Les fondateurs de Bonne Maman ont-ils caché des enfants durant la Shoah ?
Une survivante a déclaré qu'elle ne consommait que cette confiture car les propriétaires et leurs familles l'avaient caché pendant la Shoah ; la famille n'a pas souhaité réagir
JTA — C’est une histoire qui fait chaud au cœur : un professeur de droit faisait ses courses dans son épicerie locale lorsqu’il aperçoit une vieille dame qui tente d’attraper un pot de confiture situé en hauteur. Quelle est sa marque préférée ? « Je suis une survivante de la Shoah », dit-elle. « Et pendant la guerre, la famille qui possède cette société a caché ma famille à Paris. »
Des dizaines de milliers de personnes ont partagé cette histoire depuis qu’elle a été publiée sur les réseaux sociaux cette semaine. De nombreuses personnes ont promis de n’acheter, à l’avenir, que de la confiture Bonne Maman, qui compte 26 références, quasiment toutes casher.
Mais Bonne Maman, avec ses couvercles en vichy rouge emblématiques, est-elle vraiment une marque anti-nazi ?
La société, dont les familles fondatrices sont (très) discrètes, ne s’est pas attribué le mérite des actes de ces familles pendant la Seconde Guerre mondiale.
Incident in a NJ Supermarket
At the supermarket today, I found a small, elderly woman standing in front of a high shelf holding @BonneMamanUS preserves. She was having trouble finding the flavor she wanted because the jars were set back on the shelf.
— Michael Perino (@ProfessorPerino) February 14, 2021
« La famille préfère préserver sa vie privée et ne répond pas aux demandes de renseignements sur des questions personnelles », a déclaré la société Bonne Maman à la Jewish Telegraphic Agency dans un communiqué.
Michael Perino, professeur à l’université de St. John’s qui a initialement publié l’anecdote sur Twitter, a déclaré à la JTA que l’incident s’était produit dimanche matin dans son épicerie du nord du New Jersey. Il s’est dit surpris par le calme de la femme et sa capacité à faire ses courses seule à son âge, qu’il a estimé 90 ans. Il n’a pas demandé son nom, ne voulant pas être indiscret.
« C’est un moment magnifique », a raconté Perino. « Quand elle m’a expliqué pourquoi, le temps s’est arrêté, parce que c’était totalement inattendu. »
Bonne Maman, fondée en 1971 par des membres de la famille Gervoson (qui a créé le groupe Andros, dont Bonne Maman fait partie), est basée à Biars-sur-Cère, « un village au cœur du Lot, dans une belle région fruitière, au confluent des rivières de Cère et de Dordogne », lit-on sur le site web de l’entreprise. Ni la ville ni aucun de ses habitants ne sont inscrits sur le registre des « Justes parmi les Nations » – des non-juifs qui ont sauvé des Juifs pendant la Shoah – qui est tenu par Yad Vashem.
Les noms des familles fondatrices de l’entreprise ne figurent pas non plus dans la base de données, qui est très étendue et fait l’objet de recherches approfondies, mais n’inclut pas nécessairement toutes les personnes qui pourraient y avoir droit.
Au moins un témoignage a été rendu publiquement sur le vécu d’une famille à Biars-sur-Cère : Un homme du New Jersey nommé Eric Mayer a déclaré au Jewish Standard en 2016 que lui et ses frères et sœurs s’y étaient cachés après avoir laissé leurs parents en Allemagne. Il a même noté que la ville, qui comptait 800 personnes à l’époque où il y vivait, a accueilli plus tard la société Bonne Maman.
Certains détectives sur Internet qui cherchent à vérifier la rencontre de Perino à l’épicerie – ou du moins à réfuter les sceptiques – ont noté que Mayer a dit au Jewish Standard que sa sœur avait été avec lui à Biars-sur-Cère, suggérant qu’elle pourrait avoir été la cliente mystère. Mais l’article dit que la sœur de Mayer est morte avant 2016.
Il est certain que d’autres enfants juifs auraient pu se retrouver dans la même ville. De nombreux enfants juifs qui étaient hébergés à Paris ont été déplacés dans le sud de la France après l’invasion de la capitale par les nazis. Biars-sur-Cère se trouve à environ quatre heures de route du Chambon-sur-Lignon, l’une des deux municipalités françaises honorées collectivement par Yad Vashem pour ses efforts en faveur du sauvetage des Juifs. Environ 2 500 Juifs y ont trouvé refuge pendant la guerre. (L’un d’entre eux a laissé plus de 2 millions de dollars à la ville lorsqu’il est mort à 90 ans le jour de Noël).
Mais selon le récit de Perino, la femme a dit que sa famille avait été hébergée à Paris, à plus de 400 kilomètres de Biars-sur-Cère. Jean Gervoson a fondé la société avec son beau-frère, Pierre Chapoulart ; la famille Chapoulart était déjà établie à Biars-sur-Cère par la guerre. Gervoson est décédé en 2018, son épouse Suzanne en 2015.
Est-ce que la vieille dame de l’épicerie se trompe sur l’identité de la personne qui l’a hébergée lorsqu’elle était enfant, il y a plus de 75 ans ? Les familles Gervoson ou Chapoulart auraient-elles pu cacher des Juifs aux nazis et ne jamais en être remerciées ? Perino – qui a ensuite remercié ceux qui ont ajouté des détails qu’il n’avait pas – aurait-il pu poser quelques questions supplémentaires avant de publier son histoire sur Twitter ?
Oui, oui et oui. Mais pour ceux qui ont apprécié l’histoire, les faits n’ont peut-être pas d’importance.
« Jennifer Mendelsohn, une journaliste largement connue pour ses recherches généalogiques en ligne, a tweeté mercredi matin. « S’ils vous plaît, ne me faites pas fact-checker l’histoire de Bonne Maman. Ne peut-on pas dire que c’est comme le père Noël ? »