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Témoignage

Les Pays-Bas laissent le virus se propager. Témoignage d’un Juif israélien

Les autorités néerlandaises n'imposent pas de confinement, afin de créer une immunité de groupe. Mais cela conduira à des décès, notamment dans la communauté juive très solidaire

Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte visite le centre national de coordination des soins intensifs d'Erasmus MC à Rotterdam, le 24 mars 2020, dans le contexte de la propagation de l'épidémie de COVID-19. (Crédit : Sem VAN DER WAL / ANP / AFP) / Netherlands OUT
Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte visite le centre national de coordination des soins intensifs d'Erasmus MC à Rotterdam, le 24 mars 2020, dans le contexte de la propagation de l'épidémie de COVID-19. (Crédit : Sem VAN DER WAL / ANP / AFP) / Netherlands OUT

AMSTERDAM, Pays-Bas (JTA) — Notre sortie dominicale au parc était tellement normale que cela en était étrange.

Ma femme, mes enfants et moi-même faisions partie des centaines de personnes qui ont profité de la première journée ensoleillée du printemps dans la forêt d’Amsterdam, une grande parcelle de forêt artificielle située au sud de la capitale néerlandaise. Il y avait de nouvelles jonquilles, les précieuses clairières de pique-nique de la forêt et même une file de visiteurs attendant de voir la célèbre cerisaie, qui a fleuri de façon spectaculaire la semaine dernière.

Au bout de quelques heures, nous avions presque oublié que la plupart de nos amis et de nos familles en Europe, en Israël et ailleurs sont assignés à résidence à des niveaux divers en raison des mesures d’urgence prises par les gouvernements, pour lutter contre le coronavirus.

C’est parce que la Hollande a adopté une approche différente.

Le Premier ministre Mark Rutte a essentiellement fait valoir que la distanciation sociale ne fera que prolonger les effets désastreux du virus. Il pense – en se basant prétendument sur les connaissances des professionnels de la santé – que la population néerlandaise doit être, dans une certaine mesure, exposée au virus, afin que l’immunité puisse se former et que la société puisse revenir à un sentiment de normalité le plus rapidement possible.

Le gouvernement néerlandais a effectivement fermé les écoles, les cafés, les cinémas, les lieux de culte et de nombreux bureaux, mais nous sommes toujours libres de nous déplacer, de faire des achats, de prendre des plats à emporter et de recevoir des colis par la poste. Notre vaste réseau de transports publics n’a pas bougé d’un iota.

Un marché très fréquenté à La Haye, aux Pays-Bas, le 23 mars 2020. (Crédit : Robin UTRECHT / ANP / AFP)

La Suède a une politique tout aussi laxiste. Le Royaume-Uni, dont le Premier ministre, Boris Johnson, avait adhéré à la même politique d' »immunité de groupe » que Rutte, a introduit des mesures plus strictes lundi, en disant aux habitants de rester chez eux et en ordonnant aux magasins vendant des biens non essentiels de fermer. Lundi, Boris Johnson a revu sa copie et a finalement ordonné un confinement complet.

Cela fait de la Suède et de la Hollande des exceptions en Europe occidentale. La Belgique, la France, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, l’Autriche et la Suisse ont tous été totalement paralysés, de même que certaines parties de l’Allemagne.

Notre liberté relative est bien sûr un immense privilège et une commodité qui nous rassure parfois. Mais à mesure que les corps s’accumulent sur le continent – les Pays-Bas ont enregistré plus de 200 décès – notre réalité s’accompagne de la crainte croissante que l’on n’en fasse pas assez pour endiguer l’épidémie qui ravage l’Europe et le reste du monde.

J’ai vécu quatre ou cinq attaques de missiles majeures, deux intifadas [soulèvements terroristes palestiniens] et un service militaire en tant que combattant en Israël, mon pays natal, ainsi que des missions de reportage dans plusieurs zones de guerre. Mais les images prises dans les hôpitaux italiens me font, pour la première fois, redouter la mort.

Je peux comprendre la logique de l’approche néerlandaise, même si je ne suis pas totalement convaincu par la notion d’immunité et la science obscure qui la sous-tend. Après tout, il y a une limite à la durée d’un confinement. Le virus sera toujours présent lorsqu’il sera levé et une épidémie se produira plus tard, après que plusieurs semaines de confinement auront eu raison de nos ressources nationales.

