Le numéro d’équilibriste de la communauté juive d’Iran
Cette communauté millénaire d'environ 15 000 personnes, la plus importante du Moyen-Orient en dehors d'Israël, condamne les frappes préventives d'Israël contre le régime islamique ; selon les experts, ce n'est pas seulement pour la forme

Bien qu’il n’y ait aucune preuve d’attaques antisémites contre la communauté juive iranienne, vieille de 2 700 ans, depuis le début de l’attaque préventive d’Israël contre les sites nucléaires et militaires de la République islamique au petit matin du 13 juin, des sources proches de cette communauté ont déclaré au Times of Israel que cette situation pourrait changer à mesure que les combats se poursuivent.
« La communauté juive va probablement faire l’objet d’une surveillance plus étroite que d’habitude, mais je ne pense pas qu’elle soit en danger plus qu’avant la guerre », a déclaré Lior Sternfeld, auteur de Between Iran and Zion: Jewish Histories of Twentieth-Century Iran (« Entre l’Iran et Sion : histoires juives de l’Iran au XXᵉ siècle ») et professeur d’histoire iranienne moderne au Département d’histoire et au Programme d’études juives l’université d’État de Pennsylvanie (UPenn).
« Mais la communauté juive craint que la situation ne s’aggrave », a déclaré Sternfeld.
Depuis le début des combats vendredi dernier, l’armée de l’air israélienne a mené des centaines de frappes sur des installations iraniennes, selon Tsahal. Au moins 639 personnes ont été tuées et 1 329 autres blessées, selon le groupe Human Rights Activists basé à Washington jeudi matin. L’organisation affirme avoir identifié 263 civils et 154 membres des forces de sécurité parmi les morts.
L’Iran n’a pas communiqué le nombre de victimes de manière régulière depuis le début du conflit et a, par le passé, souvent minimisé le nombre de victimes. Selon son dernier bilan publié lundi, 224 personnes ont été tuées et 1 277 autres blessées.
Des articles parus dans la presse israélienne indiquent que les Juifs d’Iran se préoccupent davantage de la crainte de violences perpétrées par des milices armées cherchant à se venger des attaques israéliennes que d’une répression du régime. Toutefois, la probabilité d’un tel scénario reste incertaine.

« Il y a beaucoup de Juifs iraniens en Israël qui tiennent ce genre de propos », a expliqué Avi Davidi, expert des affaires iraniennes et rédacteur en chef du site en langue persane du Times of Israel.
« Ils entendent dire que leur tante a peur de sortir et ils en déduisent que c’est le cas de tous les Juifs. Il y a une guerre, et il y a une menace générale, mais il n’y a actuellement aucune preuve d’une menace spécifique contre les Juifs », a-t-il déclaré.
Les Juifs d’Iran affirment jouir d’une grande liberté religieuse et d’une grande sécurité, les cérémonies et rituels religieux étant protégés par l’État.
Des messages brouillés

Selon les experts, les contacts entre la communauté juive d’Iran et le monde extérieur sont généralement rares, ce qui conduit facilement à des malentendus. Les lignes de communication sont souvent mises sur écoute et les contacts directs avec Israël sont strictement interdits par le régime iranien, de sorte que la plupart des informations proviennent des sources « officielles » iraniennes. Il est donc difficile d’évaluer les sentiments réels de la communauté.
Ces derniers jours, plusieurs communautés juives du pays ont publié des déclarations virulentes condamnant Israël. Dimanche, la communauté juive d’Ispahan, qui compte environ 1 500 Juifs, a déclaré dans un communiqué publié dans des dépêches de l’agence de presse officielle Islamic Republic News Agency que « la brutalité des sionistes est loin de toute moralité humaine ».
« Nous sommes convaincus que la République islamique d’Iran, fière et honorable, donnera une réponse écrasante et regrettable au régime sioniste et lui fera regretter ses actions honteuses », indique le communiqué.
L’Association juive de Téhéran a également publié une déclaration similaire, dans laquelle elle « condamne fermement l’agression brutale du régime sioniste sur le sol sacré de la République islamique d’Iran et le martyre d’un groupe de commandants militaires, de scientifiques nucléaires et de nos compatriotes bien-aimés ».

Si certains pensent que ces déclarations ne font que reprendre le discours du régime et ne reflètent pas les véritables sentiments de la communauté, Sternfeld estime que ce n’est pas forcément le cas.
« S’il est vrai que le régime s’attend à de telles déclarations, celles-ci sont au moins en partie fondées sur la perception réelle de la communauté et de son identité iranienne dans le conflit », a-t-il déclaré.
« S’ils disaient simplement ce qu’ils pensaient pouvoir les sauver du régime, nous verrions beaucoup plus de Juifs quitter l’Iran. Pour bien comprendre le contexte général, il faudrait une conversation beaucoup plus longue. »
Le régime iranien fait clairement la distinction entre le sionisme et la religion juive. Les Juifs locaux affirment jouir d’une totale liberté religieuse et d’une sécurité totale.

Le grand rabbin du pays, Yehuda Gerami, avait déclaré que le gouvernement israélien « ne se soucie pas du tout du judaïsme » et avait salué le général iranien Qassem Soleimani, éliminé par une frappe de drone américain, comme un héros national.
En mars, une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux montrant Gerami lisant le Livre d’Esther et dansant avec des étudiants devant la tombe de Mardochée et d’Esther, dans la ville de Hamadan, à l’occasion de la fête de Pourim.
La tradition selon laquelle les héros de l’histoire de Pourim sont enterrés à Hamadan, considérée comme l’ancienne ville de Suse, n’est généralement pas acceptée en dehors de la communauté iranienne.
La taille de la communauté juive iranienne fait toutefois l’objet d’un débat. De nombreux chercheurs estiment le nombre de Juifs entre 8 000 et 10 000, principalement à Téhéran, Ispahan et Shiraz, des villes qui ont été touchées par les frappes israéliennes. Sternfeld a déclaré qu’il préférait l’estimation du grand rabbin iranien, qui est de 15 000.

Avant la révolution islamique de 1979, le pays comptait environ 100 000 Juifs. L’Iran reste le deuxième pays du Moyen-Orient en termes de population juive, après Israël.
On estime qu’il reste environ 25 synagogues dans le pays, ainsi que plusieurs restaurants casher, une maison de retraite, un cimetière et une bibliothèque juive.
Les Juifs sont soumis à plusieurs restrictions légales, notamment l’interdiction d’occuper des postes importants au sein du gouvernement. Un seul siège est réservé à un représentant juif au Parlement iranien, le Majlis.
En novembre, un Iranien juif, Arvin Nathaniel Ghahremani, a été exécuté dans la ville occidentale de Kermanshah pour le meurtre d’un musulman lors d’une bagarre en 2022. Le groupe Iran Human Rights, basé en Norvège, avait alors déclaré que la procédure judiciaire à son encontre présentait « d’importants vices de procédure ».

Mais contre toute attente, la communauté juive d’Iran perdure.
« Le pays ne pourra jamais être vidé de ses Juifs », a déclaré Yasmin Shalom Mottahedeh, une militante qui a quitté l’Iran dans les années 1980.
« C’est une communauté qui a survécu depuis l’exil babylonien après la destruction du Premier Temple. Les Juifs ont eu la possibilité de partir, mais ceux qui sont restés l’ont fait pour une raison. »
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