Le projet de démolition et reconstruction de la synagogue Copernic reçoit son permis
Si Judaïsme en mouvement et l'ULIF-Copernic, les associations propriétaires, se réjouissent de la nouvelle, le projet fait face à une vive opposition depuis plusieurs mois
Le projet visant à l’agrandissement et à la modernisation de la synagogue Copernic, à Paris, divise depuis longtemps ses fidèles, les instances dirigeantes du lieu et les riverains.
Le projet actuel et officiel, validé par le conseil d’administration de l’ULIF-Copernic (association propriétaire) et le cabinet d’architectes Valode et Pistre, suppose en effet de raser l’édifice existant, haut lieu culturel, cultuel et mémoriel, et la reconstruction d’un nouveau bâtiment. Il a reçu le mois dernier son permis de construire, remis par la mairie de Paris, valant ainsi autorisation de démolition totale.
Par ces travaux, Judaïsme en mouvement (JEM), association parente de l’ULIF-Copernic, veut « donner à notre judaïsme rayonnant et moderne toutes ses chances ».
« Affirmer, dans une façade intemporelle et moderne, en pierres de Jérusalem, qu’ici se vivra la nouvelle page du grand livre de notre histoire, c’est passer d’un judaïsme défensif [une référence aux deux attentats connus par la synagogue, en 1941 et en 1980] à un judaïsme de la clarté », écrivent notamment les présidents de cette organisation juive libérale française, née en 2019, de la fusion de l’ULIF et du MJLF. « Nous ne faisons là, d’ailleurs, que nous inscrire dans le grand cycle de l’histoire juive, où nous apprenons du Shoulhan Aroukh, le grand codex halakhique, qu’on peut déconstruire pour rebâtir, tant que notre assemblée dispose d’une continuité pour ses rites et sa vie communautaire. »
« Dans les circulations lumineuses de notre synagogue, nos chers éléments Art Déco vont retrouver un nouvel écrin qui les mettra en valeur, au-dessus de murs translucides », promet JEM. « Un espace de convivialité pour nos jeunes et moins jeunes nous réunira devant une très belle terrasse, ouvrant sur les vastes réserves d’eau de la ville de Paris où nagent les cygnes et les canards. Un vrai espace de rencontres réunira nos juniors, jeunes actifs ou étudiants, qui auront ici aussi tout ce qu’il leur faut pour se lancer dans la vie. Et notre programmation culturelle, dans une salle modulable extrêmement souple, croîtra en offres et en inventions nouvelles. »
L’Association pour la Protection du Patrimoine de Copernic (APPC), membre des fédérations Patrimoine-Environnement et France nature Environnement Paris qui se tiennent à ses côtés, ainsi que les associations de défense du patrimoine, se sont elles dites consternées suite à la nouvelle. « Les administrateurs de la synagogue (ULIF), qui ont porté ce projet, et la Ville de Paris, qui a délivré cette autorisation, ont ainsi été insensibles à l’éminente valeur patrimoniale du site », écrivent-ils dans un communiqué daté du 30 juin.
« Le moment choisi pour une telle autorisation est d’autant plus incompréhensible que le 6 juin 2023, la ville de Paris adoptait son premier Plan Local d’Urbanisme (PLU) bioclimatique ayant pour objet de permettre à Paris de ‘devenir une ville plus sobre, plus respectueuse de l’environnement et mieux adaptée au changement climatique’. »
Ils rappellent que l’édifice emblématique, créé par l’architecte Marcel Lemarié avec les conseils et le soutien de Théodore Reinach, présentent un patrimoine, matériel et immatériel, « exceptionnel en France, dont Paris peut légitimement s’enorgueillir ».
Les opposants au projet regrettent ainsi que « ce patrimoine centenaire disparaîtrait au profit d’un projet destructeur qui ferait table rase de l’histoire, pour ériger un bâtiment massif et ostentatoire, inutilement coûteux (25 millions d’euros), et dont le bilan carbone (une façade en pierres acheminées depuis Jérusalem et des plaques de verre et de métal doré) contredirait la priorité absolue qui est désormais attachée à la protection de l’environnement. En rupture complète avec l’architecture homogène du quartier, ce projet le serait aussi avec le legs patrimonial des bâtisseurs de Copernic qui avaient souhaité que ce lieu de culte respecte une grande discrétion envers la cité, incarnant ainsi les vœux de laïcité de notre Constitution républicaine ».
Selon eux, quelques riverains parlent à ce sujet d’une « prise en otage de tout un quartier ».
Afin d’éviter la démolition totale et reconstruction intégrale de la synagogue historique, édifice centenaire, l’APPC et le mouvement citoyen « Regard Naïf » avaient présenté un contre-projet qui permettrait là aussi l’agrandissement et la modernisation de la synagogue, tout en évitant la destruction totale de l’édifice actuel. Les opposants aux projets officiels voulaient ainsi « sauver un témoignage unique de l’Art Déco synagogal français ».
