Les longues fiançailles entre les jeunes Juifs de la diaspora et Israël
Pour une génération hésitante, les programmes de 10 mois de Masa Israël sont un tremplin inespéré vers l'aliyah

Tandis que son dernier semestre de l’Université McGill tirait à sa fin au printemps de 2010, Lauren Abecassis-Kandravy, originaire de Toronto, a reçu un e-mail aléatoire à partir d’un listing d’étudiants juifs qu’elle ne reconnaissait pas.
L’e-mail décrivait un programme Masa-Israël basé à Jérusalem de dix mois appelé Israel Government Fellows, dans lequel les stagiaires intégraient des organismes gouvernementaux tout en suivant des cours sur la société israélienne.
Le courriel en provenance du centre Menachem Begin a immédiatement attiré l’attention d’Abecassis-Kandravy.
« C’était juste un e-mail aléatoire. Je ne sais pas si j’en ai même reçu un autre de cette adresse », dit-elle en souriant, faisant allusion à une intervention divine, assise dans la salle de conférences du centre Begin avec d’autres boursiers diplômés de ce programme le mois dernier.
Abecassis-Kandravy, 27 ans, a participé à la promotion 2010-11 et fait son internat au ministère des Finances au département des relations internationales.
En travaillant au ministère, elle participait à des réunions de top niveau avec de hauts responsables et hommes politiques et se demandait en riant : « Pourquoi suis-je ici ? »
« On m’a donnée tant de respect et tout le monde écoutait mon avis – et au ministère, tout le monde donne son avis, » plaisante-t-elle.

Le stage de Abecassis-Kandravy lui a ouvert la voie à un emploi au mémorial de Yad Vashem d’Israël. « Le nom [Government Fellows] m’a certainement ouvert des portes ; l’expérience m’a procuré le travail », dit-elle.
Elle « est restée » en Israël, comme elle le dit, et est officiellement devenue une citoyenne en 2012. Aujourd’hui, elle travaille à l’Académie Bezalel d’Art et de Design et vient de terminer une maîtrise en relations internationales à l’Université hébraïque de Jérusalem.
L’histoire de Abecassis-Kandravy est loin d’être unique. Avec la mondialisation, pour de nombreux diplômés des collèges nord-américains à la recherche d’un emploi inhabituel, l’un des 200 programmes de Masa est une option de choix.
Et tout en profitant de leur chance de tremper leurs orteils dans « le vrai Israël », pour de nombreux adultes d’Amérique du Nord au seuil de la « vraie vie », Israël peut devenir une maison pour un instant, sinon pour toujours.
Dans le même temps, pour des milliers de jeunes Juifs issus de pays en conflit qui jouissent d’énormes subventions, Masa est désormais la principale plateforme d’immigration, un maximum de 90 % restant en Terre sainte – souvent suivis de leurs parents.
Les expériences en Israël séduisent les jeunes adultes de la diaspora depuis des décennies, de la cueillette dans un kibboutz aux études en yeshiva en passant par un semestre à l’Université hébraïque. Alors qu’est-ce qui a changé ?
En cette ère d’immigration par choix plutôt que par nécessité, dans laquelle les familles sont parsemées dans le monde entier et les adresses ne sont plus permanentes, ce qui a changé n’est rien de moins que la nature de l’alyah.
Si vous réaffirmez leur identité juive, ils viendront
Lorsque le Guatémaltèque Joseph Silbony a participé au programme de Masa « Carrière en Israël » en 2010, c’était la première fois qu’il visitait Israël. Récemment diplômé, il était à la croisée des chemins quand un ami a mentionné le programme.
« Je pensais que c’était une occasion cool de respirer et d’essayer quelque chose de nouveau », dit Silbony, 28 ans.
Rétrospectivement, il confie que Masa a eu un impact énorme sur sa vie. « Je dirais certainement qu’il était ma passerelle vers Israël ».
« Au départ, je n’avais pas l’intention de faire l’alyah. Je pensais que je ferai une maîtrise, puis que j’irai ailleurs, mais je ne pouvais tout simplement plus partir et voilà, ça fait cinq ans. Donc je me suis dit, ‘je suppose que c’est ce que je fais maintenant’ », dit Silbony, qui vit à Tel Aviv et travaille dans le high-tech et les médias sociaux.
« Je suis ici pour un avenir prévisible. J’ai pensé partir mais je ne peux penser à aucune raison de le faire. Je peux dire que je n’ai jamais ‘fait l’alyah.’ Je n’ai jamais eu d’amour-sioniste-pour-Israël. Je me plais vraiment ici. Tel Aviv est une ville impressionnante. Cela n’a jamais été un facteur idéologique, plutôt pragmatique », dit-il, ajoutant que, aujourd’hui, il est certainement fier d’être un Israélien.
Le pragmatisme de Silbony est typique de l’immigration occidentale d’aujourd’hui, une alyah faite principalement par choix que par nécessité.

