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Les Juifs de Dniepr défient la guerre et cuisent des matzot entre deux coupures de courant

À moins de 200 km du front, la communauté juive de Dniepr maintient ses activités et soutient ses membres, malgré les défis de la guerre qui a suivi l'invasion russe de l’Ukraine

Matzot artisanales dans une usine à Dniepr, en Ukraine, le 10 juin 2024. (Crédit : Marcel Gascón Barberá/ JTA)
Matzot artisanales dans une usine à Dniepr, en Ukraine, le 10 juin 2024. (Crédit : Marcel Gascón Barberá/ JTA)

DNIEPR, Ukraine (JTA) – Par un dimanche soir étouffant, dans la ville ukrainienne de Dniepr, une dizaine d’hommes se rassemblent pour la prière du soir à la synagogue de la Rose d’or, située au sein du Centre Menorah.

Pendant ce temps, ailleurs, dans ce qui est considéré comme la plus grande structure communautaire juive au monde, un groupe de garçons et de filles préadolescents chantent à tue-tête « Am Israel Chai » d’Eyal Golan, remplissant l’espace d’une énergie joyeuse.

Le rabbin Mayer Stambler, dont la fille célèbre sa bat-mitsva, est assis avec d’autres adultes autour d’une table garnie de plats casher israéliens.

Cette scène paisible et festive se déroule à moins de 200 km de la ligne de front, proche des combats qui font rage et sur fond d’alertes aériennes constantes et de pannes d’électricité quotidiennes causées par les attaques russes répétées sur l’infrastructure électrique de la ville. Pourtant, cela fait partie du quotidien des Juifs de Dniepr, un centre historique du mouvement Habad-Loubavitch, depuis le début de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, il y a deux ans et demi.

Contrairement à certaines régions d’Ukraine qui ont échappé aux bombardements russes, Dniepr est restée particulièrement vulnérable aux attaques depuis le début de la guerre. Cela n’a pas pour autant empêché le Centre Menorah de poursuivre ses activités sans relâche et de permettre ainsi aux Juifs locaux de mener une vie juive épanouie, même pendant les périodes les plus difficiles et les plus désespérées de la guerre. Le centre a également servi de refuge pour des milliers de Juifs déplacés des villes plus à l’est et au sud.

« Nous faisons face à de nombreux défis, et la situation financière devient de plus en plus difficile, mais grâce à Dieu, nous avons encore tout ce dont nous avons besoin ici », a confié le rabbin Habad, né à Brooklyn, qui dirige la Fédération des communautés juives d’Ukraine, à la Jewish Telegraphic Agency.

Malgré l’émigration en masse et la perte de nombreuses sources de qui autrefois rendaient la communauté totalement autosuffisante, la communauté juive de Dniepr gère toujours ses propres écoles, cliniques, musée, salle de conférence, restaurant, magasins, synagogue, mikvé et école de scribes rituels.

Les rabbins Raphael Rotman, à gauche, et Meir Stambler, tous deux de la Fédération des communautés juives d’Ukraine, livrent des boîtes à une vieille femme ukrainienne non juive à Bucha qui reçoit leur aide depuis des mois. (Crédit : Jacob Judah/JTA)

Outre le réconfort spirituel et les campagnes humanitaires massives et soutenues, la communauté aide nombre de ses membres en leur offrant notamment du travail.

L’une de ses entreprises les plus importantes est Tiferet Matzot, la seule usine ukrainienne qui produit des matzot artisanales. Elle emploie plus de 70 personnes et exporte du pain azyme dans plusieurs pays pour la fête de Pessah.

Située dans une zone industrielle excentrée qui a été la cible d’une attaque de drones russes quelques jours avant Pessah l’année dernière, Tiferet Matzot a continué à opérer malgré la guerre et a récemment augmenté son personnel, a indiqué son directeur, Daniel Ovcharenko. L’usine produit environ 100 tonnes de matzot par an et approvisionne les communautés juives d’Ukraine et du monde entier. Les exportations se font désormais entièrement par voie routière depuis que la navigation en mer Noire a été gravement perturbée par les attaques russes, a précisé Ovcharenko.

Depuis le mois de mars, la Russie a lancé huit grandes vagues de missiles et de drones kamikazes iraniens visant l’infrastructure électrique de l’Ukraine. Certaines des plus grandes centrales électriques ukrainiennes ont été gravement endommagées ou totalement détruites, notamment la centrale thermique de Dniepr, visible depuis les hauteurs des sept tours du Centre Menorah.

