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Les eaux usées transportent-elles le virus ? Les experts s’interrogent

Pour Dror Avisar, chef d'un centre de recherche à l'université de Tel Aviv, le danger posé par le COVID-19 dans les ruisseaux, les nappes phréatiques, sur les plages est inconnu

Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

Inondations après quelques jours de fortes pluies dans le ruisseau Kidron dans le désert de Judée, le 27 novembre 2014. Les eaux usées de nombreux quartiers de Jérusalem-Est et de plusieurs quartiers juifs - y compris la zone autour de la Vieille-Ville et près de la place Safra - se déversent, telles quelles, sans aucun traitement dans le cours du fleuve. (Yossi Zamir/Flash90)
Inondations après quelques jours de fortes pluies dans le ruisseau Kidron dans le désert de Judée, le 27 novembre 2014. Les eaux usées de nombreux quartiers de Jérusalem-Est et de plusieurs quartiers juifs - y compris la zone autour de la Vieille-Ville et près de la place Safra - se déversent, telles quelles, sans aucun traitement dans le cours du fleuve. (Yossi Zamir/Flash90)

Un éminent expert israélien spécialisé dans les questions de l’eau a appelé, dimanche, à ce que des recherches soient entreprises en urgence pour déterminer la capacité du nouveau coronavirus présent dans les excréments humains à survivre dans les ruisseaux, les nappes phréatiques, l’eau de mer et dans les structures chargées de traiter les eaux usées, ainsi que sur les plages.

Le professeur Dror Avisar, chef du Centre de recherche sur l’eau au sein de l’université de Tel Aviv, a indiqué que s’il n’y avait pas de raison de tirer immédiatement la sonnette d’alarme, des traces du virus avaient été découvertes dans les eaux usées de certains pays – Hollande, Chine, Australie, Suède et Etats-Unis notamment – et plus récemment en Israël au cours des deux dernières semaines.

Le 17 avril, l’organisme Eau de Paris avait diffusé des résultats de recherches qui avaient été effectuées et qui avaient confirmé la corrélation entre la concentration du virus dans les eaux usées et le taux d’infection parmi les Parisiens. Il avait suggéré que la surveillance des eaux usées pouvait aider à prédire une seconde épidémie.

Avisar s’intéresse à la manière dont se comporte le virus dans le milieu aquatique. « J’ai pris part à un webinaire il y a deux semaines, avec 1 000 experts de l’eau issus de 120 pays sur ce sujet très précis », explique-t-il au Times of Israel. « Aujourd’hui, personne ne sait quelles sont les réponses ».

Le professeur Dror Avisar. (Capture d’écran : YouTube)

Une équipe de l’université Ben Gurion du Néguev a indiqué, dimanche, avoir mis au point une nouvelle méthodologie qui a déjà permis de remarquer la présence du virus dans les eaux usées au cours d’une première série d’échantillonnage. Elle a précisé ne pas avoir trouvé de preuve attestant d’un potentiel danger.

Pour sa part, Avisar estime qu’il est essentiel de faire des recherches plus fouillées. « Quelle quantité de partie virale reste entière et active, et quelle quantité est fragmentée ? », s’interroge-t-il. « Disons que 15 à 30 % du virus entré dans l’eau sont actifs : Alors deux problèmes se posent ».

« C’est un problème dans les lieux où les eaux usées s’écoulent à proximité des environnements humains, ou dans les ruisseaux, ou dans les nappes phréatiques. Il peut également se former des aérosols (gouttelettes dans l’air) », continue-t-il.

« Et, dans le pire des scénarios, si le virus survit pendant quelques jours, alors la faune sauvage – les oiseaux ou les rongeurs, par exemple – peuvent entrer en contact avec lui. Et il faut se souvenir que le coronavirus est zoonotique – il peut être transmis par les animaux aux êtres humains. Et ce mouvement du virus vers les animaux, à partir des eaux usées, serait-il capable de lancer une seconde vague de COVID-19 au sein de la population ? Nous l’ignorons absolument », poursuit-il.

L’usine de traitement des eaux usées de la région de Dan (SHAFDAN) à Rishon Lezion, le 22 novembre 2018 (Crédit : Isaac Harari/Flash90)

Il faut également faire des recherches dans les structures de traitement des eaux usées, note Avisar. « Nous avons besoin de savoir si le traitement des eaux usées détruit le virus dans sa globalité ».

Ces eaux sont traitées en plusieurs phases. La première est mécanique – les matières solides sont séparées et elles tombent au fond des cuves par gravité. La seconde est la décomposition biologique et elle s’appuie majoritairement sur les services offerts par les bactéries. Après cela, l’eau peut être filtrée ou désinfectée, selon les pratiques qui sont mises en œuvre.

« Le virus survit-il dans l’eau ? Combien de temps ? Est-il actif ? Survit-il à la décomposition biologique et s’il y a un processus de désinfection, ce dernier est-il efficace ? Nous devons trouver les réponses », clame-t-il.

Des eaux usées irriguent les récoltes dans le kibboutz Bror Hayil, dans le sud d’Israël (Capture d’écran : YouTube)

Israël est leader mondial dans le recyclage des eaux usées. 87 % des eaux usées sont traitées et utilisées pour arroser la moitié des récoltes réalisées dans le pays.

