Les musulmans connaissent la plus forte croissance au monde ; bien moins de Juifs qu’avant la Shoah
Le démographe Sergio DellaPergola estime qu'il faudra encore 10 à 20 ans pour que la communauté juive mondiale retrouve son niveau des années 1930 et prédit que 50 % des Juifs vivront en Israël d'ici 2035

Entre 2010 et 2020, la population juive mondiale a augmenté de moins d’un million de personnes, soit une hausse de 6 %, un rythme nettement inférieur à celui de la population mondiale, qui a augmenté de 12 % selon un nouveau rapport sur le paysage religieux mondial publié lundi par le Pew Research Center.
Le taux de croissance de la population juive reflète celui de la population chrétienne, qui est passée de 2,1 milliards à 2,3 milliards au cours de la même période. En revanche, la population musulmane a augmenté à un rythme beaucoup plus rapide (21 %), passant de 1,7 milliard à 2 milliards d’individus, ce qui en fait le groupe religieux qui connaît la plus forte croissance au monde.
Sur l’ensemble de la population juive, environ 46 %, soit 6,78 millions de personnes, vivaient en Israël ; 39 %, soit 5,7 millions, aux États-Unis, et le reste dans d’autres régions du monde, dont 3,1 % en France, 2,4 % au Canada et 2 % au Royaume-Uni, avec des populations estimées respectivement à 460 000, 350 000 et 300 000 personnes.
Le rapport « Global Religious Landscape » souligne que, près de 80 ans après la Shoah, en 2020, la population juive mondiale n’avait toujours pas retrouvé son niveau d’avant la Seconde Guerre mondiale, avec 14,78 millions de personnes contre environ 16,6 millions en 1939.
Selon Sergio DellaPergola, professeur émérite et ancien président de l’Institut Harman d’études juives contemporaines de l’Université hébraïque, il faudra encore dix à vingt ans pour que la population juive retrouve son effectif d’avant la Shoah.
« Ce sera un moment historique », a-t-il déclaré au Times of Israel lors d’une interview vidéo.

DellaPergola a précédemment siégé aux comités consultatifs universitaires de deux grandes études Pew sur les Juifs américains, publiées en 2013 et 2020. Bien qu’il n’ait pas contribué directement au rapport Global Religious Landscape, ses auteurs ont souligné qu’ils s’étaient largement appuyés sur les données qu’il avait compilées pour les chapitres annuels consacrés à la population juive mondiale dans l’American Jewish Year Book.
Le rapport Pew analyse les données de 2010 à 2020, mais DellaPergola a déjà publié des chiffres actualisés couvrant la période allant jusqu’au 1ᵉʳ janvier 2024.
« Les tendances générales sont restées les mêmes, même si certains chiffres, notamment ceux concernant Israël, ont augmenté », a-t-il déclaré. Il a expliqué que la population juive en Israël augmente d’environ 100 000 personnes chaque année.
DellaPergola suit les tendances démographiques mondiales de la population juive depuis les années 1980.
Selon les estimations les plus récentes du démographe, environ 15,7 millions de personnes de confession juive vivaient dans le monde au début de l’année 2024.
Qui est juif ?
Cependant, DellaPergola a souligné que son estimation et celle de Pew ne peuvent être directement comparées, car elles reposent sur des définitions légèrement différentes de qui est considéré comme juif.
« Lorsque nous abordons la question de l’évaluation du nombre de Juifs dans le monde, la manière dont nous définissons qui est juif est toujours cruciale », a-t-il souligné.

Dans ses rapports, DellaPergola propose quatre définitions différentes, et donc quatre chiffres différents.
La population juive de base, estimée à 15,7 millions en 2024, comprend les personnes qui s’identifient exclusivement comme juives, que ce soit sur le plan religieux, culturel ou ethnique.
D’autres définitions incluent les enfants dont au moins un des parents est juif (18,8 millions en 2024) ainsi que les personnes ayant des origines ou des liens juifs, y compris les membres non juifs du foyer, estimées à 21,8 millions.
Enfin, quelque 24,8 millions de personnes étaient éligibles pour s’installer en Israël en vertu de la loi du retour (tous les Juifs, leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs conjoints respectifs).
« La mission principale de Pew est d’étudier les tendances religieuses. Ils définissent donc l’identité juive principalement à travers un prisme religieux, excluant les personnes qui s’identifient comme juives sans religion », a expliqué DellaPergola.
« Il est intéressant de noter que dans ce rapport, ils ont utilisé une définition beaucoup plus restrictive que dans les études précédentes sur les Juifs américains », a-t-il ajouté.
En effet, les auteurs du rapport Pew ont précisé que cette enquête ne portait que sur les personnes se déclarant de religion juive. En revanche, les rapports précédents sur les Juifs américains recensaient les personnes ayant un parent juif ou celles qui s’identifient comme juives pour des raisons culturelles, ethniques ou autres raisons non religieuses.
Concernant Israël, le rapport Global Religious Landscape s’est appuyé sur les données du ministère de l’Intérieur, qui définit les Juifs selon les critères du Grand Rabbinat : les personnes nées de mère juive ou les convertis reconnus par un tribunal rabbinique.
En conséquence, ce rapport a exclu plus d’un demi-million de résidents qui vivent en Israël en vertu de la loi du retour, mais qui sont classés comme « sans religion ».
Majorité vs. minorité
Selon DellaPergola, pour comprendre les tendances démographiques au sein de la communauté juive, il faut reconnaître les réalités très différentes auxquelles les Juifs sont confrontés en Israël par rapport à ceux qui vivent à l’étranger.
« En Israël, les Juifs constituent la majorité de la population, alors qu’à l’extérieur du pays, ils représentent une petite minorité », a-t-il expliqué.

