L’Europe ébranlée par la crise migratoire, la Hongrie en première ligne
Un organe de l'ONU appelle les pays à ne pas refouler les Syriens ; Paris, Rome et Berlin veulent une réforme du droit d'asile

La réouverture de la gare de Budapest jeudi a provoqué une nouvelle ruée de migrants cherchant à se rendre en Europe occidentale, où les appels à une meilleure répartition des réfugiés se multiplient après le choc provoqué par les images d’un enfant mort en mer Egée.
Des centaines de migrants ont pris d’assaut la principale gare de la capitale hongroise quand les autorités ont rouvert ses portes dans la matinée. Toutefois, aucun train international ne quittera la gare de Keleti pendant « une période indéterminée ».
Sur la sellette, le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui se trouve à Bruxelles, a estimé que l’afflux massif de migrants dans son pays « n’est pas un problème européen mais allemand ».
Viktor Orban a été reçu par le président du Parlement européen Martin Schulz et devait rencontrer le président du Conseil Donald Tusk et le président de la Commission Jean-Claude Juncker.
Lors d’un discours jeudi devant les ambassadeurs de l’UE, M. Tusk s’est inquiété de « la division entre l’Est et l’Ouest de l’Union européenne ».
« Certains Etats membres ne pensent qu’à endiguer la vague de migrants, ce qui est symbolisé par la clôture controversée en Hongrie, tandis que d’autres veulent plus de solidarité en défendant (…) ce qu’on appelle les quotas obligatoires » de répartition de réfugiés entre les 28 pays de l’Union, a expliqué le président du Conseil.
« C’est un défi clé que de trouver un dénominateur commun, mais ambitieux », a-t-il plaidé, alors que l’Allemagne n’a pas mâché ses mots contre certains pays d’Europe de l’Est qui refusent d’accueillir des réfugiés par le biais de ce système.
La Commission européenne a reconnu que la Hongrie se trouvait dans une situation « grave et urgente », tout en prenant ses distances avec l’initiative de Budapest d’ériger une clôture à sa frontière avec la Serbie.
‘Naufrage de l’Europe’
L’Europe, où les tensions montent face à l’afflux de dizaines de milliers de réfugiés et de migrants, est sous le choc après la publication des photos du corps sur une plage turque d’un petit garçon mort noyé dans le naufrage de deux embarcations transportant des Syriens.
Les images du corps d’Aylan, tee-shirt rouge et short bleu, face contre terre, sur une des plages de la station balnéaire de Bodrum ont beaucoup circulé sur les réseaux sociaux sous le mot-dièse #KiyiyaVuranInsanlik (« l’humanité échouée » en turc), devenu l’un des plus partagés sur Twitter.

Ces photos étaient aussi à la une de la presse européenne. « Si ces images extraordinairement fortes d’un enfant syrien rejeté sur une plage ne modifient par l’attitude de l’Europe vis-à-vis des réfugiés, qu’est-ce qui le fera ? », s’interroge le quotidien The Independent.
En Italie, le quotidien La Repubblica a tweeté « La photo qui fait taire le monde », et en Espagne, El Pais en faisait le « symbole du drame migratoire », tandis qu’El Periodico titrait sur le « Naufrage de l’Europe ».
A peine débarqués sur les côtes italiennes et grecques, où les arrivées ne tarissent pas, migrants et réfugiés continuent de tenter par tous les moyens de se rendre en Allemagne.
Au seul port athénien du Pirée, près de 4.500 d’entre eux ont mis pied à terre mercredi sur le continent européen, transférés par bateaux spéciaux de Lesbos, en Egée orientale.
Au large des côtes libyennes, ce sont près de 3.000 personnes, dont des centaines de femmes et d’enfants, qui ont été secourues mercredi, selon les garde-côtes italiens et l’ONG Médecins sans frontières.
Selon l’ambassadeur russe à l’ONU Vitali Tchourkine, le Conseil de sécurité étudie la possibilité d’adopter une résolution, un texte « plus limité » que celui prévu initialement, qui, s’il était adopté ne permettrait qu’une intervention navale européenne « en haute mer, et non dans les eaux territoriales » libyennes.
Refonte du droit d’asile
Pour faire face à cet afflux de populations fuyant la guerre, les persécutions et la pauvreté au Moyen-Orient et en Afrique, le Premier ministre britannique David Cameron considère que « le plus important est d’apporter la paix et la stabilité » dans les régions de crise, plutôt que de prendre en charge « de plus en plus de réfugiés ».
Le risque se dessine désormais d’une crispation menaçant la liberté de ciculation dans l’UE, un des principaux succès de la construction européenne.
Pour négocier une sortie de crise, la Commission européenne plaide pour une modification des accords de Dublin, qui règlent en principe la prise en charge des réfugiés dans l’UE, au risque de relancer les divisions récurrentes entre les 28 sur ce chantier, à l’approche d’une réunion européenne le 14 septembre.
La question sera abordée jeudi et vendredi par le numéro deux de l’exécutif européen Frans Timmermans et le commissaire chargé des migrations Dimitris Avramopoulos, en visite en Grèce.

