Les institutions culturelles juives sous le choc des coupes budgétaires de Trump
Ces coupes drastiques sont présentées comme des économies, deux ans après qu'une initiative de l'administration Biden eut qualifié les musées de remparts contre l'antisémitisme

JTA — Le musée détenant l’une des plus importantes collections de photographies de la vie juive d’avant la Shoah souhaitait numériser des milliers d’images et les rendre accessibles au plus grand nombre en ligne.
Dans le cadre de la collecte de fonds visant à numériser les archives du célèbre photographe juif russe Roman Vishniac, le musée, connu sous le nom de Magnes Collection of Jewish Art and Life [NDLT : Collection Magnes d’art et de vie juives], avait sollicité en novembre dernier une subvention de 250 000 dollars à une agence fédérale appelée Institute of Museum and Library Services [NDLT : Institut des musées et bibliothèques].
Mais la semaine passée, cette agence a été fermée par l’administration Trump, qualifiée d’ « inutile » dans un décret signé par le président en mars. Le personnel de l’agence a été congédié et son budget de 290 millions de dollars, dont la majeure partie est consacrée à des subventions aux musées et aux bibliothèques du pays, gelé.
La conséquence de ces coupes budgétaires va bien au-delà de la simple perte de subventions : pour parvenir à ses fins, The Magnes, qui fait partie de l’Université de Californie à Berkeley, va collecter davantage de fonds auprès de donateurs privés, explique sa directrice exécutive, Hannah Weisman.
« Le vrai problème, c’est l’effet d’entraînement », ajoute-t-elle. « Si je n’obtiens pas de subvention auprès d’une agence fédérale, je vais me tourner vers d’autres donateurs peut-être déjà en pourparlers avec un de mes pairs. Cela met à rude épreuve les sources de financement de tout le secteur. »
Les coupes vont au-delà des musées. La quasi-totalité des subventions fédérales normalement allouées aux arts et à la culture sont menacées par les récentes coupes budgétaires affectant les organismes gouvernementaux. Jeudi, l’administration Trump a vidé de sa substance le National Endowment for the Humanities. Le National Endowment for the Arts est sans doute le prochain sur la liste, estime l’American Alliance of Museums.
Il n’existe pas à ce stade d’étude exhaustive sur la situation, mais l’impact sur les universitaires, les artistes et les organisations culturelles juives est considérable : le Festival du film juif de San Francisco et une résidence de cinéaste qui y est attachée pourraient être réduits si la NEA fermait comme prévu ; un artiste et graveur a annoncé la perte de subventions de la NEH qui auraient permis à 25 étudiants de passer l’été à apprendre les techniques et l’histoire de la culture imprimée juive ; le Capital Jewish Museum a fait savoir qu’il comptait sur les subventions fédérales pour rassembler des témoignages sur les Juifs de la région de Washington, DC et une organisation théâtrale juive se prépare à l’annulation d’une subvention de la NEA qui aurait dû cofinancer son concours d’écriture dramatique.
Les dommages infligés aux musées vont bien au-delà de la mise en péril de projets particuliers, estime Christine Beresniova, directrice exécutive du Conseil des musées juifs américains.
« Il pourrait y avoir un effet en cascade suite à ces changements drastiques, non seulement en termes de financement ou de personnel, mais aussi au niveau du message latent qu’il fait passer, à savoir que les musées ne sont pas nécessaires à leurs communautés – alors qu’ils le sont », explique Beresniova. « Dans certaines communautés, ces musées sont les seuls endroits où nos rituels, nos valeurs et notre identité communautaire sont préservés et partagés avec les Juifs et non Juifs. »
L’administration Trump a qualifié ses coupes de mesures d’économie, mais elles ne sont pas exemptes de sous-entendus idéologiques. Nombre de conservateurs pensent en effet que les musées et autres institutions culturelles se focalisent sur les défauts des États-Unis et de la civilisation occidentale dans son ensemble.

Un décret du mois dernier, intitulé « Restoring Truth and Sanity to American History [NDLT : Rétablir la vérité et la raison dans l’histoire américaine] », a formalisé cette critique.
« Ces dix dernières années, les Américains ont été témoins d’un effort concerté et généralisé pour réécrire l’histoire de notre nation, en remplaçant des faits objectifs par un récit déformé motivé par une idéologie plutôt que par la vérité », peut-on lire dans ce décret. « Ce mouvement révisionniste entend saper les fondements des grandes réussites américaines en présentant négativement ses principes fondateurs et grands moments de l’histoire. »
Le décret ajoute que les parcs et musées gérés par le gouvernement fédéral – et le Smithsonian en particulier – doivent devenir « des monuments publics solennels rappelant aux Américains leur extraordinaire patrimoine, leurs progrès constants vers une union plus parfaite et leur bilan inégalé en matière de promotion de la liberté, de la prospérité et de l’épanouissement humain ».
La fin des subventions fédérales aux musées privés se produit deux ans après la mise en place de la Stratégie nationale de lutte contre l’antisémitisme, initiative de la Maison-Blanche de Biden, faisant des musées l’outil essentiel contre la propagation de la haine. Sous impulsion politique, une subvention fédérale a financé un sommet national sur la contribution des musées à la lutte contre l’antisémitisme et un guide pour les professionnels des musées. Organisé quelques mois après les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre 2023, dans le contexte d’un regain de l’antisémitisme, le sommet « Museums Respond [NDLT : Les musées réagissent] » a eu lieu. Jusqu’à l’éviscération de l’IMLS, Beresniova comptait sur ces fonds fédéraux pour poursuivre les travaux de sensibilisation et formation.
« Il faut en faire plus pour s’ancrer dans la conscience nationale, et en la matière, le soutien fédéral est essentiel », affirme-t-elle.
Selon les collecteurs de fonds, le financement fédéral des institutions culturelles n’est pas qu’une question d’argent, mais aussi de levier symbolique. L’obtention d’une subvention gouvernementale est le signe qu’une organisation fait un travail important, avec des projets clairs et responsables, et des mécanismes de surveillance. Il s’agit en quelque sorte d’un vote de confiance susceptible de susciter des dons privés, en particulier s’agissant de petites organisations disposant de moindres infrastructures de collecte de fonds.

