Les Israéliens de New York face à leurs craintes et à leurs pertes
Séparés de leurs amis et de leurs familles, avec peu de perspectives de retour, les Israéliens aux prises avec des émotions difficiles à gérer suite à l’attaque du Hamas
NEW YORK – Le personnel israélien du 12 Chairs, un restaurant populaire qui sert de lieu de rencontre aux Israéliens de Manhattan, était visiblement affligé.
En ce lundi d’automne frais, le restaurant était bondé : de nombreux Américains avaient pris congé pour le Columbus Day/Indigenous People’s Day (Journée des peuples indigènes). Alors que les clients buvaient leurs cafés et commandaient leurs repas, deux employés, l’un israélien et l’autre non, réconfortaient un collègue israélien qui pleurait dehors.
Après l’attaque terroriste du Hamas contre Israël samedi, le restaurant a embauché un agent de sécurité, qui observait les embrassades du personnel. Le gardien m’a demandé si elle avait perdu quelqu’un.
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La présence de l’agent de sécurité est une nouveauté pour le restaurant. Après qu’un restaurant casher de Londres a été vandalisé après l’incursion terroriste et meurtrière du Hamas, le propriétaire de 12 chairs était initialement tellement préoccupé par le risque de violence qu’il a refusé que son établissement soit identifié. Il a par la suite changé d’avis. « Nous avons fini de nous cacher », a-t-il envoyé par SMS au gérant du restaurant. Les Israéliens interrogés ont toutefois demandé à ce que leurs noms de famille ne soient pas utilisés pour des raisons de sécurité.
Le bilan du massacre en Israël est estimé à plus de 1 350 morts et continue de s’alourdir à mesure que de nouveaux corps sont découverts, que les combats continuent de faire rage et que des roquettes tombent. On estime à plus de 100 le nombre d’otages détenus à Gaza et à plus de 2 900 le nombre de blessés depuis samedi. Les corps de 1 500 terroristes ont été localisés dans le sud d’Israël, et Tsahal affirme qu’un petit nombre d’hommes armés se trouvent toujours dans le pays, alors même que les roquettes continuent de pleuvoir.
Lors de leurs entretiens avec le Times of Israel, ces Israéliens de New York ont eu du mal à trouver les mots pour exprimer l’ampleur de la perte et le niveau de leur anxiété. Les personnes présentes dans le restaurant ont déclaré être en état de choc, saisies par la peur et le chagrin depuis l’annonce des attaques du Hamas. Nombre d’entre eux avaient des amis qui se trouvaient à la rave Supernova, près du kibboutz Reim, et qui sont aujourd’hui portés disparus ou morts. Plus de 260 corps ont été retrouvés sur le site du festival.
Assaf, 25 ans (son nom a été modifié pour protéger son identité), serveur, essayait de trouver un vol pour rentrer en Israël depuis New York. Réserviste de l’armée, son ancienne unité avait déjà été déployée. Installé aux États-Unis depuis deux ans, Assaf n’avait pas reçu d’avis de rappel d’urgence.
« J’ai appelé le shalishut [le centre des ordres de déploiement] aujourd’hui et ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas m’envoyer de tzav shmoneh [ordre de mobilisation d’urgence] parce que je vis à l’étranger. Si je veux revenir, il faudra que je le fasse de manière indépendante », a expliqué Assaf.
Tout en parlant, il consulte son téléphone, où il est dans plusieurs groupes Whatsapp avec des centaines d’autres Israéliens aux États-Unis qui essaient d’organiser des vols de retour, de collecter des fonds et d’acheter des équipements de protection, après avoir entendu dire que les unités manquaient d’équipement.
Assaf explique qu’il cherchait où acheter des gilets pare-balles et des casques pour les ramener avec lui, mais qu’il ne savait pas par où commencer. Plus tard dans la journée, il avait prévu de se rendre à l’aéroport dans l’espoir d’obtenir une place sur un vol pour Israël, mais il n’avait pas encore de billet et les vols ont été annulés.
