Les Juifs anglais aiment le foot. Alors pourquoi n’y en a-t-il pas en Premier League ?
La présence croissante des Juifs dans les coulisses du football est à la hauteur de leur absence quasi-totale sur le terrain
LONDRES (JTA) – En 1992, un groupe d’hommes d’affaires juifs a profondément changé le football britannique.
Au mitan des années 1980, les stades anglais s’effondraient, la qualité de jeu déclinait et la violence entre supporters était endémique.
Des hommes d’affaires comme David Dein, Alan Sugar, Alex Fynn et Irving Scholar se sont donné pour mission de ressusciter le sport dans leur pays natal. Ils ont été le fer de lance de la création de la Premier League, niveau d’élite du football anglais qui allait bientôt devenir le produit sportif le plus lucratif jamais créé – un phénomène culturel mondial diffusé dans plus de pays qu’il n’y a d’ambassades britanniques- par une restructuration des équipes, l’adoption de techniques de marketing modernes et la vente d’abonnements aux aficionados.
Depuis lors, les Juifs ont acheté et vendu des clubs à travers toute l’Angleterre, en transformant certains en machines très lucratives générant des rentrées de plusieurs milliards de livres. Ils ont fait changer l’état d’esprit du football et aidé les plus grands talents les plus à exercer sur des terrains allant de Burnley à Brighton.
« Il y a eu une très forte présence juive en dehors du terrain », a précisé Anthony Clavane, historien à l’Université d’Essex et auteur d’une somme sur l’histoire du football juif britannique, Does Your Rabbi Know You’re Here?.
« Les portes du football s’étaient ouvertes. »
Les Juifs se sont impliqués à presque tous les niveaux du football anglais : des propriétaires aux agents les plus en vue, des commentateurs aux managers. Deux Juifs se sont succédés à la tête de la Football Association, l’organe directeur du football anglais. Sept clubs de Premier League – dont les plus performants, tels que Chelsea (récemment vendu par Roman Abramovich), Tottenham et Manchester United – appartiennent aujourd’hui à des Juifs.
Même le public juif historiquement adepte de football, comme celui de Tottenham, Arsenal et Watford, a semblé gagner en visibilité. Au milieu des années 1990, les Juifs étaient deux fois plus fans de football que les autres Britanniques, selon un sondage de l’Institute for Jewish Policy Research. Et en 1996, l’hymne non officiel de l’équipe nationale anglaise – « Three Lions » – a été co-écrit par le comédien juif David Baddliel.
« La communauté se sentait non seulement acceptée, mais investie dans le football », a indiqué Clavane. « Il s’agissait d’un investissement tout autant émotionnel que financier. C’est presque comme si une partie de votre identité juive s’exprimait à travers le football. »
La présence croissante des Juifs en coulisses était à la hauteur de leur absence presque totale sur le terrain.
Depuis 1992, un seul Juif britannique a joué en Premier League et encore aujourd’hui, trois Juifs seulement jouent dans l’une des quatre meilleures ligues professionnelles anglaises: Joe Jacobson des Wycombe Wanderers, Dean Furman d’Accrington Stanley et Scott Kashket de Crewe Alexandra.
« On m’a posé la question tellement de fois », a lâché Jacobson, le capitaine gallois de Wycombe, âgé de 35 ans, qui joue en League One, deux niveaux en dessous de la Premier League. « Des joueurs sont venus me voir et m’ont demandé : pourquoi êtes-vous si peu nombreux sur le terrain ? »
Lorsque Jacobson a fait son entrée – un peu nerveuse – sur le terrain en juillet 2006 pour ses débuts en tant que joueur du Cardiff City, alors en Championship League, un niveau en dessous de la Premier League, il était le tout premier Juif britannique à jouer professionnellement depuis plus de vingt ans.
« Je me souviens avoir pensé ‘wow’, mais aussi à quel point c’était incroyable qu’il n’y ait eu personne d’autre entre-temps », a-t-il précisé.
