Le réalisateur oscarisé de ‘Navalny’ invite le monde à résister aux régimes toxiques
Une semaine après les Oscars, le Canadien juif de 29 ans appelle les Israéliens à s'inspirer du dissident russe Navalny et à ne pas « esquiver la lutte contre l’autoritarisme ».
Entre sa récente victoire aux Oscars et son engagement contre l’autoritarisme, Daniel Roher, le réalisateur du documentaire « Navalny », n’a guère le temps de revenir sur son succès académique.
Tout juste âgé de 29 ans, le cinéaste juif canadien a récemment réalisé un documentaire pour CNN intitulé « Navalny », consacré à l’opposant russe Alexeï Navalny et qui lui a valu, le 12 mars dernier, l’Oscar du meilleur long métrage documentaire.
Le film suit le dissident russe depuis son empoisonnement en août 2020.
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Navalny accuse Poutine d’avoir voulu l’assassiner, ce que Poutine nie catégoriquement.
La caméra accompagne le journaliste bulgare Christo Grozev qui enquête, en compagnie de l’équipe de Navalny, sur les dessous de l’empoisonnement, alors que Navalny se rétablit en Allemagne.
À la manière d’un thriller, le film montre Navalny en train de piéger au téléphone les hommes qu’il pense être responsables de la tentative de meurtre dont il a été victime.
Sans savoir qu’il parle en fait à l’homme qu’il a empoisonné, l’un d’eux avoue les faits.
Navalny est retourné en Russie en 2021, où il a été emprisonné.
Lors d’un bref appel depuis Los Angeles, Roher a beaucoup parlé de l’importance de résister à la résurgence de l’autoritarisme – notamment en Israël.
Cette conversation a été remaniée pour des raisons de longueur et de clarté.
The Times of Israel : Félicitations. Comment se sont déroulés les Oscars ? Y avait-il quelqu’un que vous vouliez rencontrer en particulier ?
Daniel Roher : J’ai rencontré Liza Donnelly [la dessinatrice du New Yorker] et nous avons pu nous dessiner sur le tapis rouge. C’était très amusant. A part ça, j’étais surtout immensément reconnaissant de l’opportunité qui m’était donnée de délivrer un message au monde, celui de Navalny, à savoir de ne pas détourner le regard et esquiver le combat contre l’autoritarisme. C’est particulièrement pertinent en Israël en ce moment.
Des dizaines, des centaines de milliers de manifestants descendent dans la rue pour manifester contre le gouvernement nationaliste et d’exclusion le plus extrême de toute l’histoire d’Israël. Si j’ai accepté de vous parler, c’est parce que je crois que ce que Navalny représente, et ce pourquoi il se trouve en prison en ce moment, ne se réduit pas à la Russie, mais concerne bien le monde entier, et en particulier Israël.
Dans votre discours d’acceptation, vous avez dit que Navalny était à l’isolement depuis cinq mois parce qu’il s’était prononcé contre la guerre en Ukraine.
Bien sûr, ils ne disent pas que c’est pour cela. Mais il y a une corrélation évidente entre le discours anti-guerre de Navalny et le fait qu’il soit le seul prisonnier russe perpétuellement à l’isolement.
Je ne sais pas si c’était intentionnel, mais dans une interview que vous avez donnée à NPR, vous avez repris les propos du sage juif Hillel, en disant à propos de la résistance de Navalny à Poutine qu’elle relevait de l’attitude « Si je ne le fais pas, qui le fera ? Et si ce n’est pas maintenant, alors quand ? » Votre judéité influence-t-elle votre travail d’une manière ou d’une autre ?
Les valeurs de justice sociale au coeur du judaïsme qui est le mien influencent clairement mon travail. Mon grand-père était un survivant d’Auschwitz. Je pense que cet aspect de l’histoire de ma famille et la destruction de tant de familles ont un impact sur le genre de films que je souhaite faire et les sujets que j’aimerais traiter. À l’évidence, la lutte contre l’autoritarisme et ce que Navalny incarne représentent beaucoup pour moi : tout ceci était très présent lors du tournage du film.
