Les enfants de villages bédouins non-reconnus exposés à des groupes électrogènes cancérigènes dans les écoles
Alors qu'une organisation d'aide juridique se mobilise pour défier l'État devant la Haute cour, les activistes juifs et bédouins s'unissent pour montrer que le high-tech vert et propre est une réponse viable
La route poussiéreuse et boueuse qui mène au village bédouin d’Elara est à peine praticable, en ce mois de février, après une rare journée de pluie dans le désert.
Toutefois, la pluie n’a pas véritablement nettoyé l’air. Dans une école maternelle qui accueille 140 jeunes enfants, une école située dans un village qui se trouve aux abords de la base Nevatim de l’armée de l’air, dans le sud d’Israël, l’odeur du diesel reste forte.
Les enfants jouent dans une cour qui ouvre sur une cabane en tôle, facile d’accès, qui contient un groupe électrogène bruyant, qui fonctionne au diesel. Une institutrice – qui refuse de donner son nom – explique qu’elle a passé une partie de la journée du samedi précédent plongée dans la fumée alors qu’elle tentait de réparer la machine, en proie à des dysfonctionnements. Elle ajoute que sept de ses 35 jeunes élèves souffrent d’asthme.
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Cette école, à Elara, ne figure sur aucune carte. Elle fait partie d’un groupe d’au-moins 36 établissements scolaires – il s’agit en majorité d’écoles maternelles et élémentaires, qui regroupent à elles toutes 4 600 enfants – dont l’électricité est fournie via de tels groupes électrogènes, selon Gil Yasur. Yasur est le directeur-général de l’organisation à but non-lucratif Shamsuna, une alliance d’activistes juifs et bédouins œuvrant en faveur de la défense de l’environnement et qui tentent de faire remplacer ces vieux générateurs par des alternatives vertes et propres.
Le diesel, une énergie fossile, ne fait pas que polluer l’air. Il est à l’origine de cancers chez les êtres humains, selon l’Agence internationale de recherche sur le cancer.
Et pourtant, ces groupes électrogènes sont omniprésents dans les écoles situées dans les secteurs qui ne sont pas reliés au réseau national d’électricité et où les bâtiments ont été construits sans permis de construire – un permis de construire étant indispensable pour installer des panneaux solaires.
Dans les jours qui viennent, l’organisation de défense de l’environnement Adam Teva VDin déposera une requête devant la Haute cour pour tenter de contraindre l’État à remplacer ces groupes électrogènes.
Des problèmes d’asthme tout au long de l’année
Dans un dispensaire, à proximité de l’école maternelle, le docteur Mohamad Abu Shuldum explique que le village n’est pas relié au réseau électrique parce qu’il n’a pas été reconnu par l’État.
L’hiver, ajoute-t-il, a été « une catastrophe », les petits enfants vivant dans des habitations médiocrement isolées – certaines sont de simples cabanes en tôle – ayant attrapé froid. Mais l’asthme est un problème présent toute l’année, une affection chronique entraînée par la fumée issue des feux de bois, par la poussière des routes non-pavées et par la combustion du diesel des groupes électrogènes, pendant les heures de classe.
Les membres de la communauté bédouine – qui, dans l’Histoire, ont toujours vécu une existence semi-nomade, vivant sous la tente – ont toujours souffert d’asthme, reconnaît-il, mais la présence des groupes électrogènes n’a fait qu’empirer les choses, et en particulier chez les enfants.
« Presque chaque jour, je dois envoyer des enfants consulter à l’hôpital Soroka [dans la principale ville du désert du Néguev, à Beer Sheva] et c’est le cas tout spécialement pendant la saison hivernale », fait-il remarquer.
« Hier – c’était un samedi – je suis venu travailler. J’avais 38 enfants à voir. Ils n’ont pas de quoi se chauffer, alors ils attrapent froid. En général, un grand nombre d’entre eux ont déjà de l’asthme, de toute façon. L’enfant qui est soigné pour de l’asthme, à la maison, vient à l’école maternelle et il va faire une autre crise à cause du diesel », explique-t-il.
