Libération des otages, des terroristes et retour des Gazaouis : le sud d’Israël inquiet mais résilient
Avec le cessez-le-feu, les habitants de l'ouest du Neguev craignent pour leur sécurité mais refusent de partir. "Je ne ferai pas cette joie au Hamas", dit un habitant de Netiv Haasara

La libération, ces derniers jours, d’Israéliens séquestrés à Gaza fait vivre au pays des émotions difficiles, entre retour des otages détenus par le Hamas et d’autres groupes terroristes et l’horreur des réjouissances bruyantes des foules gazaouies qui accueillent leurs prisonniers remis en liberté.
Une fois les otages de retour, la peur et l’appréhension cèdent la place à une joie mêlée de larmes face à ceux que l’on a laissés à une captivité traumatisante pendant si longtemps.
Ces scènes sont le revers d’une médaille avec plusieurs facettes, dont la principale est la libération de prisonniers palestiniens, et parmi eux, de terroristes récidivistes qui ont fait couler beaucoup de sang, sans oublier le retour chez eux de centaines de milliers de Palestiniens dans le nord de Gaza, conformément à l’accord de cessez-le-feu signé par Israël avec le Hamas.
Cette réalité complexe est d’une acuité particulièrement forte pour les habitants de la région occidentale du Neguev, connue sous le nom d’enveloppe de Gaza, mélange de kibboutzim, moshavim, villes et petites communautés qui ont subi le gros du pogrom perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023.
En ce jeudi matin, la beauté pastorale et la tranquillité du moshav Netiv Haasara semble très éloignée des scènes impressionnantes qui, à Jabaliya et Khan Younès, ont émaillé la libération de trois otages israéliens et cinq otages thaïlandais.
Des bougainvilliers tour à tour d’un rose intense et d’un orange pastel avalent les murs blancs et les accotements verts du moshav tandis que les branches des citronniers ploient sous le poids de leurs fruits jaune vif, le tout sous un ciel bleu qui fait de Netiv Haasara un endroit idyllique à la campagne.

Jabaliya, où les dirigeants du Hamas sont manifestement revenus, se trouve à quelques minutes du charme rural de Netiv Haasara et du domicile de l’une de ses fondatrices, Moira Dror, dont la maison se situe à quelques dizaines de mètres seulement de la frontière avec Gaza.
Le 7 octobre, des terroristes du Hamas avaient franchi la frontière nord de Gaza et s’étaient introduits dans le moshav, allant de maison en maison, pour assassiner 20 personnes au total au sein de la communauté. Dror et son mari Gil se sont cachés dans leur pièce sécurisée pendant dix heures avant de prendre la fuite à bord de leur voiture.
Dror regardait la télévision, jeudi matin, lorsqu’elle a vu avec horreur le Hamas faire monter sur une estrade Agam Berger, dernière soldate israélienne aux mains du groupe terroriste, devant une foule gazaouie, escortée par des terroristes armés et masqués, au beau milieu des ruines de Jabaliya.
Malgré le dégoût que lui inspire le traitement des otages israéliens par le Hamas – qu’elle exprime avec véhémence – et son inquiétude face aux concessions faites par Israël au groupe terroriste, Dror est certaine que l’accord de cessez-le-feu et de libération des otages était la chose à faire.
« Nous voulons que les otages reviennent, quel qu’en soit le prix », assure-t-elle en ajoutant avec conviction que le gouvernement doit appliquer la deuxième phase de l’accord pour garantir le retour de tous les otages.
« C’est la seule façon pour le pays de revenir à sa vie normale, ou ce qui s’en rapproche le plus. »
Pour autant, elle ne se fait aucune illusion sur le prix à payer par Israël pour la libération des otages, ni sur la réalité à Gaza, ce malgré la « victoire totale » promise par les autorités israéliennes suite au pogrom du 7 octobre.
« De toute évidence, le Hamas est à nouveau au pouvoir à Gaza ; en fait, ils ne l’ont jamais quitté. Est-ce une victoire ? Pour moi, non », dit-elle calmement.