Navalny raconte une anecdote, dans le film, qu’il appelle « Moscou 4 ». Il y dit en substance que même les dictateurs ou les régimes dits sophistiqués font des erreurs stupides [dont il est possible de profiter]. C’est un message encourageant pour ceux qui résistent.
Ce que veut dire Navalny, c’est que chaque individu a sa part de responsabilité lorsqu’il s’agit de s’attaquer à un tyran comme Poutine. Il est très clair là-dessus. Son rêve est de faire naitre une tradition démocratique dans son pays, ce qui implique de parler à tout le monde et de faire le maximum pour mobiliser tout le monde.
La démocratie est un exercice difficile : pour la construire, on ne peut pas se contenter de parler avec les gens avec lesquels on est déjà d’accord. Il faut parler à tout le monde. C’est un message très difficile et les gens ont du mal avec, mais je pense que c’est une valeur fondamentale d’Alexei.
Vous avez précédemment dit au Times of Israel que vous aviez de la famille en Israël. Suivez-vous ce qui s’y passe ? Comment votre film influence-t-il votre vision du monde ?
Je suis la politique israélienne de très près parce que je m’intéresse à la géopolitique, mais aussi parce que je suis juif et que j’ai de la famille en Israël.
Tout ce qui se passe en Israël en ce moment – les manifestants, la lutte contre la police, ce projet de loi controversé sur la réforme judiciaire que Netanyahu tente de faire adopter – relève de thèmes et d’idées très présents dans le documentaire Navalny.
En réalité, Navalny ne s’adresse pas seulement au peuple russe, mais au monde entier. C’est précisément là où la démocratie est en danger qu’il faut voir ce film.
Je pense que c’est particulièrement évident en Israël aujourd’hui. J’ai été très déçu et inquiet lorsque Netanyahu a repris les rênes du pouvoir. Pour moi, c’est comme le jour où Trump a été élu. Ceux avec lesquels il a choisi de former un gouvernement sont des gens très, très dangereux qui ne devraient pas occuper des postes de pouvoir et d’influence. J’applaudis et je soutiens tous les manifestants qui descendent dans la rue s’opposer au projet de loi de réforme judiciaire, ô combien dangereux et corrosif. Il doit être purement et simplement retiré.
Avez-vous l’impression d’avoir tiré des leçons sur la résistance à l’autoritarisme ? Quelles pourraient-elles être ?
À titre personnel, je ne prends rien pour acquis. Il est très facile de tenir pour acquises les valeurs et vertus avec lesquelles nous [Canadiens et Américains] avons grandi. Il faut se garder de les considérer comme des acquis, et au contraire apprécier la démocratie et prendre conscience que l’érosion démocratique peut se faire par petites touches impressionnistes, qui peuvent facilement passer inaperçues. Je crois que tout le monde doit contribuer au débat public. Par de petites actions, comme le vote, ou des actions plus importantes, comme le fait de descendre dans la rue, à Tel Aviv, pour manifester contre cet épouvantable gouvernement de droite.
Vous avez parlé de la manière dont Navalny utilisait l’humour comme tactique de résistance.
Je crois que l’une des compétences majeures de Navalny est sa maîtrise des médias et sa capacité à tirer parti des réseaux sociaux contemporains pour diffuser son message politique : YouTube, Instagram, Twitter. Ce que j’apprécie vraiment en tant que Juif, c’est sa capacité à utiliser l’humour comme une arme. Navalny incarne à la perfection cette qualité, à mes yeux on ne peut plus juive, qui permet de transformer les pires traumatismes et difficultés en humour et en rires. Je suis persuadé que c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il est tellement suivi. Il ne se contente pas de mener ces enquêtes sèches sur la corruption. Il y apporte cet aspect décalé qui est nouveau, rafraîchissant et motivant.
Je pense que le film a du succès parce qu’il y a aussi cette part de comédie. L’histoire est évidemment très intense, mais on ne peut s’empêcher de rire parce qu’il est vraiment très drôle, et qu’il vous donne quelque part la permission de le faire. Cela me fait penser à tous ces gens que je connais, qui ont traversé de dures épreuves. Cela me rappelle particulièrement mon grand-père. On peut en rire ou en pleurer, alors autant en rire. Je pense que c’est ce que Navalny pense.
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