L’Allemagne, la France et l’Italie ont à cet égard réclamé, dans une lettre de leurs chefs de la diplomatie, une refonte du droit d’asile en Europe, qu’ils jugent dépassé, et une meilleure répartition des migrants dans toute l’UE.
Cette lettre, dont l’AFP a obtenu une copie mercredi soir, est adressée à la chef de la diplomatie de l’Union européenne, Federica Mogherini, afin qu’elle soit discutée à Luxembourg vendredi et samedi lors d’une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’UE.
Elle est accompagnée d’un document dressant la liste de propositions en vue de trouver une issue à une crise qui place l’Europe face à un « test historique », selon une source diplomatique.
Un organe de l’ONU appelle les pays à ne pas refouler les Syriens
La commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie a dénoncé jeudi l’échec de la communauté internationale à protéger les réfugiés syriens et appelé à ne pas refouler ceux d’entre eux qui affluent en Europe.
Dans son dernier rapport publié jeudi, la commission note que l’afflux de réfugiés a provoqué par le passé des tensions dans les pays voisins de la Syrie –notamment la Jordanie, le Liban et la Turquie– mais que « l’échec à protéger les réfugiés syriens se transforme aujourd’hui en crise dans le sud de l’Europe ».
Les quatre membres de la commission d’enquête de l’ONU sur les violations des droits de l’Homme en Syrie, qui sont mandatés par le Conseil des droits de l’Homme, n’ont jamais eu le feu vert de Damas pour entrer en Syrie mais ils ont recueilli des milliers de témoignages de victimes, de documents et de photos satellites.
La commission demande aux pays de respecter le « principe de non-refoulement », conformément à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, dite Convention de Genève, et de ne pas expulser les Syriens puisqu’ils ont le droit d’être reconnus comme réfugiés selon l’ONU.
Le conflit en Syrie, déclenché par la répression brutale de manifestations pacifiques dégénérant en conflit armé, a fait plus 240.000 morts. Plus de 4 millions de Syriens ont fui leur pays, qui compte au moins 7,6 millions de déplacés sur son territoire.
Une grande majorité des réfugiés syriens se trouvent toujours dans les pays de la région, mais ils sont de plus en plus nombreux ces derniers mois à venir en Europe, à leurs risques et périls, grâce à des réseaux de passeurs. Quelque 90 000 syriens sont ainsi arrivés en Grèce entre janvier et juillet, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Mais ce périple n’est pas sans danger. Plus de 2 000 Syriens ont péri en mer depuis le début du conflit en mars 2011, selon le rapport des enquêteurs de l’ONU.
La commission demande aux pays d’accueil de « créer davantage de moyens légaux » pour garantir une meilleure protection des réfugiés syriens, à travers notamment la pratique des réunifications familiales, une politique d’attribution des visas plus flexible et une meilleure répartition des demandeurs d’asile.
« Il est impératif d’avoir une véritable coopération internationale et un véritable partage du fardeau pour répondre à la crise humanitaire », écrivent les enquêteurs de l’ONU.