La politique gouvernementale prévoit d’installer les Bédouins dans des villes construites à cet effet, ou dans des communautés reconnues. Ces dernières sont dotées d’infrastructures, avec des approvisionnements en électricité, en eau, des systèmes d’assainissement, l’organisation de collecte des ordures. Ces services ne sont néanmoins pas fournis dans la totalité des villages reconnus.
Selon le Bureau central des statistiques, 71 % des environ 300 000 Bédouins israéliens – la majorité d’entre eux vivent dans le sud du pays – habitaient, l’année dernière, dans des communautés planifiées ou reconnues.
De leur côté, les villages non-reconnus ont été construits sans permission ou avant l’adoption de la Loi de 1965 sur la Planification et la Construction (ou, comme c’est le cas d’Elarara, ils ont été établis, semble-t-il, avant la fondation de l’État). Là-bas, les résidents qui revendiquent leur droit à la terre et qui refusent de partir sont considérés comme des occupants illégaux des lieux et les services publics leur sont refusés, même si l’eau est fournie pendant plusieurs heures au cours de la journée. La majorité des habitants utilisent des panneaux solaires qui ne sont pas reliés au réseau pour s’éclairer. Ils creusent des fosses pour recueillir les eaux usées.
Parce que tous les enfants ont droit à l’instruction de par la loi, le ministère de l’Éducation reconnaît pour sa part les écoles, il paie les salaires des enseignants et finance souvent les bâtiments des établissements eux-mêmes. Il transfère aussi de l’argent aux conseils locaux, qui louent et qui exploitent les groupes électrogènes. Mais une porte-parole du ministère déclare n’avoir aucune idée du nombre de groupes électrogènes utilisés parce que l’approvisionnement en électricité, au niveau local, relève de la responsabilité du Conseil local.
Le directeur-général du Conseil régional d’Al-Qasoum nie avoir cette responsabilité, accusant le ministère de l’Éducation de se soustraire aux siennes en ce qui concerne les écoles installées dans les villages bédouins non-reconnus. Ces établissements scolaires, note Hofit Klimovsky, ne relèvent pas de la compétence du Conseil, qui ne fournit ces services aux écoles que parce qu’il en a été « forcé » par le ministère, sans aucun accord formellement ratifié dans ce sens.
Le ministère avait été placé dans l’obligation, par le passé, par la Cour suprême de relier certaines écoles, dans les communautés non-reconnues, au réseau électrique, poursuit Klimovsky, qui affirme que cela fait des années que le Conseil met en garde le ministère contre les dangers posés par les groupes électrogènes.
Il fait toutefois remarquer qu’installer des panneaux solaires nécessite un permis de construire et le respect de certaines régulations. Le Conseil est dans l’incapacité d’obtenir les autorisations nécessaires en l’absence du soutien actif du ministère de l’Éducation, déplore-t-il.
De nouveaux moyens plus écolos
Dans l’intervalle, Shamsuna, une organisation qui réunit Juifs et Arabes, s’efforce de mettre en place quelques projets-pilotes dont l’objectif est de montrer comment offrir un environnement plus propre et plus sain aux enfants qui vivent dans ces secteurs. Et la requête qui va être déposée devant le tribunal, espère le groupe, donnera le feu vert à un renforcement important de ces projets avec l’aide financière des secteurs publi et privé.
Cette campagne avait été initialement lancée par Said al-Harumi, membre bédouin de la Knesset décédé soudainement des suites d’une crise cardiaque à l’âge de 49 ans, en 2021.
Alors qu’il appartenait au parti Raam, la formation dirigée par Mansour Abbas, al-Harumi était entré dans le précédent gouvernement placé sous l’autorité de Naftali Bennett et nommé président de la Commission des Affaires intérieures et de l’environnement au sein du parlement israélien.
Yossi Abramowitz, entrepreneur dans le secteur de l’énergie solaire qui est à l’origine du premier champ solaire de l’État juif, au kibboutz Ketura, à l’extrême sud du pays, tente d’intégrer les panneaux solaires dans les communautés bédouines depuis 15 ans. Il se souvient avoir été le premier invité d’el-Harumi qui l’avait fait venir à son bureau juste après son investiture à ses fonctions.
