Le Musée de la Tolérance, un « parlement populaire », ouvrira partiellement à la mi-mai
Après plus de 20 ans de travaux, l’imposant musée du centre de Jérusalem rouvrira avec une expo photos, alors que les travaux se poursuivent sur la partie "nouvelles technologies"
Jérusalem doit être l’une des villes les plus difficiles au monde pour l’installation d’un musée de la tolérance.
La capitale est un microcosme, et un exemple extrême, des divisions au coeur de la société israélienne : Juifs et Arabes, ultra-orthodoxes et laïcs, entre autres sous-catégories de la population.
Mais Jonathan Riss, directeur des opérations du Musée de la Tolérance de Jérusalem, est optimiste.
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Il est convaincu que la nouvelle installation de 17 500 mètres carrés, dont la conception est-ouest, en forme de pont, relie la Vieille Ville à la ville nouvelle, la ville palestinienne à la ville juive, sera une sorte de « parlement du peuple ».
Selon lui, c’est à cet endroit que les voyageurs, venus d’Israël ou d’ailleurs, les délégués venus parler des conflits mondiaux, se réuniront pour questionner les valeurs juives et universelles, examiner leurs propres croyances, se confronter à leurs stéréotypes et ouvrir leur esprit au point de vue et à la culture d’autrui.
Le musée ouvrira partiellement au public à la mi-mai, avec une exposition photo marquant les 75 ans de l’indépendance israélienne.
Les visiteurs pourront découvrir et parcourir les deux étages supérieurs de l’installation, qui disposent d’un grand auditorium et d’espaces polyvalents flambants neufs destinés aux expositions, conférences et événements artistiques ou culturels.
Riss, un Israélien qui vit à Denver, dans le Colorado et est impliqué dans le musée depuis 23 ans, travaille sans relâche pour que les deux niveaux souterrains soient terminés.
Ceux-ci abriteront les deux musées qui ont donné son nom à l’installation.
Le sous-sol supérieur abrite un théâtre de 150 places avec des loges et abritera un musée pour enfants de 1 300 mètres carrés.
L’étage inférieur comprendra un musée pour adultes de 3 000 mètres carrés, divisé en deux espaces : « Le voyage d’un peuple » et un « Laboratoire Social ».
Ce dernier projet s’inspire d’une exposition similaire, au Tolerance Museum de Los Angeles, qui, à l’instar de celui de Jérusalem, est un projet du Simon Wiesenthal Center de Los Angeles.
A l’occasion d’une visite de l’un de ces étages fin avril – la toute première d’un journaliste -, Riss a rappelé que la pandémie de coronavirus avait retardé les travaux du musée, même si certains d’entre eux s’étaient malgré tout poursuivis en d’autres points du bâtiment.
Les architectes du musée, du studio Yazadani de Los Angeles, sont arrivés, pour la première fois depuis la pandémie, le mois dernier.
Les pavillons du « Voyage d’un peuple » ont été terminés et payés avant que la pandémie ne perturbe les expéditions internationales, mais les 70 conteneurs qui les ont acheminés ne sont arrivés que ces trois derniers mois. Ils sont aujourd’hui en place.
Le musée pour adultes sera principalement composé de contenu audiovisuel, mais les films qui y seront diffusés n’ont pas pu être tournés pendant le confinement.
Les retards se sont accumulés en raison de la bureaucratie israélienne en matière d’autorisations, a ajouté Riss, précisant que l’argent n’avait jamais posé de problème.
Du côté du musée pour adultes, les travaux sont toujours en cours pour « finaliser la technologie » nécessaire à la diffusion d’hologrammes de personnages illustres, comme l’érudit et médecin juif du Moyen-Age Maïmonide, qui pourront interagir avec les visiteurs.
Si le visiteur accepte l’utilisation de ses réseaux sociaux, l’intelligence artificielle établira un profil sur la base duquel l’hologramme pourra interagir.