Conscient de l’évolution des besoins de l’immigration vers Israël, Natan Sharansky, président de l’Agence juive pour Israël depuis juin 2009, a pris la décision controversée de déplacer les priorités de l’Agence juive d’une alyah d’urgence à la nécessité de renforcer l’identité juive pour l’ensemble de « la famille juive mondiale ». L’accent mis sur des programmes d’expérience en Israël entre dans cette rubrique.
Sharansky a été décrié dans les médias pour avoir fermé le département de l’alyah, mais selon lui, l’Agence juive avait essentiellement rempli sa tâche d’alyah plus dispersée et devait intensifier son activité.
Les émissaires et ces principaux programmes d’expérience en Israël ont été accusés de favoriser un amour d’Israël. Une alyah par choix serait un résultat positif du renforcement de l’identité juive, dit Sharansky, et resserrerait les liens Israël-diaspora.
Mais les racines du nouveau plan stratégique de l’Agence juive remontent à plus loin. Il y a plus d’une décennie, en voyant le succès de Taglit depuis 1999, qui resserrait les liens entre la diaspora et Israël, le Premier ministre Ariel Sharon a cherché un moyen pour que les jeunes de diaspora découvrent plus pleinement la vie en Terre sainte, explique la directrice générale de Masa, Liran Avisar Ben Horin.
Donc, en 2004, à travers la vision de Sharon et l’initiative du directeur général de l’éducation de l’Agence juive d’alors Alan Hoffmann, l’organisation Masa Israel Journey a été fondée et chargée d’augmenter de façon drastique le nombre de participants, d’alléger la procédure bureaucratique des prestataires de l’expérience en Israël et de stimuler la publicité.
Aujourd’hui, plus d’une décennie plus tard, et soutenue par des fonds du gouvernement israélien et de l’Agence juive d’un montant annuel de 50 millions de dollars, Masa Israel Journey a réussi sa mission. Les participants se comptent à 12 000 par an, et à un total de 100 000.
Au-delà de l’augmentation des chiffres de Masa, des signes montrent que les visions de Sharon et de Sharansky ont visé juste avec l’aliyah par choix. Sur les quelque 26 000 qui ont fait leur alya en 2014, 40 % appartenaient à la tranche d’âge de 18-41 ans et étaient des participants potentiels Masa et de Taglit.
Le deuxième plus grand groupe d’âge, 27 %, avaient de 42 à 65 ans, les plus jeunes ayant pu également avoir participé à Taglit. Fait intéressant, les retraités, autrefois des olim florissants, étaient le groupe d’âge le plus petit à 16 %.
Masa vise les 20 000 participants annuels. Et si l’histoire se répète, plusieurs milliers d’entre eux peuvent éventuellement immigrer en Israël, chacun pour des raisons personnelles.

