Les « péchés » d’Israël affectent-ils les Juifs d’Europe ?
Sans se trouver dans le cas de l’Allemagne des années 1930, l'Europe est infectée par un antisémitisme qui n’a pas de remède, selon les spécialistes
L’opération Bordure protectrice a porté à ébullition l’antisémitisme latent en Europe,
« les ‘péchés’ d’Israël affectent les Juifs », affirme le chef de l’Anti-Defamation League (ADL) Abe Foxman.
En Europe, même les citoyens les plus libéraux ont commencé à accabler les communautés juives, alléguant que la guerre contre le Hamas – et ses dommages collatéraux – sont « entièrement de leur faute », dit-il.
« C’est un phénomène croissant – ne pas faire la différence entre les Juifs et Israël », dit Foxman. Le slogan « l’antisionisme n’est pas l’antisémitisme » n’est plus crédible.
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Les Juifs de Diaspora ont dénoncé la diffusion de photos dans les manifestations pro-palestiniennes sanglantes, qui attisent la rhétorique acerbe contre la communauté juive de Paris. Les intervenants à une réunion d’urgence au parlement israélien le 28 juillet ont dénoncé « un nouvel Holocauste ». D’autres dans les médias sociaux et conventionnels ont affirmé que la situation des Juifs d’Europe ressemble à celle de « l’Allemagne en 1930 ». Et l’hebdomadaire grand public Newsweek a consacré sa dernière couverture à la question.
De Jérusalem, Robert Wistrich, professeur d’histoire européenne et juive à l’Université hébraïque et président du Centre international Vidal Sassoon d’étude de l’antisémitisme, souligne que la communauté juive européenne est dans un état critique.
Mais il n’est pas si prompt à faire le parallèle avec l’Allemagne nazie.
« Personnellement, je suis plutôt prudent quant aux analogies avec la fin des années 1930 en Europe, ou encore moins avec l’Allemagne nazie, parce que nous ne sommes certainement pas dans une situation comparable pour de nombreuses raisons », dit Wistrich.
« Nous ne parlons pas d’un Etat parrainé par l’antisémitisme, dans un pays européen », dit-il. « Nous ne parlons pas d’un niveau de violence avoisinant celui des années 1930. En tant qu’historien du nazisme et familier avec l’Europe de l’Est dans les années 1930, je dirais que nous sommes très loin de cela et la nature est tout à fait différente dans la plupart des cas », a déclaré Wistrich.
Ce qui a choqué la diaspora juive, cependant, est moins la violence verbale du type « Les Juifs sont des porcs », mais plutôt les expressions physiques de violence pure qui sont devenues l’empreinte des manifestants pro-palestiniens français. Il est à noter, la plupart des cas signalés d’antisémitisme en Europe ne sont pas de nature physique, mais plutôt des menaces verbales, des graffitis, du vandalisme ou des incidents virtuels, nouvelle forme en plein essor.
Dans des entretiens avec le Times of Israel, Foxman et Wistrich parlent de l’antisémitisme comme d’une maladie qui se propage, utilisant des termes tels que « infection » et « maladie ».
attribue la hausse de l’antisémitisme à la haine sur Internet, qui date de 2001 et de la deuxième Intifada. « Et elle n’a pas diminué depuis », dit-il.
« Internet l’organise, la fait vivre. C’est la nouvelle autoroute d’expression de la haine », dit Foxman.
La France est aujourd’hui un pôle de résurgence de l’antisémitisme européen. Mais, dit Foxman, « il y a une certaine ironie à ce sujet ».
« Si vous me demandez de nommer un pays qui affronte l’antisémitisme de manière responsable, je répondrais la France, » dit-il. Il évoque Jacques Chirac, qui, pendant son mandat, a vu une école juive bombardée en 1995 et a été poussé à agir suite à une tentative d’attentat contre un établissement juif en 2002.
« Chirac s’est réveillé et a réalisé que les choses auraient pu être bien pires », dit Foxman, qui explique la plupart des pays sont dans le déni de leur antisémitisme latent. Pourtant, la France a mis en place un groupe de travail interministériel, a fourni à la communauté juive de la sécurité, et « toute expression d’antisémitisme a été censurée par une très grave condamnation », indique Foxman.
Foxman marque une pause et dit : « Leur réaction est celle que nous espérons, et pourtant l’antisémitisme se développe. » La récente enquête Global 100 de l’ADL, de classement des comportements antisémites dans le monde entier, a conclu que 37 % de la population française est antisémite.
« Les Juifs de France ne sont pas assez convaincus par l’action du gouvernement pour vouloir élever leurs enfants en France. Les Juifs français disent qu’ils se préfèrent faire leur aliya [dans un pays] en guerre plutôt que d’élever leurs enfants en France », déclare Foxman.
La menace pour les Juifs n’est globalement plus celle du type de l’Allemagne nazie, cependant. C’est une menace musulmane, souligne Foxman.
