L’envoyé de l’UE chassé du site d’une nouvelle implantation à Jérusalem-Est
Sven Kühn von Burgsdorff était à la tête d'une délégation de 13 diplomates européens pour protester contre une "tentative d'annexion" ; les activistes de droite ont réagi
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
Des manifestants de droite ont chassé le haut-représentant auprès des Palestiniens de l’Union européenne du site qui devrait accueillir un nouveau projet d’implantation de logements. L’homme a été qualifié « d’antisémite » et de « soutien du terrorisme ».
Sven Kühn von Burgsdorff a indiqué ultérieurement que s’il ne s’était pas senti menacé, il avait regretté de s’être trouvé dans l’incapacité d’ouvrir un dialogue constructif avec les protestataires.
Il avait prévu de prendre la tête d’une délégation constituée de 13 diplomates des Etats-membres européens pour faire part de son désaccord face au plan d’élargissement de Givat Hamatos, un quartier où les autorités israéliennes ont lancé, dimanche, un appel d’offres pour la construction de nouveaux logements.
Un grand nombre de pays de la communauté internationale ont condamné ce projet, disant que de nouvelles constructions dans ce lieu sensible nuiraient à la perspective de la fondation d’un État palestinien contigu.
Von Burgsdorff et d’autres diplomates européens, parmi lesquels des représentants de l’Allemagne, de la France, de l’Espagne, de l’Italie, des Pays-Bas et d’autres pays, ont été accueillis par près d’une dizaine d’activistes appartenant au mouvement Im Tirzu.
Ces derniers ont scandé « Union européenne, tu devrais avoir honte » et « Retournez en Europe », accusant également les responsables européens d’apporter leur soutien au terrorisme.
La délégation a alors fait volte-face et elle s’est dirigée vers un autre site du secteur où von Burgsdorff avait prévu de faire un discours. Mais au moment où les diplomates sont sortis de leur véhicule, se rassemblant à un endroit, les activistes israéliens, eux aussi, sont arrivés, brandissant des drapeaux et entonnant des slogans, rendant par cela impossible l’allocution du responsable européen.
Après quelques minutes, les représentants sont donc retournés à leurs voitures et ont quitté les lieux. Alors que les véhicules passaient devant les activistes et les journalistes, circulant dans les rues étroites, une voiture est entrée dans un véhicule stationné là, entraînant des dégâts mineurs.
Environ trente minutes plus tard, les diplomates se sont réunis sur la promenade de Tapliot, dans une différente partie de la ville, où von Burgsdorff s’est brièvement adressé à quelques journalistes.
« Nous sommes venus tôt, 24 heures après la prise de décision, pour exprimer notre désaccord avec cette initiative et pour souligner l’importance de créer une atmosphère de confiance entre les parties », a-t-il dit.
Dimanche matin, l’Autorité des terres israéliennes et le ministère du Logement ont lancé un appel d’offres en vue de la construction de 1 257 unités de logement dans un nouveau quartier de Givat Hamatos. Si le projet se réalise, cela serait le tout premier quartier juif à Jérusalem-Est depuis deux décennies.
« Ce à quoi nous assistons en ce moment, c’est à une initiative d’annexion de facto. Et cela ne peut pas continuer », a commenté von Burgsdorff.
Vous seriez surpris de savoir combien les négociateurs palestiniens peuvent être pragmatiques
Il a appelé l’Etat juif à revenir sur son projet et, à la place, à « donner une impulsion » en faveur d’une reprise des négociations de paix entre les Israéliens et les Palestiniens. « C’est la seule manière d’avancer. Sans dialogue, il est impossible d’avancer. Et pour mettre en place un dialogue, il faut créer la confiance. Ce type d’initiatives ne sont pas de celles à créer la confiance », a-t-il poursuivi.
L’administration sortante du président américain Donald Trump a « gravement compromis la possibilité d’aboutir à une solution à deux Etats, respectueuse des paramètres internationaux », a déclaré von Burgsdorff, qui a ajouté que l’UE espérait que le président américain élu, Joe Biden, serait en mesure de redynamiser le processus.