« Pour moi, personnellement, Masa était un essai d’alyah », dit l’ancien participant de « Carrière en Israël », Arsen Ostrovsky, 33 ans, qui a récemment fêté trois ans de citoyenneté israélienne.
En Australie, approchant rapidement la limite d’âge de 30 ans, il a quitté son travail d’avocat dans un cabinet de droit des sociétés et a décidé de suivre un programme à long terme en Israël « pour me faire une vraie idée et obtenir une réponse sur l’alyah comme option légitime. »
Son stage à « Carrière en Israël » à la Knesset était une situation gagnant-gagnant : « Si je choisissais de ne pas faire l’alyah, j’aurais tout de même embelli mon CV. »
Selon Ben-Horin, surtout en période de récession économique, de nombreux participants choisissent les stages de Masa pour stimuler leur future carrière dans un environnement mondial concurrentiel. Masa offre une variété d’autres programmes, y compris des études religieuses, sportives ou des options de trekking.
D’après Ben-Horin, en termes de stages, cependant, Israël, chef de file dans la haute-technologie, entre autres domaines, rivalise aujourd’hui avec des villes comme New York, Rome et Londres pour les jeunes qui veulent obtenir des CV plus compétitifs.
Pour ceux qui décident de rester dans le pays, les stages sont aussi un avantage. Aujourd’hui, Ostrovsky est directeur de la recherche pour le Congrès israélo-juif, une position qu’il attribue à l’expérience et aux connexions qu’il a forgées lors de son stage à la Knesset.
« Je peux vous dire avec une certaine confiance que je ne serais pas où je suis aujourd’hui… sans Taglit et Masa », dit Ostrovsky. Il ajoute, cependant, que pour lui, « l’un des succès les plus importants de Masa est le sentiment de créer et d’entretenir des liens entre les jeunes Juifs de la Diaspora. »
L’immigration comme but ou comme sous-produit ?
Le programme ne vise pas à être une « passerelle pour l’alyah », déclare Natan Sharansky au cours d’une récente interview avec le Times of Israel. « Masa aide les jeunes Juifs à développer les outils dont ils ont besoin pour réaffirmer leur identité juive ».
Bien que seulement environ 10-12 % des participants en provenance d’Amérique du Nord font leur alyah dans les cinq premières années suivant leur programme, parmi ceux qui viennent de France ou d’Ukraine, de 70 à 90 % restent, dit-il.
Lorsque la question de l’alyah devient plus pertinente, poursuit Sharansky, Masa peut devenir un moyen de tester l’eau. Surtout concernant la France et l’Ukraine, qui ont totalisé un ensemble 3 300 participants cette année, « c’est l’un des outils les plus puissants », a déclaré Sharansky.

Participante à Israel Government Fellows de 2013-14, Dr Camille Morliere, 29 ans, de Paris, est devenue un citoyenne israélienne il y a trois mois.
Morliere, qui n’a pas été élevée dans le judaïsme, raconte qu’elle a suivi le programme dans l’idée de se préparer à l’alyah.
« Je n’en savais pas assez pour être sûre, » dit-elle le mois dernier au centre Begin.
Suite au programme, elle a eu une compréhension profonde de la société et de la culture, y compris sur le conflit israélo-palestinien. En effet, le directeur du centre Begin, Herzl Makov, a déclaré au Times of Israel qu’un regard profond sur la complexité du conflit est impératif et que les participants sont prêts à affronter les difficultés de la situation.
« Les olim qui viennent juste en vacances n’ont pas cela », dit Morliere. Médecin de formation, elle a fait son internat au ministère de la Santé et est maintenant à la recherche d’un travail. Elle raconte avoir été aidée par le chef du programme, Paul Gross.
Il y a quelques semaines, le natif de Kiev, Michael Shekhtman, 23 ans, est affalé sur le divan du Times of Israel après son cours d’oulpan intensif, vêtu d’une chemise rose où il est inscrit « Dance Bitch ». Il a dit qu’il a également été élevé dans une totale laïcité et a attrapé le bug d’Israël bug il y a quelques années lors d’un voyage de Taglit gratuit avec la maison Hillel de son université.
« J’étais tellement impressionné par le pays qu’après 10 jours, sur la route vers l’aéroport Ben Gurion, je me suis mis à pleurer – parce que j’allais quitter ce pays, parce que j’allais languir ce pays où je peux être normal, et non exceptionnel. Ici, par exemple, les blagues au sujet de ma judéité n’ont aucun sens », dit Shekhtman.
Il lui a fallu deux ans pour revenir, mais Shekhtman a terminé son programme Beitar Masa à la fin juillet et obtenu la citoyenneté israélienne.
« Vivre ici est une étape sérieuse et importante », dit le géant musclé près de deux mètres qui a connu l’intimidation antisémite alors qu’il était encore qu’un garçon à l’école jusqu’à ce qu’il décide de se battre.
Son alyah est également une décision de changer son destin.
« Je devais être à 100 % sûr de ne pas perdre mon temps et l’argent du pays… Je suis décidé à vivre cette vie, la vie que ma famille n’a pas vécue, et ne veut pas vivre », dit-il.
Une année de Masa équivaut à 12 années d’études scolaires dans une école orthodoxe
Lors de notre entretien à Jérusalem, Sharansky a un peu cyniquement déclaré que les Juifs américains n’aiment pas entendre qu’ils pourraient économiser les frais de scolarité de 12 ans en les troquant contre un programme Masa d’un an.
Il a cité une étude de 2010 de l’Agence juive, menée par le professeur Steven M. Cohen, qui a constaté que selon tous les grands baromètres de mariage entre Juifs, les participants de Masa, en particulier ceux qui avaient déjà fait un voyage de Taglit de 10 jours, sont par une écrasante majorité en tête des graphes. (Note anecdotique : la majorité de ces participants Masa vivant aujourd’hui en Israël qui ont parlé avec le Times of Israel pour cet article avaient aussi fait un voyage de Taglit.)

