Les souvenirs nostalgiques de l’Autrichienne Karin Kneissl en Israël
L'ancienne ministre des Affaires étrangères, boudée par Israël pour ses liens avec le parti FPÖ d'extrême-droite, se souvient avoir rencontré Yeshayahu Leibowitz et Yitzhak Shamir
L’ancienne ministre des Affaires étrangères autrichienne, Karin Kneissl, dont le mandat s’est achevé le 3 juin dernier, dit ne pas être pressée que le gouvernement israélien lève le boycott dont elle fait l’objet.
Et pourtant, elle prend un plaisir immense à se souvenir de sa vie et de son travail au sein de l’Etat juif il y a une trentaine d’années, lorsqu’elle assistait aux cours donnés par le célèbre philosophe Yeshayahu Leibowitz à l’Université hébraïque et qu’elle assurait les traductions en simultané de l’ancien Premier ministre de l’époque, Yitzhak Shamir.
La ministre de 54 ans s’est également montrée nostalgique d’un passé plus récent lorsqu’elle était une journaliste et une universitaire respectée pour ses connaissances profondes sur le Moyen-Orient – le genre de personnalités courues par les diplomates israéliens. Mais à la fin du mois de décembre 2017, elle a été désignée persona non grata par Jérusalem en raison de ses liens avec le Parti de la liberté, une formation d’extrême-droite et membre de la coalition gouvernementale autrichienne.
Au cours d’un entretien accordé en marge d’une conférence sur le Moyen-Orient organisée à Varsovie en février dernier, Kneissl a pris le temps d’évoquer sa vie d’étudiante en Israël à la fin des années 1980 ainsi que la position adoptée par Vienne sur le conflit israélo-palestinien et la relation entretenue par son pays avec l’Iran.
« Au cours des quatorze mois que j’ai passés à la tête du ministère des Affaires étrangères, je n’ai pas cessé d’avoir des réunions avec des Israéliens que je connaissais auparavant et qui me connaissent, qui savent qui je suis, m’apprécient et qui sont également venus me voir au ministère », avait confié Kneissl au Times of Israël, assise sur un canapé du stade de football PGE Narodowy à Varsovie.
Parmi ces Israéliens qui voulaient la rencontrer, d’anciens responsables de haut-rang, a-t-elle continué.
« Tous ceux qui me connaissent – et l’ambassadrice israélienne à Vienne [Talya Lador] me connaît aussi – étaient, jusqu’à il y a 14 mois [avant décembre 2017], heureux de déjeuner avec moi. Et je n’ai pas changé », dit-elle.
L’interview avait eu lieu au petit matin, le 14 février, alors que se déroulait la « Conférence ministérielle de promotion de la paix et de la sécurité au Moyen-Orient ». Kneissl a accueilli notre journaliste en hébreu courant – revenant toutefois rapidement à l’allemand.
Plus tard dans la journée, alors que les délégués se réunissaient pour une photo de groupe, la cheffe de la diplomatie autrichienne a brièvement rencontré et discuté avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui a apparemment contrevenu à la politique de zéro-contact qu’il s’était lui-même imposée.
Il est difficile de dire qui a entamé la conversation.
Selon un haut responsable autrichien qui s’est entretenu avec le Times of Israël sous couvert d’anonymat, Netanyahu s’est approché de Kneissl, et un « court échange de propos amicaux » s’en est suivi.
Un récit qui a été démenti par le bureau de Netanyahu. « La politique israélienne n’a pas changé vis-à-vis du parti. La ministre a pris par surprise le Premier ministre et s’est approchée de lui de manière inattendue. Il n’y a pas eu de conversation ou de rencontre », selon un responsable du bureau qui a demandé à ne pas être identifié.
Un journal autrichien a publié quelques images brèves des deux personnalités politiques en train de discuter, mais elles ne montrent pas qui a engagé la conversation en premier.