« Je ne me sens pas personnellement menacé », a confié le diplomate au Times of Israel alors qu’il lui était demandé quel était son sentiment sur l’accueil qui lui avait été réservé par les activistes à Jérusalem-Est. « Il est malheureux que nous ne puissions pas ouvrir un dialogue raisonnable avec ces individus, et c’est dommage parce que j’aurais aimé parler avec eux ».
Von Burgsdorff a rejeté l’accusation d’antisémitisme de sa part, soulignant qu’il ne faisait que représenter les positionnements de longue date de l’Union européenne au Moyen-Orient.
« Je suis encore un diplomate. Je suis invité dans ce pays », a-t-il déclaré, notant qu’il avait une accréditation de l’Autorité palestinienne mais pas d’Israël.
S’exprimant auprès de quelques journalistes, il a expliqué avoir suivi avec un grand intérêt les discussions juives sur l’avenir du conflit israélo-palestinien, des commentateurs variés débattant des mérites d’une solution à un Etat ou d’une solution à deux Etats.
« Mais ne spéculons pas à ce sujet. Pourquoi ne donnons-nous pas aux parties l’opportunité de revenir à la table des négociations et de discuter de tout cela ? Vous seriez surpris de savoir combien les négociateurs palestiniens peuvent être pragmatiques », a-t-il dit.
« Les Arabes, du côté palestinien, sont très réalistes. D’un autre côté, ils ne dévoilent pas toutes leurs cartes. Ce qui est important, c’est de créer la confiance de manière à ce qu’on fasse revenir tout le monde à la table des négociations », a-t-il ajouté.
Ce n’est pas à Bruxelles de décider la manière dont les Israéliens et les Palestiniens parviendront, en fin de compte, à vivre ensemble, a remarqué le diplomate né en Allemagne.
« Mais la paix et la sécurité nous intéressent. Israël est l’un de nos plus proches alliés, peut-être même le plus proche, au Moyen-Orient », a-t-il noté. « Mais nous voulons nous assurer que ce conflit qui semble insoluble… pourra s’achever lorsque les deux peuples pourront vivre ensemble dans la paix, la prospérité et la sécurité. C’est le rêve que nous nourrissons. Et je pense que c’est possible. Je ne me trouverais pas ici, le cas échéant », s’est-il exclamé.
Dimanche, le responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, a émis un communiqué dans lequel il s’est dit « profondément inquiet » suite à la décision prise par Israël de lancer son appel d’offres pour des constructions à Givat Hamatos.
« C’est un secteur déterminant entre Jérusalem et Bethléem en Cisjordanie occupée. Toute construction d’implantation entraînera des dégâts sérieux concernant la perspective de l’établissement d’un état palestinien et contigu et, plus largement, concernant la possibilité d’une solution négociée à deux états, conformément aux paramètres convenus par la communauté internationale, et avec Jérusalem comme future capitale des deux Etats », a-t-il déclaré dans le communiqué.
L’UE, ainsi que de nombreux observateurs internationaux, se réfèrent aux quartiers israéliens à Jérusalem-Est comme à des implantations, tandis qu’Israël considère Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest comme formant la capitale unifiée du pays.
Pour sa part, le coordinateur spécial pour le processus de paix au Moyen-Orient, Nickolay Mladenov, a également évoqué sa grande préoccupation au sujet du projet de Givat Hamatos.
« Si ces constructions devaient se faire, elles viendraient consolider un noyau d’implantations entre Jérusalem et Bethléem, en Cisjordanie occupée. Ce qui nuirait de manière significative aux perspectives de l’établissement d’un état palestinien contigu comme à la mise en place d’une solution à deux états sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem comme capitale des deux états », a-t-il expliqué.
Les Palestiniens ont eux aussi condamné le plan.
Ce projet entre dans le cadre de « la continuation des tentatives du gouvernement d’occupation de tuer la solution à deux états, soutenue par la communauté internationale, et il montre le mépris de toutes les résolutions de la légitimité internationale qui ont affirmé de manière répétée l’illégalité des implantations », a estimé Nabil Abu Rudeineh, un porte-parole du président de l’AP Mahmoud Abbas.
« Les appels d’offres continues émises par le gouvernement d’occupation pour de nouvelles unités de logement ne changent rien au fait que toutes les implantations sont condamnées à disparaître, qu’elles sont illégales et qu’elles contreviennent à toutes les décisions et au droit internationaux », a ajouté le responsable palestinien.