Mais les pandémies sont tellement imprévisibles, et en laisser une se propager sur la base d’un tas d’hypothèses revient à jouer à la roulette russe parce que les chances sont en sa faveur.

Je ne suis pas le seul à mettre en doute la bien-fondé de la théorie sur la propagation délibérée du virus. Dimanche, la ministre belge de la Santé, Maggie de Block, a pour la première fois critiqué ouvertement la politique néerlandaise.

« Ils laissent le virus se propager », a-t-elle déclaré au quotidien De Morgen à propos des Pays-Bas, un pays avec lequel la Belgique partage une frontière perméable.

Marino Keulen, maire de la ville frontalière belge de Lanaken, a qualifié les Pays-Bas de « maillon faible de la chaîne européenne ».

Un homme porte un masque de protection dans un marché très fréquenté à La Haye, aux Pays-Bas, le 23 mars 2020. (Crédit : Robin UTRECHT / ANP / AFP)

Je vois déjà les effets du virus autour de moi. Celui que je considérais comme mon rabbin quand je vivais à La Haye, jusqu’en 2015, est en soins intensifs. Jeudi, j’ai appris que deux de mes amis, l’un à La Haye et l’autre à Anvers, avaient contracté le COVID-19.

Au cours du week-end, une de mes connaissances, le rabbin André Touboul, fondateur de l’école juive Beth Hanna à Paris, est décédé subitement à l’âge de 64 ans. Petit et énergique, au comportement informel et amical, qu’il avait apporté avec lui à Paris depuis sa ville natale, Marseille, Touboul était en bonne santé et ne souffrait d’aucune maladie sous-jacente.

À Londres, la maladie a coûté la vie à au moins six Juifs, dont Zeev Stern, un rabbin et philanthrope de 86 ans qui a survécu à la Shoah, et à une femme de 97 ans, Frieda Feldman. L’Italie a connu environ 6 000 décès, dont celui d’un ancien dirigeant de la communauté juive de Milan, Michele Sciama.

Et comme la plupart d’entre nous le savent, la situation va s’aggraver, et non s’améliorer. La chancelière allemande Angela Merkel a choqué le continent lorsqu’elle a déclaré le 13 mars qu’environ 70 % de la population de son pays allait contracter la maladie.

Ici, certaines communautés juives se préparent à un taux d’infection beaucoup plus élevé en raison de ce qui fait normalement leur plus grande force : le sentiment de cohésion. Cela va maintenant devenir leur plus grande faiblesse, et les politiques du type de celle des Pays-Bas ne les protègent pas.

« Le Belge moyen a un cercle composé d’une quinzaine d’amis et de famille. Dans la communauté juive d’Anvers, ce cercle est de 150 personnes », m’a dit Michael Freilich, un législateur juif au Parlement belge. « Les juifs d’Anvers se connaissent tous, chaque synagogue est une famille élargie. »

Deux Juifs marchent dans une rue d’Anvers, en Belgique, le 22 août 2018 (Crédit : Cnaan Liphshiz)

Citant cette réalité, les dirigeants de la communauté juive anversoise, majoritairement ultra-orthodoxe, s’attendent à un taux d’infection de 85 % – bien supérieur aux projections pour la population générale, qui se situent entre 50 et 70 %. Selon ce modèle, quelque 17 000 personnes de la communauté contracteront le virus, ce qui entraînera plus de 550 décès.

Ma famille n’est pas religieuse, mais nous nous sentons quand même très vulnérables. Nous profitons de la liberté dont nous jouissons en ce moment pour régler les derniers détails.

Dimanche, mon père est venu nous voir dans le parc. Il a 73 ans et il a tendance à tousser et à avoir des rhumes, mais il refuse de rester à l’intérieur.

Alors que nous marchions vers la voiture, il m’a indiqué où se trouvait son testament et m’a donné d’autres informations que je dois connaître au cas où il mourrait.

« Nous pourrions être enfermés demain, qui sait. Cette maladie évolue très rapidement », m’a-t-il expliqué sur un ton rationnel.

Nous nous sommes dit au revoir sans nous embrasser. Mes enfants, plongés dans leur propre petit monde, lui ont fait un signe d’adieu indifférent en montant dans la voiture. Nous nous sommes éloignés et j’ai regardé dans le rétroviseur sa silhouette élancée se transformer en une tache bleue contre la magnifique floraison printanière.

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