Daniel Ovcharenko avec une boîte de matzah fabriquée à l’usine de Dniepr, en Ukraine, le 10 juin 2024. (Crédit : Marcel Gascón Barberá/ JTA)

L’Ukraine a perdu une grande partie de sa capacité de production d’électricité lors de ces attaques. Pour combler le déficit, les autorités ont imposé des coupures d’électricité pouvant durer jusqu’à une demi-journée à travers le pays. Les bâtiments de la communauté juive de Dniepr demeurent toutefois éclairés sans interruption grâce à un vaste réseau de générateurs fonctionnant au diesel, offerts par plusieurs partenaires, dont la communauté juive de Boston.

« Chaque bâtiment communautaire, du jardin d’enfants aux cliniques, en passant par le centre Menorah et la maison de retraite, est autonome sur le plan énergétique », explique la directrice de la Fédération des communautés juives d’Ukraine, Alina Teplitskaya.

Alina Teplitskaya note également que cet organisme géré par Habad – qui a son siège à Dniepr et qui compte des communautés affiliées dans toutes les régions d’Ukraine – a acquis la technologie satellitaire Starlink pour garantir aux écoles un accès à internet continu.

Mais il est plus difficile de répondre à certains besoins non techniques. L’une des tâches les plus difficiles pour la communauté est d’assurer la circoncision rituelle des nouveaux-nés. Avant la guerre, le mohel chargé de toute l’Ukraine vivait à Dniepr.

La Synagogue rose dorée à Dnipro, en Ukraine. (Crédit : CC BY-SA4.0 Skoropadsky/Wikipedia)

« Il voyageait partout et a pratiqué plus de 10 000 circoncisions depuis les années 1990 », explique Stambler. Mais avec le début des hostilités, le Mohel et sa famille sont partis s’installer à Vienne, d’où il revient périodiquement en Ukraine pour offrir ses services.

L’abattage rituel nécessaire à la production de viande casher connaît des problèmes similaires. Avant le conflit, il y avait au moins trois chokhatim – abatteurs casher – à Dniepr. L’un d’entre eux s’est réfugié à Vienne, alors qu’un autre a traversé l’océan Atlantique pour s’établir en Argentine.

En raison de la menace des missiles et des drones russes, tous les vols commerciaux ont été annulés en Ukraine. Tout déplacement à l’intérieur ou à l’extérieur du pays doit se faire par le train ou par la route, ce qui chaque voyage long et coûteux.

Les règles de plus en plus strictes concernant le recrutement et la formation des soldats pour l’armée ukrainienne, dont les effectifs sont amoindris, représentent un autre défi pour la vie communautaire. Des Juifs de toute l’Ukraine se sont engagés dans l’armée pour défendre leur pays, et ils ont été soutenus par les communautés juives. Mais à mesure que la guerre se poursuit et que l’Ukraine intensifie sa contre-offensive contre la Russie, il y a une pénurie de soldats volontaires et aptes, ce qui conduit les autorités militaires à envoyer des patrouilles vérifier que tous les hommes adultes sont bien enregistrés pour le service militaire.

De nombreux hommes âgés de 25 à 60 ans, de toutes origines, limitent dorénavant leurs sorties non essentielles afin de minimiser le risque de croiser les recruteurs, y compris au sein des communautés juives. Beaucoup craignent d’être envoyés au front avec une formation inadéquate ou d’être enrôlés malgré les exemptions légales.

« Nous faisons évidemment partie de la société ukrainienne et nous sommes touchés comme tous les Ukrainiens », a indiqué un habitant juif de Dniepr qui a requis l’anonymat pour discuter d’un sujet jugé sensible par de nombreuses personnes en Ukraine.

En choisissant de rester chez eux la plupart du temps, de nombreux Juifs en âge de servir dans l’armée, qui ne sont pas prêts à s’engager, limitent leur participation à la synagogue et aux activités communautaires, selon cet habitant.

Les soldats juifs Asher, à gauche, et David Cherkaskyi prient dans leur synagogue de Dniepr, en Ukraine, en 2022. (Crédit : David Cherkaskyi/JTA)

Le départ de certains membres importants de la communauté et les craintes accrues concernant leur participation à la vie communautaire font douloureusement écho à une autre période de l’histoire juive ukrainienne où il était difficile d’accomplir des actes rituels essentiels. Sous le régime communiste, les Juifs de l’Union soviétique n’avaient pas le droit de pratiquer leur religion, et la situation à Dniepr était encore plus répressive que dans d’autres villes et villages où les Juifs avaient réussi à s’implanter.