« Imaginez un peu Maïmonide qui dirait ‘Salut Sue, je sais que vous écrivez sur l’environnement’ et continuerait à parler réchauffement climatique », a expliqué Riss.
« Nous voulons utiliser tout un tas de données – sous réserve de nous autoriser à accéder à vos réseaux sociaux – afin que le musée puisse s’adapter à vous. Maïmonide, Churchill ou (l’ex-Premier ministre israélien Menachem) Begin pourraient venir vous parler. Tous apporteront quelque chose (à la conversation). Ce sont là des valeurs juives universelles. »
Le musée pour enfants, dont les installations technologiques sont cours de test, ouvrira après celui des adultes.
Dans « Le Voyage d’un peuple », les visiteurs commenceront leur itinéraire, long d’une heure trente à deux heures, à bord d’un bateau virtuel, avec des haltes autour de thèmes comme la foi, le goût de la connaissance, la résistance au mal, le primat des actes sur les mots, l’amour de son prochain, la sanctification de la vie et, enfin, la nostalgie de Sion.
Ce bateau virtuel, explique Riss, se prête volontiers à une multitude de symboles liés à des problèmes locaux ou universels. Il pourrait s’agir de l’Egoz, qui a coulé en mer Méditerranée en 1961, avec 44 Juifs marocains à destination d’Israël à son bord, ou de l’un des bateaux qui convoient des migrants de par le monde.
Certaines études de cas sur la tolérance auront pour objet Israël, mais pas tous, précise-t-il, soulignant que « Dans le judaïsme, tolérer l’autre est une obligation. Regardez comment les textes juifs nous enseignent de nous comporter envers l’étranger. »
De l’autre côté de la salle, le « Laboratoire Social » utilisera du contenu audiovisuel pour susciter des échanges sur les questions du passé, du présent et de l’avenir, explique Riss, « pour créer une forme de compréhension civique entre les différentes composantes de la société israélienne, et ce sur tous les sujets, des problèmes mondiaux à la discrimination sociale en passant par le harcèlement et le genre. Tous les sujets seront ouverts. »
« Nos recherches ont montré que nous manquions d’activités capables de rassembler les diverses composantes de la société. Israël dispose d’incroyables technologies de pointe. Là, nous aurons cette toute première forme de technologie sociale. Nous allons repousser encore les limites de l’existant pour instiller un nouvel élan au sein de la société israélienne », poursuit-il.
Des questions ont été soulevées quant à l’influence américaine sur le musée.
Il s’agit en effet d’un projet du Centre Simon Wiesenthal de Los Angeles, et il s’inspire fortement du Musée de la tolérance qui s’y trouve déjà.
Une personnalité bien connue du milieu des musées israéliens, qui a demandé à ne pas être nommée, accuse les bailleurs de fonds du musée de pratiquer
« une forme d’impérialisme philanthropique ».
« Notre pays regorge de gens talentueux. Pourquoi pensent-ils, à Los Angeles, qu’ils sont meilleurs que nous, qu’ils peuvent nous dire quoi faire ici ? », questionne cette source.
« Le conservateur sera-t-il d’ici ? Et les exposants ? S’ils pensent pouvoir enseigner les vertus de la tolérance aux habitants de cette ville, la plus folle de la Terre, c’est qu’ils n’ont rien compris. »
Riss précise que le musée consulte régulièrement les Israéliens. Il évoque les noms du rabbin sioniste religieux David Stav et du professeur Yuval Elbashan, doyen des campus multiculturels du Collège Ono à Jérusalem.
Un créateur de contenus israélien, Abot Hameiri (précédemment Barkai), fournit le contenu audiovisuel, ajoute-t-il.
Unified Field, une société de Brooklyn spécialisée dans la production de contenus et l’interactivité qui compte une foule de clients prestigieux, a constitué une équipe ad hoc de chercheurs, sociologues, psychologues et éducateurs, parmi lesquels des Israéliens.
Auparavant, toutes les relations publiques étaient gérées depuis Los Angeles, mais Riss s’est récemment offert les services d’une experte israélienne en stratégie et relations publiques – Ayelet Frish – qui a travaillé pendant dix ans aux côtés du défunt président Shimon Peres.