« La destruction totale ferait place à un nouveau centre communautaire, avec le choix assumé d’une architecture ostentatoire », écrit Regard Naïf. « Pour ses promoteurs, il s’agit d’augmenter la surface plancher, permettre un meilleur accueil (notamment avec un ascenseur), et une terrasse donnant sur le bassin de Passy environnant. Murée sur sa façade sud et sans fenêtre ouverte, elle obligerait à un recours exclusif à l’air conditionné et à l’éclairage artificiel. »
« Si les motivations fonctionnelles peuvent s’entendre, détruire le patrimoine n’est jamais une solution. Regard Naïf a donc réfléchi à une contre-proposition reprenant l’ensemble des exigences et les surpassant même avec une terrasse donnant sur la Tour Eiffel, et des intérieurs naturellement lumineux et ouverts. Le corps historique serait conservé dans son intégralité, les ajouts remplaçant la surélévation des années 70 et l’atelier mitoyen. La façade prolongerait l’existant avec des clins d’œil multiples à la salle de culte, affirmant le style Art Déco du site. »
Une pétition, signée par près de 12 000 personnes, avait été lancée afin de s’opposer au projet officiel.
« Sans égard pour le patrimoine mémoriel et Art Déco de la salle de culte historique (un des deux seuls patrimoines Art déco synagogaux en France), il s’agît pour [l’ULIF-Copernic et le cabinet d’architectes Valode et Pistre] de construire à sa place un nouveau centre communautaire à l’architecture ostentatoire en rupture totale avec l’harmonie haussmannienne de la rue Copernic », pouvait-on lire dans la pétition.
« La non-protection actuelle de ce bâtiment est le fruit d’une double méconnaissance, tant de la part des instances compétentes que de la plupart des membres de l’ULIF. Plusieurs historiens d’art et d’architecture de renom ont pourtant souligné son intérêt. L’APPC se bat depuis cinq ans pour une restauration par des architectes du patrimoine confirmés et un classement par la DRAC. Elle est constituée de fidèles de la synagogue ainsi que de défenseurs du patrimoine. »
Ainsi, l’association se disait « favorable à toute démarche visant à la sécurisation et à l’embellissement du lieu », tout en s’opposant « fermement à la démolition intégrale de la synagogue emblématique historique ».
Elle mettait en avant les travaux de d’autres communautés parisiennes, celles de La Victoire et de la rue Notre-Dame-de-Nazareth, qui ont souhaité rénover et aménager leurs espaces, tout en ayant « le plus grand soin de ne pas détériorer leur patrimoine architectural ».
« L’enjeu est aussi tout symbolique », estimait l’APPC, qui rappelle que la synagogue Copernic a survécu à deux attentats. Ce à quoi répond JEM : « Les grands traumas qui ont été vécus, avec les deux attentats de Copernic, sont une page inoubliable, mais le travail du deuil a été fait, avec le jugement enfin prononcé contre l’auteur de l’attentat par la justice française. »
Et l’APPC de poursuivre son argumentation : « Pire, ce projet est mené au nom des générations futures, comme si le judaïsme devait se dépouiller de son histoire pour mieux accueillir ses nouveaux venus sur un terreau vierge. C’est selon nous un contresens. Car si le judaïsme libéral se doit d’être tourné vers l’avenir, il cessera d’être juif s’il piétine l’héritage dont il est dépositaire. Ce tribut, empreint de souvenirs de joie comme de douleur, imprègne l’atmosphère à la fois solennelle et chaleureuse de la synagogue Copernic. L’épaisseur historique dont elle est porteuse est irremplaçable. Nous n’avons pas le droit d’en priver les générations futures. »
Ne « pouvant accepter que l’âme des lieux soit perdue pour toujours, que la mémoire des évènements, heureux et malheureux, qui ont jalonné la vie des fidèles et des habitants, soit effacée à jamais », les associations, parisiennes et nationales, qui luttent contre le projet ont décidé de poursuivre leur combat, malgré le permis de la mairie de Paris. Le cabinet Huglo Lepage Avocats a ainsi été saisi afin qu’il introduise dans les plus brefs délais un recours s’opposant au projet.
L’organisation Judaïsme en mouvement souhaite elle déjà à ses fidèles : « Bienvenue dans la nouveauté respectueuse de l’ancien. Bienvenue dans l’intemporel. » Et promet : « Ces pierres de Jérusalem, dans le lieu d’étude, d’apprentissage, de prière, de fraternité et d’intelligence que Copernic propose à ses fidèles, seront des pierres vivantes. Que la tradition, que la sagesse infinie de la Torah se donne toujours la chance de la jeunesse, c’est bien ce que nous dit le Talmud, dans le traité Hagiga : ‘Il n’y a pas de maison d’étude sans une nouveauté chaque jour.’ »