(Deux jours après notre rencontre, son collègue m’a dit qu’il était en route pour Israël).
Même la vie de ceux qui ne prévoyaient pas de prendre l’avion pour Israël ont été bouleversées. Amit, 24 ans, est étudiant. Il a déménagé à New York en juillet. « J’ai deux examens cette semaine et beaucoup de travail à faire », a-t-il déclaré, tout en ajoutant qu’il ne parvenait pas à réviser. « Je me suis dit que je devais me déconnecter, mais je recevais message après message m’annonçant la mort d’amis ou leur enlèvement à Gaza ».
Pour de nombreux Israéliens, dans leur pays ou à l’étranger, il est presque impossible de se couper du flux d’informations. Kate, 24 ans, employée à Jérusalem, a déclaré qu’elle et ses amis israéliens à New York étaient ensemble « tout le temps », à regarder les nouvelles chez l’un ou l’autre après le travail.
« C’est difficile pour moi de savoir que tout le monde est là-bas et que je suis ici », explique Kate. Sa famille préfère qu’elle reste à New York, où elle était plus en sécurité, mais Kate avoue se sentir vulnérable en tant qu’Israélienne à l’étranger.
« J’ai l’impression que si je marche dans la rue et que je parle hébreu, il va m’arriver quelque chose », dit-elle. Sur les groupes WhatsApp d’Israéliens aux États-Unis, des informations sur l’appel lancé par un ancien dirigeant du Hamas pour un jour de rage mondial, le 13 octobre ont fait le tour.
Au moment où elle s’entretenait avec le Times of Israel, la nouvelle d’un tir de roquette en direction de Jérusalem est arrivée et elle a aussitôt appelé son père.
La gérante du restaurant, Rotem, 35 ans, était assise à l’extérieur en train de fumer, discutant de ce qui se passait chez elle avec des clients et des amis israéliens. Originaire de Ramat Gan, elle vit à New York depuis 12 ans.
« La plupart des employés sont israéliens et ne peuvent pas fonctionner normalement », explique-t-elle. « Tout le monde fait un effort énorme… Ils ont tous perdu des amis. Et ce n’est pas fini. »
Rotem a déclaré qu’il était pénible de voir les publications critiques sur les réseaux sociaux publiées par des gens qui n’ont aucun lien personnel avec la région.
« Quand on regarde de l’autre côté, les gens ne comprennent tout simplement pas. Je pense qu’ils ne sont pas informés. Ils n’ont aucune idée de ce qui se passe. Ils suivent les tendances. Bella Hadid dit ‘Free Palestine’, alors tout le monde doit dire ‘Free Palestine' », explique-t-elle. « Sauf que nous ne combattons pas des innocents comme ils le disent, nous combattons une organisation terroriste. »
Elle a évoqué le rassemblement pro-palestinien qui s’est tenu dimanche à Times Square et au cours duquel les gens ont scandé « Mondialiser l’intifada ». Ce rassemblement a effrayé et révolté les Israéliens et les Juifs de New York.
Un nouveau niveau de peur
L’antisémitisme aux États-Unis est en hausse depuis quelques années. Un rapport du FBI sur les crimes de haine de mars 2023 a répertorié 817 crimes de haine antisémites en 2021 aux États-Unis, soit une augmentation de près de 20 % par rapport à l’année précédente. Des personnalités publiques influentes telles que le musicien Kanye West et le milliardaire Elon Musk ont été sous le feu des critiques pour antisémitisme.
Les Israéliens présents à New York ont dit se sentir exposés ; les craintes de violence qui, la semaine dernière, auraient semblé scandaleuses paraissent désormais plausibles. Les Israéliens ont été informés des attaques par le biais de vidéos surréalistes diffusées sur les réseaux sociaux, qui montraient à quel point Tsahal n’avait pas réussi à arrêter les tireurs du Hamas alors qu’ils tuaient, kidnappaient et violaient des civils sans discernement. La violence a accentué des divisions déchirantes que de nombreux Israéliens et Arabes s’efforçaient de surmonter.
