Les baisses de taxes immobilières pourraient faire flamber les prix – experts
L'initiative gouvernementale de diminution des taxes sur l'achat d'un deuxième bien montre l'échec à abaisser les prix de l'immobilier mais favorise l'industrie de la construction
Une réduction des impôts sur l’achat d’un deuxième bien immobilier est entrée en vigueur la semaine dernière, une tentative de faire revenir les investisseurs vers le marché du logement, de redynamiser le secteur de la construction et d’augmenter les revenus fiscaux à un moment où le gouvernement lutte contre les répercussions économiques de la crise du coronavirus.
L’initiative, qui a été proposée par le ministre des Finances Israel Katz et approuvée par la Knesset, devrait en effet permettre le retour des investisseurs sur le marché mais elle devrait probablement aussi entraîner une nouvelle hausse dans les prix de l’immobilier, entravant encore davantage les efforts livrés par le gouvernement, depuis plusieurs années, pour faire baisser les prix du logement.
Les taxes, lors de l’achat d’un second bien immobilier, passeront de 8 % à 5 % pour les biens atteignant le prix de 1,29 millions de shekels. Pour ceux dont le prix se situe entre 1,29 million de shekels et 3,88 millions de shekels, les impôts s’élèveront à 6 % ; puis à 7 % pour les biens allant de 3,88 millions de shekels à 5,34 millions de shekels. Ils seront taxés à hauteur de 8 % s’ils sont vendus entre 5,34 millions de shekels et 17,8 millions de shekels. Les maisons au-dessus de 17,8 millions de shekels, pour leur part, taxées à 10 %.
Cette décision a été annoncée par l’Autorité fiscale le 29 juillet.
Cette mesure a pour objectif de lutter contre un ralentissement de l’offre immobilière qui pourrait être causé par une demande revue à la baisse, alors que le coronavirus a réduit les dépenses dans un contexte de recrudescence du chômage.
En date du 8 août, il y avait 875 227 personnes à la recherche d’un emploi dans le pays, avec notamment 577 633 personnes placées en congé payé, selon les données transmises par le service de l’emploi. L’économie devrait se rétracter cette année pour la première fois depuis 2002 et il pourrait falloir cinq ans avant qu’Israël ne se rétablisse totalement de la crise qui a été entraînée par la pandémie, a fait savoir dimanche le ministère des Finances dans des prévisions.
« Actuellement, alors que nous assistons à un déclin dans le volume des transactions, il est très important de donner un coup d’accélérateur à l’industrie de l’immobilier qui est un moteur de croissance pour l’économie entière. Cette initiative permettra de réduire le ralentissement attendu sur le marché », a noté le ministère des Finances dans un courriel.
Le feu vert accordé la semaine dernière par la Knesset a permis de revenir sur une ordonnance temporaire datant de 2015 qui permettait d’imposer des taxes plus élevées lors de l’achat d’un second bien immobilier – un décret qui était condamné de toute façon à expirer à la fin de l’année.
Ce décret temporaire avait été mis en œuvre pour dissuader les investisseurs et offrir la primeur des habitats disponibles aux primo-accédants. Il cherchait à rendre les investissements dans le secteur de l’immobilier « moins attractifs, en ouvrant des milliers d’appartements à des gens qui ne possèdent pas encore », avait alors commenté l’ancien ministre des Finances Moshe Kahlon.
Kahlon avait fait de la baisse du coût de la vie sa priorité, s’attaquant notamment aux prix du logement.
L’idée de Kahlon était que des impôts plus élevés sur l’achat d’une deuxième maison entraîneraient une diminution de la demande et que les prix baisseraient, a expliqué Tali Yaron Eldar, ancienne commissaire aux impôts au sein de l’Autorité fiscale israélienne, au cours d’un entretien téléphonique. Mais les prix des habitations ont continué à grimper, constate-t-elle.
« Ce n’est pas tout : les prix à la location ont aussi augmenté parce que les secondes habitations de ce type sont en général louées », continue Yaron Eldar. Les hausses fiscales ont dissuadé les investisseurs et entraîné la chute des logements à louer, ce qui a entraîné une hausse des prix pour les locataires, note-t-elle.
Abaisser les impôts, ajoute-t-elle, « est la bonne chose à faire ».
« En général, plus il y a de taxes imposées aux prix de l’immobilier – indépendamment du type de bien mis en cause – plus cela va entraîner, en fin de compte, une augmentation des prix et non une baisse », poursuit Yaron Eldar.
Dans l’acquisition d’une maison, les taxes représentent une part significative du prix d’achat, explique-t-elle. Et lorsque la maison revient sur le marché, son prix reflétera le prix plus élevé payé par l’acheteur, rendant le bien plus coûteux, même pour un primo-accédant, précise-t-elle.
L’objectif poursuivi par le ministère des Finances à travers cette baisse du taux d’imposition lors de l’acquisition d’un second bien immobilier est de « ramener les investisseurs » sur le marché du logement, dit Eran Lempert, partenaire et codirigeant du département fiscal du cabinet de juristes Yigal Arnon & Co. Cela aidera les contractants et le secteur de la construction, cela encouragera les activités économiques et générera des revenus fiscaux plus importants pour le gouvernement lorsque les transactions commenceront à affluer, dit-il.
La présence d’investisseurs acquérant un second bien immobilier a significativement chuté depuis que l’impôt a été augmenté en 2015, explique Alon Kol Kreis, économiste spécialisé dans la recherche au sein de Leumi Capital Markets, une unité de la Banque Leumi Le-Israel Ltd., dans une interview.