Riss précise que le conseil d’administration du musée a à cœur d’accueillir plus de jeunes Israéliens de toutes origines sociales.
À en juger par le nombre de couvre-chefs, le volume d’applaudissements et les ovations accordées au gouverneur Républicain de Floride, Ron DeSantis, lors d’un événement organisé dans le cadre du musée jeudi dernier, une bonne partie des donateurs du Musée de la Tolérance de Jérusalem sont issus de la droite religieuse américaine et canadienne.
Des éloges ont été adressés à plusieurs reprises à Miriam Adelson, éditrice du journal libre et pro-Likud, Israel Hayom, qui se trouvait dans le public, ainsi qu’à l’ex-ambassadeur américain David Friedman, qui avait servi sous la présidence Trump, et a pris part à une table ronde avec son successeur, lui nommé par Biden, Tom Nides.
Mais avec le Times of Israel, Riss adopte un ton différent et parle des valeurs juives et universelles.
Il dit qu’à ses yeux, l’orateur le plus important de l’événement de jeudi dernier était le député arabe israélien Mansour Abbas, qui, dans le cadre du précédent gouvernement de Naftali Bennett et Yair Lapid, avait fait entrer un parti arabe dans une coalition gouvernementale pour la première fois.
A l’occasion de cet événement, jeudi 27 avril, Abbas a souligné le rôle que son parti et lui pourraient jouer comme pont entre les diverses composantes de la société israélienne.
Dans le pavillon « Aime ton Voisin », les visiteurs découvriront que le personnel d’un hôpital arabe a dit le Shema (une des plus importantes prières juives) pour les patients juifs souffrant du coronavirus, explique Riss.
Ce type d’exemple sera utilisé pour susciter des échanges, dit-il, pour amener les gens à réfléchir sur les droits de la communauté arabe israélienne, par exemple, au regard de leur contribution remarquable à la vie des Juifs dans les hôpitaux du pays.
Riss et Frish évoquent certains événements prévus cette année. Et notamment du concours de robotique pour les jeunes ultra-orthodoxes, de la présentation des prix Time 100 et de Women Cook Peace, une initiative sur la culture culinaire portée par des femmes de différents horizons.
Des groupes d’écoliers et de touristes seront accueillis le matin et l’après-midi, et des activités gratuites en soirée auront lieu dans l’amphithéâtre ainsi que sur le grand balcon à l’extérieur.
Riss pense que les touristes et les passants viendront aussi pour un café ou un verre de vin, manger un morceau, assister à un événement et prendre part à une conversation.
Il estime que le complexe – conçu pour accueillir simultanément jusqu’à 3 000 personnes – sera ouvert, le moment venu, six jours par semaine, fermant uniquement le Shabbat.
Ahead of #DeSantis visit at Jerusalem's Museum of Tolerance, the organizers have discreetly removed this photo by Israel Prize winner ???????????????????? ????????????-???????? of an Israeli soldier washing himself west of the Suez Canal during the October 1973 war. Coincidence? pic.twitter.com/2PVHYgwCis
— Yonatan Touval (@Yonatan_Touval) April 28, 2023
La semaine dernière, le musée a eu un avant-goût des complexités auxquelles il sera confronté, dans une ville où faire preuve de sensibilité, pour un groupe, est considéré par un autre comme une forme de sectarisme.
Ainsi, la photo du célèbre photo-journaliste Micha Bar-Am de ce soldat nu, en train de se laver, pendant la guerre du Kippour de 1973, a dû être retirée de l’exposition photos afin de ne pas choquer les visiteurs pratiquants.
Cela aurait suscité la colère du fils du photographe, Barak Bar-Am, qui selon Haaretz aurait dit que le musée « se souciait moins des sentiments des libéraux que de ceux des religieux ».
Le musée sera-t-il en mesure de relever de tels défis?
Seul l’avenir le dira.
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