animaux dans la Bible ».
« Le but est de leur faire découvrir la répartition des espèces. Ce qui les dérange sur le parcours, c’est cette partie de l’exposition », dit-il, montrant du doigt la vitrine sur l’évolution humaine, qui n’a pas été couverte cette fois-ci. « J’ai accepté de la couvrir pendant les visites, c’est ma décision ».
« Mais qui cela offense-t-il ? », a-t-il accusé. « Il n’y a personne d’autre dans le musée quand un groupe est ici puisqu’il n’y a pas suffisamment de place ici. Nous cachons quelque chose à un public qui ne veut pas le voir. »
« Quand je vois le scintillement dans les yeux des enfants ultra-orthodoxes qui découvrent nos expositions, pour moi, cela vaut la peine [de recevoir] toutes les malédictions du monde », a-t-il ajouté.
Pendant ce temps, à l’extérieur du musée, plusieurs manifestants se sont rassemblés mardi matin, portant des pancartes et scandant des slogans tels que « Le rideau ne cachera pas la vérité sur le mur », « L’évolution est pour tous » et « Ne laissez pas les squelettes dans le placard ».

Ils se sont vivement disputés avec un employé du musée qui a défendu avec vigueur la pratique comme respectant les visiteurs du musée et comme une mesure nécessaire à la lumière de ses difficultés financières.
« Nous n’acceptons pas ça », a dit Yaki Hertz. « La science n’est pas faite sur mesure. Celui qui veut étudier la science le fera en utilisant toutes les découvertes dont nous disposons aujourd’hui. »
« Nous voulons que le public vienne ici », rétorqua Uzi Danon, employé du musée. « Si le musée avait reçu des fonds, nous aurions immédiatement dit aux groupes haredi : ‘Bye-bye, rentrez chez vous, nous n’avons pas besoin de vous' ».
Après que Hertz l’a accusé de renoncer à ses idéaux pour de l’argent, Danon s’est exclamé : « Pas du tout, nous voulons continuer à fonctionner, ils veulent faire fermer l’endroit ».
Reznitsky et Danon se sont tous deux plaints de l’absence de couverture médiatique lorsqu’un entrepreneur privé a détruit, il y a plusieurs années, un mur vieux de 120 ans dans le jardin extérieur de l’enceinte.
Le musée se situe près de la Colonie allemande, non loin du centre-ville de Jérusalem. Ses jardins accueillent de nombreux visiteurs, mais l’intérieur du musée est vétuste et les expositions, qui sont négligées et datées, n’ont pas été réactualisées depuis des années.

Le musée a indiqué que depuis son ouverture, seulement 30 % de ses expositions d’origine ont été renouvelées, et l’exposition sur la théorie de l’évolution est restée intacte.
Le musée et ses expositions ont été financés grâce à l’argent du contribuable. Le musée a indiqué qu’il continue à fonctionner depuis un quart de siècle malgré l’absence de fonds, comptant uniquement sur les bénéfices récoltés par les groupes de visiteurs et par l’organisation d’activités diverses.
La municipalité a contesté cette affirmation dans des communiqués publics, assurant qu’elle continue à subventionner le musée et a déclaré lundi qu’elle a lancé cette année un programme visant à amener les écoliers de « toutes les populations de la ville » à visiter divers musées, dont le Musée d’histoire naturelle.
Contrairement à ce qui a été affirmé, l’exposition est ouverte en permanence à tous les groupes qui visitent le musée.
« Par volonté d’attirer également des groupes du secteur haredi, il a été décidé d’accepter les demandes des établissements d’enseignement ultra-orthodoxe et de couvrir spécifiquement l’exposition pendant leur visite.
« Jusqu’à présent, 12 groupes d’écoles ultra-orthodoxes ont visité le musée », a ajouté la municipalité. « Le Département religieux de l’Enseignement continuera de rendre les institutions et les activités culturelles accessibles à tous les étudiants de la ville, dans un esprit de tolérance et d’égalité des chances pour tous ».