Les synagogues roumaines, parfois en ruine, de nouveau « accessibles » virtuellement
Grâce au site "Histoires de synagogues", les visiteurs peuvent voir les magnifiques lieux de culte qui se dressent là où il ne reste que peu, voire aucun, de leurs anciens fidèles
BUCAREST (JTA) – Il serait dangereux de pénétrer dans la synagogue de Fabric en Roumanie. Fermée depuis 1986, la structure ornée de 1899, au cœur de la ville de Timișoara, s’effrite littéralement de l’intérieur.
Mais en ligne, c’est une toute autre histoire. Les visiteurs de la synagogue de Fabric peuvent lever les yeux vers la coupole en forme de dôme, dont les vitraux sont toujours intacts même si des trous parsèment le plafond, et s’approcher de l’arche, dont les portes fermées donnent l’illusion qu’une Torah pourrait s’y trouver. Ils peuvent monter au balcon et admirer les lettres hébraïques encore apposées sur les murs, puis tourner leur regard vers l’énorme graffiti qui occupe un mur entier du deuxième étage. Ils peuvent même jeter un coup d’œil à l’orgue de la synagogue, recouvert d’un tas de poussière, avant de retrouver le soleil de Timișoara et de se promener jusqu’aux parcs municipaux situés le long de la rivière Bega, à un pâté de maisons de là.
Cette visite virtuelle est l’une des huit visites lancées récemment pour donner aux Juifs – et aux non-Juifs – la possibilité de se plonger dans un monde qui n’existe plus : celui des communautés juives non-orthodoxes (néologues) qui se sont développées sous l’empire des Habsbourg dans la partie occidentale de l’actuelle Roumanie.
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Lancé par l’ONG roumaine Pantograf en collaboration avec des communautés locales et des militants juifs, le site web Povestile Sinagogilor, ou « Histoires de synagogues », invite les curieux du passé à une visite virtuelle de huit sites historiques en Roumanie, dont la principale synagogue de Timișoara, qui a été récemment rénovée.
Le site web comprend des entretiens avec les dirigeants juifs actuels de chaque communauté, ainsi que les transcriptions en anglais et en roumain de témoignages oraux recueillis au fil des décennies. Dans ces témoignages, des Juifs nés dans la région racontent la coexistence inter-ethnique d’avant-guerre, les années de persécution fasciste et l’émigration massive, principalement vers Israël, pendant et après le communisme.
« C’est une occasion unique pour les descendants de ces communautés de visualiser enfin ce que leurs grands-parents ont laissé derrière eux », a déclaré Ivan Bloch, mathématicien et entrepreneur en informatique, qui est également président de la communauté juive de Lugoj, dans l’ouest de la Roumanie.
Les progrès du tourisme virtuel ont ouvert de nouvelles frontières pour les personnes intéressées par les sites juifs. Une initiative est en cours pour recréer en ligne les cimetières juifs détruits de Libye et, cet été, le musée d’Israël à Jérusalem a ouvert une exposition qui permet aux visiteurs d’explorer la grande synagogue d’Alep par le biais de la réalité virtuelle. Ces deux initiatives visent à capturer l’expérience d’être juif dans un endroit où aucun Juif ne vit plus aujourd’hui.
La Roumanie, en revanche, a une petite population juive, mais elle est surtout concentrée à Bucarest, la capitale et la plus grande ville du pays.
Les visites virtuelles se concentrent sur une autre partie de la Roumanie, à plus de 480 km à l’ouest, appelée la région du Banat. Auparavant sous domination ottomane, la région a été incorporée en 1716 à l’empire des Habsbourg, auquel elle a appartenu jusqu’à sa dissolution en 1918, lorsque son territoire a été partagé entre la Roumanie, la Serbie et la Hongrie. Les Juifs, vivant dans la partie qui est devenue la Roumanie, parlaient pour la plupart le hongrois et ont prospéré jusqu’à ce que l’antisémitisme n’envahisse la politique du gouvernement roumain, à partir de 1934.
À partir de cette date, les gouvernements roumains successifs ont promulgué une législation de plus en plus agressive privant les Juifs de leurs droits. Entre 280 000 et 380 000 Juifs vivant sous le régime roumain ont ainsi été assassinés pendant la Seconde Guerre mondiale, principalement dans les territoires contrôlés par la Roumanie dans l’Ukraine actuelle. Environ 150 000 Juifs vivant dans le nord de la Transylvanie occupé par les Hongrois ont également été tués. La plupart de ceux qui ont survécu ont, par la suite, quitté le pays.
Selon Bloch, à Lugoj, la troisième plus grande ville de la région roumaine de Banat, la communauté juive comptait autrefois plus de 1 500 personnes, mais elle est aujourd’hui bien inférieure à 100. La synagogue de la ville est en bon état, selon le site web, mais peu de Juifs sont présents pour la voir.
« Ce projet a permis de recréer un lien qui a été rompu en 1950, lorsque la moitié de la communauté a émigré, aux côtes de son rabbin, en Israël », a déclaré Bloch.
En plus d’ouvrir une fenêtre sur l’Histoire pour les Juifs de l’étranger, le nouveau site web vise à éduquer le public local.
« Il s’adresse également aux habitants de ces villes qui passent quotidiennement devant les synagogues et ne savent rien de leur rôle et de celui de leurs communautés juives dans la société roumaine au sens large », a déclaré Raluca-Elena Doroftei, coordinatrice du projet, à la Jewish Telegraphic Agency.
La plupart des synagogues présentées sur le site Web faisaient partie du judaïsme néologue, le courant religieux libéral qui est apparu au 19e siècle en Hongrie et s’est étendu à l’ensemble de l’empire austro-hongrois. La musique jouait un rôle central dans les offices religieux qu’elles organisaient.
« Étant de rite néologue, ils pouvaient chanter et avaient un cantor, un chœur et un orgue », a déclaré Bloch, qui souligne que certains des orgues de ces synagogues « sont encore fonctionnels. »
En 1948, le régime communiste roumain naissant a contraint les communautés juives à s’unifier dans une structure unique.
« Les communistes ont dit aux dirigeants juifs qu’ils voulaient qu’ils aient une seule communauté qu’ils pourraient contrôler. ‘C’est votre problème de savoir comment vous l’organisez en interne' », a déclaré Felicia Waldman, une universitaire dont les études ont porté sur la vie juive d’après-guerre dans sa Roumanie natale. En conséquence, dit-elle, la communauté néologue a disparu « en tant que structure distincte et a été forcée de s’intégrer dans la communauté orthodoxe alors majoritaire ». La même chose s’est produite avec la communauté séfarade, qui est devenue une section de cette même congrégation juive officielle ashkénaze.
« Aujourd’hui, nous continuons à prier et à pratiquer la religion dans un format orthodoxe, conformément au rabbinat et à la Fédération des communautés juives de Roumanie », a déclaré Bloch, le leader juif de la ville de Lugoj.
Dans certains cas, les dirigeants communautaires espèrent que le projet « Histoires de synagogues » pourra générer un soutien financier pour la rénovation de leurs bâtiments historiques. La synagogue de Fabric, par exemple, a été donnée à la compagnie théâtrale locale avec l’assurance que celle-ci paierait pour la rénover ; lorsque la compagnie n’a pas pu réunir les fonds nécessaires, le bâtiment est revenu sous le contrôle de la communauté juive. Aujourd’hui, selon le nouveau site web, la communauté est à nouveau « à la recherche de solutions » pour financer une rénovation.
« Une œuvre architecturale parfaite, une synagogue construite pour durer des centaines d’années, » dit le site web, « est en danger de devenir une ruine ».
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