Les perturbations de cette dynamique inquiètent Lou Cove, qui dirige CANVAS, organisation d’octroi de subventions et de plaidoyer dédiée à l’augmentation du soutien philanthropique juif aux arts (la Jewish Telegraphic Agency est une marque de 70 Faces Media, qui reçoit des fonds de CANVAS).
« La perte du symbole des subventions fédérales est presque aussi grave que la perte des subventions elles-mêmes parce que le soutien des arts n’est pas le fort de la communauté philanthropique juive », explique-t-il, estimant le soutien à moins de 1 % des sommes brassées par la philanthropie juive.
Cette réticence est, selon lui, en partie due au sentiment de nombreux donateurs qu’ils ne peuvent pas eux-mêmes évaluer l’impact des organismes artistiques et culturels juifs. Le problème est particulièrement grave dans le contexte d’un regain d’antisémitisme et d’autres questions considérées comme existentielles, ajoute-t-il.
« Les donateurs disent : ‘Les arts sont un atout, mais pas un besoin dans un moment de crise comme celui-ci’ », poursuit M. Cove.
Mais même les institutions qui luttent explicitement contre l’antisémitisme et ne perçoivent pas de fonds fédéraux s’attendent à ce que les collectes de fonds soient plus difficiles à mesure que les organisations touchées par les coupes budgétaires se tourneront vers les donateurs pour obtenir de l’aide.
Le Tucson Jewish Museum & Holocaust Center s’inquiète, par exemple, de la viabilité de sa conférence annuelle des éducateurs, soutenue par des donateurs, et qui forme chaque année des dizaines d’enseignants à l’enseignement de la Shoah.
« Les organisations qui comptent habituellement sur les subventions gouvernementales vont se tourner vers la philanthropie », explique Lori Shepherd, directrice exécutive du musée de Tucson. « Nous le constatons déjà, et cela rend la situation plus difficile pour ceux d’entre nous qui comptaient sur ce soutien. Il s’agit donc d’un effet d’entraînement qui peut être très préjudiciable. »

Si Mme Shepherd s’inquiète de l’impact sur les finances de son musée, elle dit qu’elle et d’autres dirigeants du musée sont consternés par le sens de ces coupes.
« Nous sommes sous le choc », confie-t-elle. « Nous ne sommes pas encore en mesure d’apprécier les effets de long terme, mais cela fera très mal et durablement. Nos communautés vont se retrouver privées de l’accès aux ressources et idées éducatives. »
Elle dit voir dans ces récents événements une redite de ce que son musée enseigne.
« Je n’exagère pas. Tout est fait pour faire advenir une société ouvertement hostile à l’éducation, à la connaissance et à la compréhension du monde. Et une fois que ce sera fait, ce sera très difficile pour nous de revenir en arrière », poursuit-elle.
Une petite organisation appelée Jewish Plays Project, estime que, quels que soient les dangers à venir, il faut à tout prix continuer. L’an dernier, elle a perçu une subvention de 20 000 dollars de la part du National Endowment for the Arts pour son concours d’écriture dramatique, initiative nationale visant à découvrir de nouveaux scénarios de pièces juives et à les faire produire aux Etats-Unis.
Le personnel de la NEA a récemment déclaré au fondateur et directeur artistique exécutif du groupe, David Winitsky, que les fonds seraient effectivement versés, et qu’il avait déjà demandé à renouveler la subvention au titre du prochain cycle.
Mais il sait pertinemment que les personnels chargés de ses subventions sont à tout moment susceptibles de perdre leur emploi et que les fonds en question pourraient très bien ne jamais lui parvenir. Pourtant, il refuse de se montrer pessimiste et s’engage à continuer à faire de l’art juif avec tous les soutiens possibles.
« Loin de moi l’idée d’être excessivement optimiste sur la question », dit-il. « Le gouvernement le plus puissant du monde a vraiment l’intention de contrôler ou limiter l’art. Je passe beaucoup de temps à parler avec des artistes que cela rend fous. Je leur dis de rester calmes et de continuer à travailler. Le monde a besoin de notre contribution. »
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