Dniepr abritait en effet plusieurs sites industriels hautement stratégiques, dont l’usine de production de missiles balistiques intercontinentaux. Pour éloigner les espions potentiels, les autorités soviétiques ont déclaré Dniepr « ville fermée », interdisant à tout étranger de s’y rendre. Les chances pour un Juif de Dniepr de rencontrer un Juif américain ou israélien, qui aurait pu l’éclairer sur la religion qu’il lui était interdit de pratiquer, étaient ainsi quasiment nulles.

« J’ai grandi dans l’ignorance », a expliqué Zelig Brez, le leader de la communauté juive de Dniepr, autour d’un repas au restaurant casher du Centre Menorah.

« La seule chose juive que nous faisions était de manger des matzot pour Pessah parce que mes grands-parents nous en apportaient, mais ils étaient bien incapables de nous expliquer ce que la matzah symbolisait, pas plus qu’ils ne savaient qui était Moïse, ou quoi que ce soit sur l’Exode d’Égypte, ou l’esclavage », a-t-il raconté.

Brez explique avoir pris conscience de son identité juive uniquement à travers une « forme sévère d’antisémitisme » à l’école, où il était le seul juif de sa classe et la cible constante de ses camarades et de ses professeurs.

« J’ai été poignardé une fois par un camarade de classe, et il n’était pas rare de se faire rabaisser et humilier par les enseignants », a-t-il ajouté. « J’ai grandi avec un complexe d’infériorité. J’ai su que j’étais juif parce que j’étais essentiellement haï. »

Brez se souvient d’avoir ressenti un moment de fierté, enfant, en voyant le nombre de scientifiques et d’artistes figurant dans les magazines soviétiques qui portaient des noms juifs et ressemblaient à sa famille et à lui-même. Mais ce n’est qu’en 1991 qu’il s’est rapproché du judaïsme, lorsque, étudiant en première année d’université dans l’Ukraine nouvellement indépendante, il a été invité à un dîner de Shabbat par un jeune envoyé de Habad qui venait d’arriver dans la ville où le rabbin du mouvement, Menachem Mendel Schneerson, avait vécu dans son enfance.

« Je me suis mis à pleurer », raconte Brez, qui allait devenir observant avec le temps, en évoquant sa réaction lorsqu’il a assisté pour la première fois à un kiddouch. « J’ai eu le sentiment que c’était l’héritage de mes grands-parents que l’Union soviétique m’avait volé. »

Shmuel Kaminetsky, à droite, avec l’ancien envoyé spécial des États-Unis pour la surveillance et la lutte contre l’antisémitisme, Ira Forman, en Ukraine en 2014. (Crédit : Département d’État)

Cet émissaire n’était autre que Shmuel Kaminetsky, aujourd’hui grand rabbin de Dniepr et de la région de Dnipropetrovsk. Comme d’autres rabbins Habad, il est resté en Ukraine depuis le début de la guerre, même durant les premiers jours effrayants où l’écrasante majorité des expatriés et des diplomates étrangers ont quitté le pays.

Dans une région dont l’histoire récente est riche en cataclysmes politiques, les Juifs sont parfois considérés comme un baromètre du danger », a indiqué Brez. Il a évoqué un incident survenu il y a plus de dix ans, avant même que les séparatistes soutenus par la Russie ne déclenchent une guerre dans l’est de l’Ukraine. Le spectacle d’un groupe important d’hommes juifs barbus portant des tzitzit et montant à bord d’un train à la gare de Dniepr avait suscité une « grande panique » dans la ville.

« Nous venions de louer un train pour que les gens se rendent à une retraite familiale juive sur la mer Noire, mais les gens pensaient que les Juifs partaient », se souvient Brez en riant.

Après l’invasion russe, des voisins et des amis non juifs demandaient constamment à Brez si « le rabbin » était toujours « en ville », se souvient-il.

« Le rabbin Kaminetsky n’a pas quitté la ville un seul jour », a affirmé Brez. « Sa simple présence parmi nous nous a apporté une détermination et une confiance extraordinaires et a permis de réduire le niveau d’anxiété. »

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