Le Jewish Chronicle, basé à Londres, a rapidement expliqué que la percée de Jacobson était « la preuve que cette communauté ne se contentait pas d’acheter des clubs ou échanger des joueurs ».
Le problème couvait en fait depuis des années. La rareté des joueurs juifs avait fini par donner à croire que les Juifs « n’étaient pas faits pour le football ». En 1982, Howard Jacobson – aujourd’hui l’un des écrivains juifs les plus connus de Grande-Bretagne – a déclaré dans son premier roman Coming from Behind que jouer au football était probablement « ce qu’il y avait de plus anti-juif ».
Mais cela n’a pas toujours été le cas.
Un âge d’or
Les Juifs avaient figuré parmi les joueurs les plus créatifs et tactiquement astucieux du football, et leur présence était si courante dans le milieu professionnel britannique qu’ils n’étaient plus remarqués.
« Les Juifs ont été très bien représentés sur le terrain durant les cinquante premières années du 20e siècle », a précisé Clavane. « Ils étaient probablement même surreprésentés. Ils n’étaient tout simplement pas connus. Leur propre communauté, pas davantage que les personnes qui y étaient extérieures, n’en faisait pas grand-cas. »
Des grands noms de joueurs juifs tels Louis Bookman, Leslie Goldberg, Frank Okim et David Levene, ont depuis longtemps été relégués aux archives du football anglais. Seul Harry Morris, souvent photographié les sourcils froncés et les bras croisés, est resté dans les mémoires.
Morris, qui a ensuite œuvré comme diplomate en Suède et aidé les prisonniers de guerre alliés à revenir en Grande-Bretagne avant d’émigrer aux États-Unis, a été élu meilleur joueur de Swindon Town par les fans en 2013.
Il détient toujours les records du club pour le plus grand nombre de buts marqués en un match, une saison et une carrière en club, 89 ans après avoir quitté Swindon, une petite ville aux environs de Londres.
La présence des Juifs dans le football – dont les matches se jouent traditionnellement le samedi – était un sujet délicat au sein des communautés orthodoxes. Clavane a émis l’hypothèse que cela donnait en fait à certains joueurs juifs une motivation supplémentaire.
« Ils voulaient prouver que leur identité ne se réduisait pas à celle de leurs parents – des immigrants d’Europe de l’Est de langue yiddish – mais était bien celle de Juifs anglais, jouant le jeu anglais », a-t-il indiqué.
Au milieu des années 1930, les Juifs représentaient un tiers du public lors des matchs de Tottenham Hotspur.
Dans la culture du football anglais, Tottenham était identifié comme un « club juif », ce qui a pu conduire les supporters rivaux à provoquer les fans de Tottenham avec des propos antisémites. Pendant des décennies, les fans de Tottenham se sont appelés « Yid Army », et ce n’est que ce mois-ci que le club a demandé à ses fans de « passer à autre chose » et cesser d’employer ces termes.
Une question de classe
Depuis le milieu des années 1960, seule une poignée de Juifs britanniques ont percé dans les rangs de l’élite des joueurs.
Cette tendance a coïncidé avec l’ascension économique des Juifs britanniques en voie de gentrification. Les parents juifs encourageaient les enfants à poursuivre une carrière dans les domaines des cols blancs, ce qui réduisait le bassin dont les footballeurs juifs avaient autrefois émergé.
L’ailier Mark Lazarus, qui a marqué le but de la victoire lors de la finale de la FA Cup 1967 pour le club de West London Queens Park Rangers ; le milieu de terrain errant devenu agent Barry Silkman et le joueur devenu entraîneur devenu commentateur David Pleat sont parmi ceux qui l’ont fait.
Fait révélateur, les Juifs qui ont joué en Angleterre ces dernières années étaient principalement des Israéliens issus de la classe ouvrière, tels que Ronny Rosenthal, Yossi Benayoun et Tomer Hemed.