« Vous avez une population importante en France qui est musulmane et infectée par un antisémitisme qui utilise le conflit israélo-palestinien pour se légitimer. C’est nouveau », dit Foxman.
Wistrich va plus loin. Pour lui, la France est une cause perdue.
« Il est trop tard, ils ne pourront pas renverser cette situation. Comme une maladie qui n’a pas été traitée pendant plus d’une décennie, la France est maintenant à un stade avancé de la maladie », dit Wistrich.
Il prévoit un lent exode massif de France, et éventuellement d’Allemagne, « malgré le fait que les choses y semblent plus roses », de Belgique et d’ailleurs.
Wistrich n’est pas le seul. Le chef de l’Agence juive pour Israël, Natan Sharansky a abordé la question du départ des Juifs d’Europe dans un récent article du Jewish Chronicle. « Je crois que nous vivons le début de la fin de l’histoire juive en Europe. Je vois cela comme un moment historique – comme le début du processus de distanciation des Juifs de l’Europe », explique Sharansky.
« Pour des raisons évidentes », le gouvernement allemand essayera de faire ce qu’il peut pour contrecarrer les tendances, « mais ce sont les mêmes qu’en France et ailleurs », dit Wistrich. Avec une différence : alors qu’en France, la population musulmane anti-israélienne est en grande partie issue d’Afrique du Nord, en Allemagne, elle vient de Turquie, avec au moins un million d’immigrants turcs dans ses frontières.
« [Les immigrés turcs] ont été infectés, et cela va s’aggraver, en partie à cause d’Erdogan, qui peut être couronné antisémite numéro un mondial, qui est également chef de gouvernement », dit Wistrich. « Il pourrait participer à la compétition olympique de médaille d’or des chefs d’Etat antisémites avec Ahmadinejad d’Iran », rit-il.
Dans cet exode massif, Israël et d’autres pays seront bénéficiaires, dit Wistrich. « Les Juifs doivent partir maintenant qu’ils le peuvent… Quelle personne sensée qui se soucie de son identité juive et de ce qui arrivera à ses enfants, veut continuer à vivre comme ça [en Europe] ? », interroge Wistrich.
Le dirigeant du Congrès juif mondial, Robert Singer, confie ses craintes au Times of Israel.
« La France, l’Allemagne, la Belgique et la Turquie se sentent plus vulnérables dans une certaine mesure, » dit-il, énumérant une liste presque infinie d’incidents antisémites qui ont eu lieu en juillet, y compris : les slogans « Mort aux Juifs », « Gazez les Juifs », l’attaque du rabbin Moshe Ohayan de Casablanca, celle sur la maison du rabbin de Hollande Binyomin Jacobs, la ruée de foule sur l‘équipe de football Maccabi Haïfa en Autriche… »
« Quand de tels événements arrivent, évidemment, les communautés se sentent mal à l’aise », dit Singer.
« Cela semble bien pire qu’il y a dix ans. Une augmentation de l’antisémitisme est manifeste dans différents endroits, selon les statistiques et rapports. Mais je pense que le pire se passe dans certains pays tels que la Hongrie, qui est touchée sur le plan politique », dit Singer.
Wistrich acquiesce : « Quand vous regardez les déclarations du Jobbik [parti d’extrême-droite hongrois], elles rappellent à bien des égards le nationalisme radical organique [de l’Allemagne des années 1930]. Et bien sûr, ils nient être antisémites – alors qu’ils le sont assurément. »
Les dernières élections au Parlement européen confirment l’analyse de Singer sur la montée de l’antisémitisme/xénophobie politique : environ 25 % de l’Europe a voté pour l’extrême-droite ou gauche.
En Grèce, trois membres du nationaliste Aube dorée sont entrés au parlement de l’Union européenne, et en Allemagne, le néonazi Udo Voigt, qui a fait un an de prison pour incitation à la haine, représente le pays.
En France aussi, les partisans de l’extrême-droite ont remporté une victoire retentissante, dirigés par le Front national de Marine Le Pen, anti-immigration, anti-UE.
Au début juillet, ironiquement, Voigt, glorificateur notoire d’Hitler et ancien chef de l’extrême droite, le Parti national démocratique, a été nommé à la commission parlementaire des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures. En réaction, Moshe Kantor, président du Congrès juif européen, basé à Bruxelles, a déclaré : « C’est surréaliste et c’est l’insulte ultime aux Juifs d’Europe et à l’Union européenne elle-même. »
Mais c’est en France que la tempête se déchaîne, dit Foxman de l’ADL, avec « un rassemblement de l’antisémitisme nouveau et ancien, de droite et de gauche, en plus de l’importation de celui moyen-oriental ».
Pour finir sur une note plus optimiste, Singer objecte que les communautés juives européennes d’aujourd’hui sont très fortes. « La France, la Grèce, ce ne sont pas les communautés qui restent assises tranquillement, » dit-il. Elles opèrent à différents niveaux d’intervention, politique et populaire.
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