La ministre n’est pas membre du parti de la Liberté, le FPÖ, boycotté par Israël et par la communauté juive en raison de son histoire néo-nazie. Mais parce qu’elle avait été nommée à son poste de ministre par la formation, Jérusalem avait décidé de l’inclure dans sa politique de zéro-contact.
C’est une décision israélo-israélienne. Il y a des raisons qui la justifient
Interrogée sur une future rencontre avec Netanyahu ou le directeur-général du ministère des Affaires étrangères Yuval Rotem, lui aussi à Varsovie, en marge de la conférence, elle répondait qu’aucun entretien n’était programmé.
« Ils ont de nombreuses préoccupations autres que celle de me rencontrer. Ils ont vraiment des problèmes complètement différents », répond-elle.
Comprend-elle la décision prise par le gouvernement israélien de la boycotter ? Elle déclare : « Il ne s’agit pas de comprendre, il ne s’agit pas d’émotions. J’en prends note. C’est tout. Je suis quelqu’un de relativement pragmatique. Je ne remets rien en cause. C’est une décision israélo-israélienne. Il y a des raisons qui la justifient ».
Dans la mesure où elle n’était pas officiellement membre du FPÖ et qu’elle détenait le portefeuille des Affaires étrangères, des rumeurs laissaient entendre, depuis longtemps, qu’Israël pourrait renoncer à sa politique de zéro-contact avec elle.
Sa rencontre, la semaine dernière, avec Netanyahu est « un signal supplémentaire que le boycott contre madame Kneissl pourrait se terminer bientôt », selon le haut responsable de Vienne.
La ministre souligne elle-même ne pas souhaiter exercer de pressions sur l’Etat juif en faveur d’une levée de ce boycott. « C’est un processus décisionnaire exclusivement israélo-israélien, et Israël a absolument tout le temps nécessaire pour prendre cette décision ».
Indépendamment de la nonchalance avec laquelle elle s’exprime sur le rejet israélien à son encontre, elle s’est souvenue avec émotion de certaines personnes qu’elle a rencontrées et de certains événements vécus alors qu’elle vivait dans l’Etat juif, il y a une trentaine d’années.
« Je connais Israël relativement bien. J’ai étudié au campus du mont Scopus à l’Université hébraïque, et j’ai des souvenirs merveilleux de cette époque », dit-elle.
Kneissl, qui a passé une partie de son enfance en Jordanie, s’est rendue à Jérusalem en 1988 pour faire des recherches dans le cadre de sa thèse de doctorat en droit international, consacrée au concept de frontières au Moyen-Orient.
Parmi ses professeurs, Yehoshafat Harkabi, ancien chef des renseignements militaires israéliens, et Itzhak Hans Klinghofer, expert reconnu de la constitution.
Elle a également étudié avec Yeshayahu Leibowitz, personnalité légendaire et controversée. Elle a aussi interviewé pendant plusieurs heures cet homme connu pour son anticonformisme, qui condamnait notamment l’occupation israélienne en Cisjordanie et affichait son dédain pour le mur Occidental.
« Quand je faisais des recherches pour ma thèse, j’ai eu le grand bonheur d’être autorisée à accéder aux archives du bureau du Premier ministre. C’était Yitzhak Shamir qui était en poste à l’époque. J’ai servi d’interprète une fois pour lui lors d’une conférence, depuis le français vers l’hébreu », se souvient-elle.
S’il y a une chose qu’elle a apprise auprès de ces personnalités, c’est de « répondre aux coups du destin avec une pointe d’ironie », explique-t-elle. « Ces hommes étaient des libres-penseurs, et je me considère également comme une libre-penseuse. Ils m’ont impressionnée par leurs pensées et leurs actions courageuses, critiques, confiantes et périlleuses ».
« J’ai passé une nuit au sommet de Masada, je me suis lavée à Ein Gedi et j’ai marché de Jérusalem à Bethléem »
A l’époque, elle était parvenue à obtenir une petite bourse pour ses études, mais elle travaillait à mi-temps à l’hôpital français de Jérusalem pour arrondir ses fins de mois.