« Il m’a pris dans ses bras et il m’a dit : ‘Prenez tous les plans que nous avons dans le tiroir pour les Bédouins. Nous allons tirer 5 000 mégawatts de l’énergie solaire dans le Néguev ; nous allons fournir 10 000 emplois et amener cinq milliards de dollars d’investissements privés' », se rappelle Abramowitz.
« À la fin de la rencontre, il m’a pris par le bras et m’a dit : ‘Vous savez que j’étais enseignant. Promettez-moi que vous vous débarrasserez de ces groupes électrogènes diesel qui empoisonnent les enfants », raconte-t-il.
« Un mois plus tard, il était mort », continue Abramowitz. « Sous la tente de deuil, [le leader du parti Raam] Mansour Abbas m’a dit : ‘Vous avez fait une promesse aux Bédouins qui est comme un contrat passé entre eux et vous, et le seul qui pouvait vous affranchir de ce contrat n’est plus ici.' »
C’est cette promesse qui a donné naissance à Shamsuna, dont Abramowitz est le co-président avec l’activiste bédouin Raid Abu-Alkian, qui défend les énergies vertes. L’organisation est conjointement dirigée par un homme juif, Gil Yasur, et par une femme bédouine, Amal Abu-Alkhom.
Parmi les nombreuses initiatives entreprises par Shamsuna : l’amendement d’une décision gouvernementale sur le développement de la communauté bédouine dans le Néguev, une décision qui avait été prise par le gouvernement Bennett au mois de mars 2022 de manière à inclure une clause obligeant le ministère de l’Énergie à examiner l’exemption de la nécessité d’avoir obtenu un permis de construire pour les écoles et autres bâtiments publics non-reliés au réseau électrique qui souhaitent se doter, par exemple, de panneaux solaires.
À l’école maternelle d’Elarara, l’organisation Shamsuna s’est associée à des philanthropes pour installer des panneaux solaires qui ne sont pas reliés au réseau d’électricité et pour stocker l’énergie (ce qui permet de fournir de l’électricité quand le soleil ne brille pas). Les quatre classes devraient ainsi être enfin dotées d’un éclairage et d’un système de climatisation et de chauffage et ce, à partir d’une source verte.
Un pôle de high-tech du climat hors réseau
Dans le village non-reconnu d’Alfoura – dont la construction, selon les locaux, a eu lieu avant l’établissement de l’État – un village qui est situé aux abords de l’autoroute reliant Beer Sheva à Arad, l’école, qui accueille 3 000 enfants et adolescents de la maternelle à la Terminale, a un accès (insuffisant) au réseau électrique grâce à un permis de construire qui a été rétroactivement donné en 1974 au tout premier bâtiment qui avait été érigé là-bas.
Dans cet établissement scolaire, Fareed Mahameed, de l’Institut d’études environnementales d’Arava qui est situé à l’extrême-sud d’Israël, supervise la création d’un pôle de technologies du climat hors-réseau. Il sera géré par Musa Gaboa, professeur de chimie et coordinateur pédagogique au lycée du complexe.
Une unité de traitement des eaux usées développée à l’Institut Arava est déjà sur le site – elle va remplacer une fosse qui, jusqu’au début du projet, polluait les nappes phréatiques et débordait régulièrement, posant un grave risque à la santé publique. Une fois que l’unité sera opérationnelle, la fosse sera utilisée, après recyclage, pour irriguer les plantes et les récoltes.
Il y aura aussi, sur le site, des panneaux solaires qui fourniront de l’électricité à quatre des classes les plus proches de ces derniers (sur trente classes au total) ; un système de stockage de l’énergie ; des panneaux photovoltaïques (qui seront montés sur les champs agricoles pour favoriser la pousse des récoltes tout en générant en même temps de l’électricité) et une machine spéciale qui permettra un approvisionnement en eau potable.
Viendra aussi s’ajouter une unité de la compagnie israélienne HomeBiogas qui transforme les déchets organiques en combustible de cuisson et en liquide fertilisant.
Ce pôle, dont la planification est ambitieuse, sera utilisé par les élèves à des fins de recherche et il servira de modèle pour les autres institutions désireuses d’utiliser des énergies propres hors-réseau.
Mahameed, de l’Institut Arava, plaisante : « On n’est peut-être pas relié à l’électricité, mais on est relié à des solutions. »
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