Les pierres tombales juives reviennent dans les cimetières en Pologne
Il s'agit d'un projet destiné à tourner une page sombre des relations complexes entre Juifs et Polonais

Sous l’oeil attentif de sa mère, le petit Krzys, 2 ans, pousse des cris de joie en descendant un toboggan, à quelques mètres d’une brigade d’ouvriers démolissant le mur d’une aire de jeu dans le quartier de Praga, à Varsovie.
A première vue, le mur n’a rien de singulier. Mais sur quelques pierres, on peut apercevoir des inscriptions en hébreu ou en yiddish.
Abandonnées, voire détruites à la suite de l’Holocauste, les matzevas, pierres tombales des centaines de cimetières juifs de Pologne, ont servi à l’époque communiste à paver les routes ou à construire des murs.
Elles sont récupérées aujourd’hui et reviennent aux cimetières dans le cadre d’un projet destiné à tourner une page sombre des relations complexes entre Juifs et Polonais.
Dans ce petit parc de Praga, une pergola et de petits murs furent construits avec des bouts de pierres tombales juives, autour d’un jardin d’enfants et d’une piste de danse.
« Je n’étais absolument pas consciente que ces pierres provenaient d’un cimetière », déclare Kamila Zagorowska, 42 ans, la mère du petit Krzys, qui habite le quartier depuis sept ans.
« On se posait quand même la question. Ces pierres me faisaient penser à un cimetière juif », reconnait Tadeusz Zbolimowski, un chauffeur qui habite à côté depuis 35 ans.
« Ce n’est qu’avec ces travaux que nous en avons eu la confirmation. Et dire que les gens venaient danser ici! Ils dansaient ainsi sur des tombes, ça n’aurait jamais dû avoir lieu », ajoute ce quinquagénaire.
Une fois enlevées, les pierres sont ensuite transportées au grand cimetière juif du quartier, à Brodno.
‘Désacralisation terrible’
« Cette désacralisation qui a eu lieu en Pologne il y a plus de 50 ans, sous les Allemands nazis et sous les Soviétiques, fut terrible », souligne le grand rabbin de Pologne Michael Schudrich.
« On ne peut pas réparer tout ce qui s’est passé (…) mais là où c’est possible, on doit essayer de le faire », ajoute le rabbin qui se félicite de l’initiative de la municipalité.
Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, Varsovie était une gigantesque étendue de ruines. Pour sa reconstruction, des briques de l’ancienne Breslau allemande, devenue Wroclaw, étaient apportées de Basse-Silésie, et des matzevas des cimetières juifs abandonnés étaient utilisées.
Les exemples les plus choquants sont rassemblés dans un album de photos: à Parysow, à 60 kilomètres de Varsovie, une étable a même été construite avec des pierres tombales.
L’enclos des lions du jardin zoologique de Varsovie cacherait aussi de telles pierres.
En général, comme au parc de Praga, les pierres étaient posées de façon à camoufler les inscriptions et symboles religieux. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Au sommet d’un des poteaux de la pergola, sous des feuilles de vigne vierge on découvre des caractères hébreux.
« Il y a 24 ans, la Pologne a recouvré son indépendance. Aujourd’hui, nous pouvons parler librement, même des questions aussi difficiles que celle-ci. Nous n’avons plus de sujets tabous », explique à l’AFP le maire-adjoint du quartier, Jaroslaw Karcz.
« Nous pouvons réparer les erreurs de l’histoire, nous disposons pour cela d’outils et de moyens financiers nécessaires », assure-t-il.
La municipalité a débloqué 95 000 euros pour cette opération. « Ce n’est que le début d’un long processus, très important du point de vue éthique pour la communauté juive et les Polonais », souligne Anna Chipczynska, présidente du Conseil de la commune juive de Varsovie. « Tout cela nécessite d’importants fonds financiers qu’il faut encore trouver », ajoute-t-elle.
L’organisation « From the Depths« , une ONG israélo-américano-polonaise engagée dans ce projet, se donne pour objectif ambitieux de créer des archives numériques des matzevas.
« Des juifs du monde entier viennent en Pologne à la recherche de leurs racines et des tombes de leurs ancêtres. Nous voulons les aider, » explique Lena Klaudel, coordinatrice du projet « Matzeva » de la fondation, réalisé avec l’aide de l’université norvégienne NTNU de Trondheim.
Mais l’opération suscite aussi des critiques. « A quoi bon tout détruire ? Il n’y a des caractères hébreux que sur un seul poteau de la pergola », s’indigne un passant, Jerzy Mickiewicz. « Mieux vaut que ces pierres continuent de servir aux vivants », affirme sa femme.