« Durant cette année et demi, j’ai appris beaucoup de choses. Cela a été une période très intéressante pour moi », raconte-t-elle. « J’ai voyagé avec mon sac sur le dos : j’ai passé une nuit au sommet de Masada, je me suis lavée à Ein Gedi et j’ai marché de Jérusalem à Bethléem. Des occasions qui, quelques années après, à cause de la situation sécuritaire et de la construction du mur, ne se sont plus représentées », dit-elle, faisant référence à la barrière de sécurité de Cisjordanie.
« Je suis simplement reconnaissante d’avoir pu vivre tout cela. Parce que je dis toujours que sans ce que j’ai vécu au Moyen-Orient – et c’est valable de la même manière pour Israël, Damas, Amman et particulièrement le Liban, et plus tard l’Iran – je ne serais jamais devenue celle que je suis aujourd’hui ».
Après ses études et ses voyages, Kneissl est devenue diplomate et, ces dernières années, s’est consacrée à l’écriture de livres et à la tenue de conférences sur le Moyen-Orient. Au mois de décembre 2017, le chef du FPÖ et vice-chancelier Heinz-Christian Strache l’a nommée au poste de ministre des Affaires étrangères.
Dans un courrier adressé à Netanyahu au mois de juin 2016, le dirigeant du FPÖ, avant son élection, avait promis de faire tout ce qui serait en son pouvoir « au niveau législatif et même exécutif » pour transférer l’ambassade d’Autriche à Jérusalem.
« A l’époque, il n’était pas membre du gouvernement. Et la position du gouvernement est de continuer à soutenir la solution à deux Etats », indique la cheffe de la diplomatie autrichienne. Le gouvernement actuel de coalition, avec à sa tête le chancelier Sebastian Kurz, continuera à adhérer à la politique de l’Union européenne, à savoir le soutien à la solution à deux Etats et Jérusalem-Est comme capitale d’un futur État palestinien, ajoute-t-elle.
Même s’il est partenaire d’un parti considéré comme le foyer politique de la scène néo-nazie autrichienne, le chancelier autrichien est considéré comme un bon ami d’Israël, grâce en partie à sa promesse de défendre l’Etat juif dans les forums internationaux. La sécurité d’Israël est la « raison d’état » de son pays, a-t-il répété à de multiples reprises.
#Austria is also fully committed to #Israel’s security which has become a raison d’etat for us.
— Sebastian Kurz (@sebastiankurz) September 27, 2018
Si tel est le cas, alors comment Vienne peut ainsi continuer à entretenir de bons liens avec l’Iran, une dictature brutale qui menace presque quotidiennement d’annihiler Israël ?
Kneissl répond à cette question et explique que depuis la révolution iranienne, il y a 40 ans, il y a eu une rupture entre la république islamique et l’Occident. En conséquence, les deux parties ont désappris à se connaître.
« Le cœur de l’activité diplomatique est de conserver des canaux de communication ouverts, quelles que soient les circonstances. Et pour nous, en tant que petit pays, nous qui ne disposons pas d’intérêts massifs économiques ou sécuritaires dans la région, c’est simplement plus facile », estime-t-elle.
Son homologue iranien, Mohammad Javad Zarif [démissionnaire depuis, ndlr], est un « partenaire de discussion hautement professionnel, intéressant et intéressé », ajoute Kneissl.
Et qu’en est-il des menaces constantes proférées contre Israël ?
C’est un sujet constant dans les relations bilatérales, répond-elle, notant que le chancelier autrichien avait dit au président iranien Hassan Rouhani, au mois de juillet et en public, à Vienne, qu’il était « absolument inacceptable » de mettre en doute le droit à l’existence d’Israël ou d’appeler à la destruction de l’Etat juif.
Et comment décrirait-elle les relations entretenues par Vienne avec Téhéran ?
« Elles sont correctes », conclut-elle.
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