Gérard Araud : Israël est un « Etat d’apartheid »
L'ambassadeur français en poste à Washington a indiqué être "très proche" de Jared Kushner, qu'il a décrit comme "extrêmement intelligent mais dénué de tout courage"

L’ambassadeur français sortant aux Etats-Unis, Gérard Araud, a expliqué que le président américain Donald Trump ne pourra que privilégier Israël dans son prochain plan de paix en raison de son extrême popularité parmi les Israéliens et de la confiance que ces derniers lui accordent.
Dans une interview accordée au magazine Atlantic publiée vendredi, Araud a estimé que le plan de la Maison-Blanche – mis au point par Jared Kushner, haut-conseiller du président et également son gendre – est « très proche de ce que veulent les Israéliens » mais qu’il est à 99 % « voué à l’échec ».
« Mais le 1 %, n’oubliez jamais le 1 %. Trump a certainement donné un fort coup de pouce à Israël, il bénéficie là-bas d’une telle popularité », a-t-il noté.
Araud, qui a été ambassadeur français en Israël de 2003 à 2006, a indiqué qu’il était « très proche » de Kushner, qu’il a décrit comme une personnalité « extrêmement intelligente, mais dénuée de tout courage ». Araud est l’envoyé de Paris à Washington depuis 2014 et s’apprête à prendre sa retraite.
Kushner, a clamé Araud, « ne connaît pas l’histoire » du conflit israélo-palestinien et « d’une certaine manière, c’est une bonne chose – nous ne sommes pas là pour dire qui a raison et qui a tort ; nous sommes là pour trouver un moyen d’avancer vers une solution ».
« Alors dans un sens, oui, c’est bien », a-t-il ajouté, « mais en même temps, il est très rationnel et il est si pro-israélien qu’il pourrait négliger cette réalité. Si le choix est offert aux Palestiniens entre la reddition ou le suicide, ils pourraient choisir la dernière option. Quelqu’un comme Kushner ne le comprend pas », a-t-il asséné.

Araud a confié au magazine que la Maison Blanche comptait sur trois facteurs concernant son plan de paix, le premier d’entre eux étant la popularité dont Trump jouit en Israël.
« Trump », a-t-il affirmé, « est plus populaire encore que [Benjamin] Netanyahu en Israël et les Israéliens lui accordent leur confiance. Les Américains parient là-dessus, m’a dit Kushner. Le deuxième facteur est que les Palestiniens pourraient considérer que c’est leur dernière chance d’obtenir une souveraineté limitée. Et le troisième élément, c’est que Kushner va investir de l’argent pour les Palestiniens. N’oubliez pas que les Arabes sont derrière les Américains. Le plan fait 50 pages, nous a-t-on dit, il est très précis ; mais nous ne savons pas ce qu’il y a dedans. Mais nous verrons », a-t-il continué.
Araud a ajouté que « la disproportion du pouvoir est telle entre les deux parties que le plus fort [Israël] pourrait en conclure qu’il n’y a aucun intérêt à faire des concessions ».
Israël est « extrêmement à l’aise » dans le statu-quo, a-t-il dit, « parce que le pays remportera la mise. Il a la Cisjordanie mais en même temps, le pays n’a à prendre aucune décision douloureuse au sujet des Palestiniens, qu’il s’agisse d’en faire des apatrides ou des citoyens israéliens ».
« Les Israéliens ne feront pas des Palestiniens des citoyens d’Israël. Alors il faudra qu’ils officialisent ce que nous savons de la situation – que c’est un apartheid. Il y aura officiellement un Etat d’apartheid. C’est déjà le cas », s’est-il exclamé.
Rien n’a filtré des détails du plan de Trump. Des rumeurs à son sujet sont toutefois apparues, particulièrement sur les réseaux sociaux.
La semaine dernière, Jared Kushner a annoncé que le très attendu plan de paix pour le Moyen-Orient élaboré par l’administration américaine serait dévoilé au mois de juin au plus tôt. Le gendre de l’occupant de la Maison-Blanche a expliqué à une centaine de diplomates que le plan serait présenté après la prise de fonction du nouveau gouvernement israélien et à l’issue du mois sacré du ramadan musulman, qui s’achèvera le 5 juin.
Il leur a vivement recommandé de conserver une « ouverture d’esprit », selon une source citée par Reuters.
Peu d’éléments ont filtré sur ce plan très attendu, même si des informations récentes parues dans le Washington Post et dans le Guardian ont laissé entendre qu’il ne prévoyait pas la création d’un plein Etat palestinien.
Ce qui entraînerait une nouvelle fin de non-recevoir de la part des Palestiniens qui refusent d’ores et déjà de coopérer avec l’équipe de Trump, suite à la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem en tant que capitale d’Israël en 2017 et au transfert de l’ambassade américaine dans la ville sainte au mois de mai 2018.

Vendredi, l’envoyé américain pour la paix au Moyen-Orient Jason Greenblatt a mis en garde Israël et les Palestiniens contre un éventuel rejet du plan de Trump, rejetant également l’utilisation du terme « solution à deux Etats » lors d’un entretien diffusé sur Sky News Arabic.
Il n’y a aucune justification à l’usage de ce terme dans la mesure où chaque partie le comprend de manière différente, a expliqué Greenblatt selon la Douzième chaîne.
Il a expliqué que les deux parties devaient être prêtes à des discussions directes car les deux devraient faire des concessions et qu’il y aurait des éléments, dans l’accord, qui satisferaient chacune des parties en lice et d’autres qui les mécontenteraient.
Greenblatt a expliqué qu’Israël et les Palestiniens manqueraient une opportunité de faire la paix en cas de non-acceptation du plan mais il a également émis une mise en garde particulière à l’encontre des Palestiniens, remarquant qu’ils s’étaient déjà opposés à la proposition sans même l’avoir découverte, tout en suggérant que cette dernière pourrait avoir un impact significatif et positif sur leur avenir.
Dans son entretien avec Atlantic, Araud a qualifié la gouvernance de Trump de « brutale, un peu primitive », notant toutefois qu’il avait « raison » sur certaines questions, notamment celle du libre-échange.
Ce qu’il fait avec la Chine, ça aurait dû déjà être fait, peut-être d’une manière différente mais cela aurait dû être fait dans le passé », a-t-il affirmé.
Araud a expliqué au magazine que deux exemples particuliers survenus pendant la présidence de Trump avaient particulièrement choqué les Français : la sortie de l’accord sur le climat de Paris et le retrait de l’accord sur le nucléaire iranien.
Dans les deux cas, les Français ont eu le sentiment que les discussions qui étaient alors en cours se déroulaient convenablement.
Araud a expliqué qu’avant que Trump n’annonce le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, Paris « négociait avec l’administration sur un accord qui aurait permis de le compléter… sur les questions des missiles, du terrorisme et sur les activités régionales de l’Iran ».
Araud a ajouté que Paris et Washington étaient, à ce moment-là, très proches d’un accord : « On peut dire à 90 %. »
« Il n’y a eu absolument aucune crise dans les négociations. Et tout à coup, du jour au lendemain, tout s’est terminé. Les choses se sont décidées du jour au lendemain : elles l’ont été par Trump. Personne n’a été averti et le lendemain, personne n’a pu nous dire ce qu’une telle décision signifiait », a-t-il continué.
Il a qualifié le fonctionnement de la Maison-Blanche de « très dysfonctionnel », ajoutant qu’il n’y avait « qu’une seule personne pouvant engager les Etats-Unis dans un accord. Et cette personne, c’est Donald Trump ».
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