« Cette différence fondamentale a de profondes implications psychologiques, politiques, financières et institutionnelles, qui influencent toutes les tendances démographiques. »
Israël compte également un pourcentage plus élevé de personnes pratiquantes et ultra-orthodoxes, qui ont généralement un taux de natalité plus élevé et contribuent ainsi à une croissance plus rapide.
« Cependant, il est important de noter que le taux de natalité général en Israël est stable depuis de nombreuses années, à environ trois enfants par femme », a fait remarquer DellaPergola.
« C’est unique. Aucun des 100 pays les plus développés au monde n’atteint un taux de natalité similaire. »
Compte tenu de la baisse du taux de natalité dans la plupart des pays occidentaux, la communauté juive mondiale entre dans une nouvelle phase démographique, a fait remarquer l’expert.
« Pendant environ un siècle, les communautés juives de la diaspora ont généralement eu des taux de natalité inférieurs à ceux des sociétés dans lesquelles elles vivaient », a expliqué DellaPergola.
« Aujourd’hui, la tendance s’inverse, car les taux de natalité dans de nombreux pays ont tellement baissé que les familles juives ont en moyenne plus d’enfants. »
Ce changement est particulièrement marqué au sein des communautés à forte population pratiquante ou ultra-orthodoxe.
« À titre d’exemple, la communauté juive du Royaume-Uni a connu sa première croissance depuis des décennies, principalement grâce à la population ultra-orthodoxe », a ajouté le démographe.
Qu’en est-il de l’assimilation ?
DellaPergola a noté que les taux d’assimilation parmi les Juifs se sont récemment stabilisés après un siècle.
« Pendant environ 100 ans, l’assimilation a augmenté régulièrement », a-t-il indiqué.

« Aux États-Unis et dans de nombreux pays européens, elle a atteint 60 %. Elle ne peut pratiquement pas aller plus loin. »
Il a également souligné une tendance croissante chez les Juifs assimilés ou partiellement assimilés à renouer avec leur identité juive. « Cette résurgence est en grande partie due à des pressions extérieures », a-t-il expliqué. « Qu’il soit qualifié d’antisémitisme ou d’antisionisme, ce phénomène a connu une recrudescence spectaculaire au cours des quinze à vingt dernières années. »
Selon lui, des enquêtes menées dans plusieurs pays font systématiquement état d’une montée des attitudes antisémites ces dernières années.
« Les gens perçoivent de plus en plus d’hostilité, ce qui alimente un besoin de solidarité et de communauté, une recherche de visages amicaux », a-t-il déclaré.
Il a ajouté que, même si le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas en Israël le 7 octobre 2023 et la guerre qui s’en est suivie ont probablement influencé cette dynamique, il faudra des années pour comprendre pleinement leur impact sur les tendances d’assimilation au sein des communautés de la Diaspora.
Rester ou partir ?
Parallèlement, DellaPergola a souligné qu’Israël a connu un déficit migratoire pour la première fois en 40 ans, entre 2023 et 2024, avec plus de personnes quittant le pays que d’immigrants ou de rapatriés.
« Il faut environ douze mois pour déterminer si une personne qui a quitté le pays l’a fait de manière définitive », a-t-il précisé.
« Fin décembre 2024, environ 80 000 personnes qui avaient quitté Israël avant 2023 n’étaient toujours pas revenues. »
Selon DellaPergola, la plupart des tendances en matière d’alyah (immigration) et de yeridah (émigration) sont étroitement liées à des facteurs économiques.
« L’analyse des taux de chômage et d’autres indicateurs économiques en Israël et à l’étranger permet souvent de prévoir de manière fiable les tendances migratoires pour une année donnée », a-t-il expliqué.
« Cependant, dans ce cas précis, la tendance s’était déjà amorcée avant le 7 octobre, au moment de la refonte judiciaire, qui n’était pas un phénomène économique », a ajouté DellaPergola. Il faisait référence à la tentative controversée du gouvernement actuel, début 2023, de modifier radicalement l’équilibre des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif, une initiative qui avait déclenché des manifestations de masse et qui avaient rassemblé des centaines de milliers de personnes chaque semaine jusqu’au 7 octobre.

Selon DellaPergola, la trajectoire politique d’Israël continuera d’influencer les taux d’émigration et les décisions des Juifs de la Diaspora confrontés à l’antisémitisme quant à l’opportunité de s’installer en Israël.
Cependant, d’ici la fin de la décennie, le démographe prévoit que la moitié de la population juive mondiale résidera en Israël.
« Aujourd’hui, environ 45 % des Juifs vivent en Israël, et cette proportion augmente d’environ un demi-point de pourcentage chaque année », a-t-il indiqué.
« Atteindre la barre des 50 % constituera un autre jalon historique, tout comme lorsque la population juive mondiale dépassera son niveau d’avant la Shoah. »