Yonatan, 28 ans, un habitant de Jérusalem qui travaille à New York, a constaté que les attentats l’avaient fait douter de la conviction qu’il avait toujours eue que la paix était possible. Samedi, il a pris un Uber avec son patron et ils ont parlé en hébreu des événements choquants de la journée jusqu’à ce qu’ils remarquent que leur chauffeur regardait des vidéos TikTok du massacre de la rave.
« C’était en arabe, avec beaucoup d’émojis qui riaient », raconte Yonatan.
Yonatan a déclaré qu’il évitait pour l’instant de se rendre à des rassemblements israéliens ou juifs ou à des veillées de deuil à New York, pour des raisons de sécurité.
Le rabbin Amichai Lau-Lavie est Israélien, fondateur de la communauté juive progressiste Lab/Shul, a pris la parole lors d’un rassemblement Simhat Torah à Brooklyn samedi soir, évoquant l’extrême chagrin et la douleur qu’il ressentait pour les membres de sa famille disparus. Il s’est dit peiné par la perte de vies de civils innocents, tant israéliens que palestiniens.
Lors d’un entretien téléphonique, il a déclaré avoir été attaqué en ligne par « des gens qui refusent de voir la nuance ».
D’une part, il y a ceux qui ne peuvent soutenir qu’une seule position et ne sont donc « qu’aux côtés de la Palestine en ce moment, [ce qui] revient à assimiler le Hamas à tous les Palestiniens, ce qui relève tout simplement d’une forme d’ignorance et d’horreur », a expliqué Lau-Lavie. D’autre part, il y a ceux qui « m’en veulent de dire que mon cœur se brise pour les vies palestiniennes innocentes ». Lau-Lavie a également dit qu’il sentait senti peiné par ceux qui ne lui ont pas demandé si sa famille et ses amis étaient en sécurité ou comment il se sentait, un sentiment partagé par d’autres personnes interrogées.
« Cela a déclenché beaucoup de traumatismes, liés à une absence d’intérêt et au refus d’admettre la gravité de la situation. Je ne suis pas du genre à vivre dans la peur. En tant que fils et petit-fils de survivants et de victimes du Shoah, et en tant qu’Israélien en Amérique, je ne vais pas me mettre à craindre l’antisémitisme », a déclaré Lau-Lavie.
Mais aujourd’hui, il est inquiet : « La fragilité est réelle », a-t-il déclaré.
Renforcer la sécurité
Le rabbin Misha Shulman, de la New Shul, dans le centre de Manhattan, a déclaré que son organisation avait renforcé la sécurité dans ses écoles hébraïques et lors des services de prière de vendredi, en coordination avec le commissariat local. Deux musiciens israéliens ont décidé de ne pas assister aux offices de vendredi parce qu’ils ne voulaient pas se trouver dans des lieux juifs après les informations sur la journée du Jihad.
Shulman a expliqué qu’en tant que rabbin, il était censé aider les autres à comprendre ce qui se passait, mais en tant qu’Israélien lui-même, il a déclaré : « Je trouve qu’il est vraiment difficile d’être politique de quelque manière que ce soit. »
« En fait, tout ce que je veux, c’est me taire », a-t-il ajouté. « Je suis conscient d’avoir été traumatisé et d’avoir vécu un traumatisme. »
Shulman a dû me rappeler parce qu’il était au téléphone avec sa famille en Israël. » Tout ce que nous nous disons en ce moment, c’est : « Est-ce que tu vas bien ? Est-ce que ta famille va bien ? »
Shulman raconte qu’il a eu une conversation avec son fils adolescent ce matin-là sur ce à quoi l’antisémitisme à l’école pouvait ressembler ou ce qu’il pouvait ressentir. Il lui a également dit de rester attentif au harcèlement auquel pourraient être soumis les élèves arabes ou palestiniens de son école, qui « souffriraient probablement d’un autre type de sectarisme ». Il a conseillé à son fils de parler s’il était témoin de harcèlement d’élèves arabes ou musulmans – tout en lui disant de se défendre.
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