Selon l’étude, les jeunes adultes participant à Taglit et à Masa, ayant été souvent élevés dans la laïcité, peuvent atteindre des chiffres de mariage juif aussi élevés que ceux qui ont passé 12 ans dans une école orthodoxe.
« Si 10 jours en Israël sont très bons pour le mariage juif, alors 10 mois en Israël sont encore mieux. Cette constatation met le doigt sur le vif intérêt politique à promouvoir le retour en Israël d’anciens de Taglit, et l’intérêt encore plus fort à défendre un voyage de long terme, tel que celui parrainé par Masa Israël Journey », dit Cohen.
Sharansky a affirmé que de plus en plus, les enfants d’ « importants » Juifs de la diaspora participent à Masa et leurs parents lui confirment que le programme est « très bon ». Mais quand il demande à ces Juifs riches un don d’un million de dollars pour le programme, leur enthousiasme se ternit, rit-il.
Masa exploite actuellement un budget de 50 millions de dollars par an, à partir de subventions du gouvernement israélien et de l’Agence juive. Lors de sa création en 2004, son budget était de 10 millions de dollars. Ces cinq dernières années, il est resté entre 40 à 50 millions de dollars.
La plupart du budget est réservé aux bourses et presque chaque participant reçoit une subvention d’au moins 500 dollars. La taxe est relativement lourde, 12 000 dollars, bien qu’il existe des programmes de bourses qui peuvent couvrir jusqu’à 100 % des coûts, en fonction des besoins et des circonstances. Par exemple, la scolarité et les frais de subsistance d’un participant ukrainien comme Shekhtman sont presque couverts.
Tout compte fait, le programme de 10 mois coûte en moyenne environ 17 000 dollars, dit la PDG de Masa, Ben-Horin.
Un message dans une bulle ?
Hilla Singerman, 19 ans, a passé l’année dernière à Masa et fait son alyah le 14 juillet avec son frère Yaniv, 21 ans. Sa sœur Rachel, 31 ans, vit déjà ici et pour elle, l’immigration « était très naturelle – c’était le prochain pas. »

Mais Singerman avertit que son programme Masa, un mélange d’apprentissage des textes en hébreu à la Yeshiva conservatrice et de bénévolat avec des enfants de Yerucham, était « une version romancée d’Israël ».
« Vous voyez le meilleur du meilleur, » dit-elle, ce qui rend certains participants un peu confus. « Vous êtes influencés en pensant que ce que vous ressentez dans ces programmes, une sensation exceptionnelle, est la réalité, » dit-elle.
Elle a cherché à passer du temps avec sa sœur, à faire des choses banales de la vie réelle comme aller à l’épicerie, qui rétablirait « l’équilibre ».
Comme d’autres qui ont parlé avec le Times of Israel, Singerman dit que pour elle, rencontrer une diversité de jeunes Juifs de la diaspora et d’Israéliens a été un moment fort du programme.
Sharansky dit que Masa offre à la jeunesse juive une rare occasion de vraiment apprendre à connaître les Juifs d’autres pays.
Sharansky souligne l’importance du programme pour le judaïsme mondial, disant que Masa peut être la seule année de leur vie que ces jeunes de diaspora passent à l’extérieur de leur pays – et ils choisissent de le passer en Israël.

Il se rappelle de ce dernier Jour du Souvenir où environ 5 000 jeunes ont participé à une cérémonie organisée en quatre langues. Ben-Horin décrit l’événement comme un rappel visible que le peuple juif mondial, lorsque unifié, devient une superpuissance.
Sharansky, plus que la plupart, est familier avec la puissance de la communauté juive mondiale. Né à Donetsk dans l’ex-Union soviétique et prisonnier de Sion, de 1977 à 1986, années au cours desquelles il a été enfermé dans un camp de travaux forcés en Sibérie, sa libération fut en partie rendue possible grâce à la pression intense de la diaspora sur les gouvernements du monde.
Il songe que la principale réalisation de Masa est peut-être le sentiment des participants qu’en Israël, ils sont « simplement juifs ».
« Tout le monde se sent à la maison », dit Sharansky. « Ici, ils sont plus libres d’exprimer leurs points de vue. À l’étranger, ils doivent se soucier, pensant, ‘Les gens ne m’aimeront pas à cause de mes opinions.’ »
« Ici, il n’y a pas de double vie, ils sont simplement juifs », conclut Sharansky.
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