« Les taxes plus basses pourraient entraîner le retour des investisseurs sur le marché », indique-t-il.
Ces investisseurs pourraient dorénavant voir le marché résidentiel comme une mesure « de sûreté » par rapport au caractère aléatoire du marché boursier ou du secteur immobilier commercial, alors que les magasins et les centres commerciaux ont fermé en raison des confinements imposés pour réduire la propagation du coronavirus.
« Ce n’est pas encore arrivé mais cela pourrait amener les investisseurs présents sur ces marchés à récupérer leurs fonds et à l’injecter sur le marché des habitations, considéré comme plus sûr et plus solide », continue Kol Kreis. L’impôt plus bas sur les transactions pourrait bien servir « d’accélérateur » pour le retour des investisseurs sur le marché du logement résidentiel, continue-t-il.
Lempert, l’avocat, et Kol Kreis, l’économiste de la banque Leumi, disent que les prix de l’immobilier pourraient bien flamber en raison de ces taux de taxation revus à la baisse.
« Cela pourrait faire s’élever les prix des habitations – et l’objectif original était de faire partir les investisseurs du marché et d’abaisser les prix du logement », continue Lempert.
Les réductions de taxe et autres programmes mis en œuvre par Kahlon n’ont pas entraîné une baisse des prix, remarque Kol Kreis, même s’ils ont permis de ralentir la hausse – qui est passée d’un taux à un chiffre en 2015 et 2016 à « un taux à un chiffre bas » aujourd’hui.
L’indice des prix du logement s’élève actuellement à un peu plus de 420 contre 380 en 2016 après avoir connu des hausses et des baisses dans cet intervalle de temps, selon le site Trading Economics, qui s’est basé sur les données du Bureau central des statistiques. L’impact de la pandémie a aidé à abaisser les prix cette année, et l’indice a décliné, passant de 427 – un chiffre record en une décennie – à 421,1 au mois de mai, lorsque la pandémie faisait rage, indiquent les données. Les prix, en 2020, restent encore néanmoins plus élevés que ce qu’ils étaient en 2015 et en 2016, après l’imposition de la hausse des taxes.
« La tentative visant à lutter contre les investisseurs par le biais de cet impôt sur l’achat était inappropriée et, rétrospectivement, elle n’a pas atteint son but », estime Lempert.
Parce que cette taxe sur l’acquisition n’est pas une une taxe ‘sophistiquée’, elle affecte tout le monde, de manière indiscriminée.
« Elle est imposée à tous, riches et pauvres, que le bien soit vendu pour obtenir des bénéfices ou qu’il soit vendu à perte », continue-t-il.
Et cela entraîne « une sorte de distorsion économique », ajoute-t-il, parce qu’il s’agit d’un impôt global qui impose un coût ajouté à la transaction.
« Le meilleur moyen de faire baisser les prix de l’immobilier dépend de la demande et de l’offre, il n’est aucunement lié à la taxation », confie Lempert.
« Les taxes peuvent être un outil supplémentaire », précise-t-il, « mais elles ne peuvent pas être l’outil principal. C’est l’offre qui est l’outil principal ».
L’Association des constructeurs israéliens a, de son côté, déclaré dans un communiqué que cette baisse des taxes était une bonne initiative pour l’industrie de la construction et qu’elle permettrait de mettre à disposition 15 000 logements de plus sur le marché de la location l’année prochaine. Le coronavirus a stoppé les projets de construction, a noté l’association, qui a aussi appelé à l’abolition totale des impôts pour les investisseurs acquéreurs d’un deuxième bien immobilier pendant une période limitée.
La disparition totale de ces taxes, pendant un an, pourrait entraîner des revenus fiscaux supplémentaires pour l’Etat à partir d’autres types de frais liés à l’acquisition d’un logement et à hauteur d’environ 5,5 milliards de shekels, a expliqué l’association, avec l’augmentation du nombre de transactions. Les revenus fiscaux issus de la vente d’une deuxième maison se sont élevés à approximativement 1,7 milliard par an après la hausse des taxes survenue en 2015, a-t-elle remarqué.
Raul Srugo, président de l’Association des constructeurs, estime que cette réduction fiscale est une « avancée dans la bonne direction » qui permettra de garantir que suffisamment d’appartements seront construits et mis à la location à un moment où les citoyens luttent pour pouvoir acquérir un logement et payer leurs hypothèques dans un contexte de crise économique.
« La réalité actuelle nous dicte la nécessité d’obtenir des investissements supplémentaires dans les appartements et l’obligation de soutenir le fonctionnement continu de l’industrie de la construction pour aider l’économie à émerger de cette crise », commente-t-il.
Faire baisser les prix du logement n’est plus au cœur des initiatives gouvernementales, estime pour sa part l’ancienne commissaire Yaron Eldar. Et c’est particulièrement le cas en cette période de crise économique entraînée par le coronavirus.
Les prix du logement dans ces conditions économiques ne devraient pas beaucoup changer, ajoute-t-elle.
« Ce n’est pas le principal défi à relever. Aujourd’hui, nous évoluons dans un monde différent. Ce n’est plus un objectif prioritaire », déclare-t-elle. « Les gens, aujourd’hui, rencontrent des difficultés à assurer leur survie économique, et pas seulement pour payer leurs loyers. Le gouvernement devrait se focaliser sur l’augmentation du salaire minimum et sur la création d’emploi – avant tout, les Israéliens doivent avoir du travail et de quoi se nourrir. »