« C’est simplement une affaire de classe pour moi », a déclaré Clavane. « Si vous allez dans n’importe quel pays où le football est la classe ouvrière et où la communauté juive est principalement de la classe ouvrière, ce qu’elle était en Grande-Bretagne jusqu’au milieu du 20ème siècle, alors vous verrez des footballeurs juifs. »
Jacob Steinberg, journaliste sportif pour le Guardian, est d’accord.
« Si vous êtes issu d’un milieu de classe moyenne, alors peut-être que vous êtes davantage poussé vers le côté académique des choses », a-t-il déclaré. « Si vous êtes dans ce genre de contexte, alors vous n’êtes peut-être pas aussi concentré sur le fait d’essayer de vous lancer dans le sport professionnel. C’est en gros un sport de la classe ouvrière. »
Pour beaucoup, cette dynamique s’est traduite par une perception que les jeunes joueurs juifs ne sont pas assez motivés pour réussir dans le football professionnel.
Joe Jacobson a fait l’expérience de cette dynamique de première main. Il a déclaré qu’en se frayant un chemin dans le système de jeunes de Cardiff à l’adolescence, il a joué contre des pairs « pour qui tout ce qui comptait, c’était le football ».
« Ils ne venaient pas des meilleurs milieux, et il s’agissait d’essayer de jouer tout le temps », a-t-il déclaré. « Leurs parents les poussaient et ils cherchaient désespérément à ce que leurs enfants réussissent – beaucoup de ces familles voient en leur enfant un billet de loterie s’ils peuvent les pousser aussi loin qu’ils le peuvent. Dans la communauté juive, ce n’est pas considéré comme une carrière durable ou sur laquelle vous pouvez compter, et je pense que c’est pourquoi il n’y a pas autant d’enfants poussés dans cette direction. »
Le déclin des Ligues du Dimanche
Danny Caro, ancien rédacteur sportif du Jewish Chronicle, a passé des années à jouer et à couvrir l’échelon le plus bas du football amateur anglais: les Ligues du dimanche.
Chaque semaine, tout comme des milliers d’autres Britanniques, les Juifs se présentent pour jouer et regarder les équipes locales s’affronter. La plus ancienne ligue du dimanche, fondée en 1899, était entièrement composée d’équipes juives.
De nos jours, le jeu amateur à travers la Grande-Bretagne souffre car les équipes locales rivalisent pour les fans avec des équipes professionnelles et font face à des installations médiocres et à une administration médiocre.
La présence juive est également diminuée.
« Il y a dix ans, à Londres, vous aviez 65 équipes juives », a déclaré Caro. « Ce nombre est maintenant d’environ 27. Ça a été une grosse baisse. »
Les dépisteurs professionnels avaient l’habitude de parcourir les équipes de la Ligue du dimanche, y compris les équipes juives, à la recherche de futures stars; de nos jours, ils ont tendance à chercher ailleurs.
« La seule façon d’entrer dans une académie est d’être recommandé ou d’être repéré – et pour que cela se produise, un dépisteur doit vous voir, vous ou votre équipe, jouer », a déclaré Jacobson. « S’ils ne sont pas aux jeux, alors c’est impossible à faire. »
Il reste, cependant, une équipe amateur entièrement juive participant à la pyramide principale du football anglais – techniquement séparée des ligues du dimanche dans le même ensemble de niveaux que la Premier League – les Maccabi Lions de Barnet.
Les Lions, qui jouent le samedi, se battent dans le neuvième niveau de l’Angleterre et jouent avec une étoile de David comme emblème du club.
Au sein de la communauté juive, cependant, peu de gens semblent être particulièrement dérangés par le fait que seul un petit nombre de Juifs ont atteint la Premier League.
« Ce serait bien d’avoir un grand héros sportif juif », a déclaré Yigal Chazan, 59 ans, un fan juif de Sunderland de longue date. « Mais ce n’est pas un gros problème. »
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