Les eaux résiduelles ayant traversé la deuxième phase de traitement peuvent être utilisées pour les vergers, mais le processus de désinfection est obligatoire pour les eaux usées utilisées pour les légumes.

Interrogé sur une éventuelle pénétration du virus dans les fruits et légumes, Avisar, qui s’est porté candidat pour une subvention de recherches auprès du ministère de la Santé, dit « qu’il est difficile, en ce qui me concerne, de croire qu’il peut entrer dans notre alimentation mais je veux le savoir parce qu’à ce jour, je n’ai aucune certitude ».

Il est difficile de dire pourquoi Israël n’a pas été le premier pays à examiner la question de la présence du coronavirus dans les eaux usées, dans la mesure où ce type d’étude est souvent entreprise au sein de l’Etat juif.

Une vue de la ville bédouine de Rahat, dans le sud d’Israël, le 8 avril 2019 (Crédit : Moshe Shai/Flash90)

En 2013, des examens réalisés aux alentours de la ville de Rahat avaient révélé la présence de traces de la poliomyélite avant même que qui que ce soit ait présenté de symptômes. Une campagne de vaccination immédiate avait fait en sorte que personne n’attrape le virus à l’origine de la maladie.

Il y a eu également, dimanche, la publication d’un rapport sur le sujet émis par l’ONG EcoPeace Middle East (ex-Friends of the Earth Middle East), un groupe qui, sur une période de 25 ans, rassemble Israéliens, Palestiniens et Jordaniens dans le cadre d’une coopération sur des projets environnementaux communs.

Ce nouveau rapport – consacré à la coopération sur le coronavirus et les eaux usées – note qu’une grande partie de ces dernières sont non-traitées ou le sont médiocrement en Jordanie et en Cisjordanie, où elles s’écoulent le long des rues, pénètrent dans les ruisseaux – 16 d’entre eux traversent la frontière israélienne – avant de rejoindre les nappes phréatiques.

Les ruisseaux qui traversent la Jordanie, la Cisjordanie, Israël et Gaza. (EcoPeace)

Dans la vallée du Jourdain – le cœur agricole de la Jordanie, où poussent 70 % des fruits et légumes du royaume – seulement 6 % des plus de 600 000 habitants sont reliés à un système de traitement des eaux usées, le reste utilisant des fosses – où les eaux d’égout ne sont pas traitées, précise le rapport.

« Des niveaux de pollution élevés ont été trouvés dans les ruisseaux de la vallée du Jourdain, sur les rives est et ouest, où plus d’un million de pèlerins viennent du monde entier se faire baptiser, chaque année », continue le rapport.

Ce rapport réclame une coopération renforcée entre Israéliens, Palestiniens et Jordaniens, ainsi qu’une réorganisation du consortium du Moyen-Orient sur les maladies pandémiques.

Il recommande également vivement un réexamen de toutes les structures de traitement des eaux usées en Israël pour garantir que des processus efficaces de désinfection soient bien mis en œuvre, ajoutant que les employés de ces usines et les fermiers qui utilisent les eaux résiduelles n’ayant pas été soumises à une désinfection devaient être dépistés au COVID-19.

Il explique que les autorités jordaniennes et palestiniennes doivent entreprendre des démarches similaires et qu’elles doivent également conseiller aux propriétaires des habitations qui ne sont pas reliées à des systèmes de traitement des eaux d’égout d’ajouter des désinfectants dans leurs fosses.

Et il prône également de tester tous les ruisseaux transfrontaliers, ainsi que les plages du sud de l’Etat juif – en particulier de Zikim à Ashdod, pour vérifier qu’aucune contamination n’ait eu lieu suite à l’arrivée d’eaux usées non-traitées par le biais des courants marins depuis Gaza.

Un Palestinien regarde les eaux usées s’écouler sur la plage, dans le centre de la bande de Gaza, le 22 mars 2010 (Crédit : Wissam Nassar/Flash90)

Il y a trois ans, EcoPeace avait révélé que des eaux usées de Gaza flottaient vers le nord, ce qui avait obligé l’usine de dessalement d’Ashkelon, sur la côte du sud d’Israël, à fermer par intermittence.

« Israël avait donc changé sa politique et avait commencé à permettre l’entrée de ciment à Gaza pour la construction d’une usine de traitement des eaux usées là-bas », dit le directeur israélien de l’organisation, Gidon Bromberg, au Times of Israel. Aujourd’hui, il y a trois structures de ce type au sein de l’enclave côtière, ce qui a permis de diminuer de 40 % – selon les estimations – le déversement des eaux usées dans la mer.

Et aujourd’hui, ajoute Bromberg, les exploitants de l’usine de dessalement sont en mesure de cesser de pomper l’eau de mer à chaque fois qu’ils discernent des eaux usées sur des photos par satellite.

« La pandémie de coronavirus est une autre sonnette d’alarme qui montre la nécessité urgente de la coopération transfrontalière dans les questions sanitaires et environnementales », continue Bromberg. « Toutes les recommandations figurant dans le rapport d’EcoPeace exigent que les décisionnaires montrent un esprit de leadership politique au nom du bien-être de toutes les populations, dans toute la région ».

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