Netanel Sarrusi, un habitant religieux de la ville voisine de Sderot qui aide les autorités locales à remettre la ville en état suite aux attaques dévastatrices du Hamas, est lui aussi dépité par la réalité de la gouvernance de Gaza.
Tout comme Dror, Sarussi s’est caché, avec sa femme et ses quatre enfants, à l’intérieur de leur pièce sécurisée pendant de nombreuses heures, le 7 octobre, cernés par les coups de feu et les explosions, jusqu’à ce qu’ils estiment possible de prendre la fuite.
Le Hamas a massacré une cinquantaine de civils à Sderot, le 7 octobre, sans oublier la vingtaine de policiers tués en luttant pour empêcher les terroristes de prendre le contrôle de la ville.
Du point de vue de Sarrusi, les scènes que l’on a pu voir, jeudi, au moment de la libération des otages, c’est « l’honneur du peuple d’Israël qui est foulé aux pieds ».
Il ajoute que l’image du Hamas, bien présent à la tête de Jabaliya, et le retour de près de 350 000 Gazaouis dans le nord de Gaza, ces derniers jours – conformément à un engagement d’Israël dans le cadre de l’accord de libération d’otages – sont le signe évident que « le travail n’est pas terminé et que la victoire promise n’est pas là ».
« Nous avons vu aujourd’hui qu’ils ont failli lyncher [les otages] Gadi Mozes et Arbel Yehoud. Nous les avons vus, tous ces innocents supposément non impliqués. Nous avons vu aussi, le 7 octobre, ces gens venus piller, et se réjouir du meurtre et du viol des filles, se réjouir des enlèvements », ajoute-t-il.
Ces derniers jours, « le fait de voir les Gazaouis en train de revenir dans le nord de Gaza est, pour nous, très difficile », poursuit-il.

Sarrusi explique que le dépeuplement du nord de Gaza et l’éloignement de la population de Gaza du Neguev occidental, durant la guerre, avaient apporté un sentiment de calme aux habitants de Sderot. Mais maintenant, « soudainement, ces mêmes personnes complices du octobre, avec ou sans armes, sont de retour ».
Pour Sarussi, la situation est inacceptable et, d’après lui, la sécurité de la région, et celle d’Israël en particulier, passe par une poursuite de la guerre et le retour de l’armée israélienne dans le nord de Gaza, de façon permanente, afin de défendre les communautés frontalières.
« Les habitants d’ici sont très inquiets du retour des Gazaouis, je vous le dis. Ils libèrent des meurtriers. C’est une aubaine incroyable pour le terrorisme. Nous sommes revenus aux conditions du 7 octobre. »
Conscient que la poursuite de la guerre aurait aurait pour effet d’empêcher la libération de certains otages, Sarrusi dit qu’Israël devra faire preuve de tactique au moment de la reprise des combats « jusqu’à ce qu’ils rampent à nos pieds et nous supplient ‘Reprenez vos otages et laissez-nous tranquilles’ ».
Cela impliquerait « de les priver d’électricité, d’eau et de nourriture, et de les bombarder sans interruption », dit-il sans détour.

A quelques kilomètres au sud, Eric Isaacson, qui vit depuis longtemps dans le kibboutz religieux Alumim est, tout comme Sarussi, très inquiet des conséquences de l’accord avec le Hamas, même s’il s’abstient de proposer des solutions aussi extrêmes que celles de l’habitant de Sderot.
Le 7 octobre, plusieurs dizaines de terroristes de la Nukhba, l’unité commando « d’élite » du Hamas, se sont introduits dans le kibboutz pour y massacrer chez eux 22 ressortissants étrangers employés par Alumim, en blesser neuf et prendre deux personnes en otages.
L’équipe de sécurité du kibboutz est parvenue à repousser les terroristes, qui n’ont de ce fait jamais pu entrer dans le quartier résidentiel d’Alumim ou assassiner des membres du kibboutz.
Les terroristes ont malgré tout occasionné de terribles dégâts aux infrastructures agricoles d’Alumim, détruit sa ferme laitière, incendié serres, granges et poulaillers – avec à l’intérieur des centaines de milliers de poulets – et en détruisant les stocks d’aliments pour le bétail, les machines d’alimentation, les silos et autres installations agricoles.
« Ce qu’ils avaient prévu, le mal qu’ils voulaient faire, est difficile à imaginer pour ceux qui ne vivent pas là et qui n’ont pas vu l’ampleur des destructions », confie Isaacson, qui précise s’exprimer à titre personnel et non au nom du kibboutz.
« Ils avaient une soif de sang difficile à imaginer. Le reflet de la nature primitive et répugnante de ces gens. »

Malgré la longueur des combats, Isaacson craint que le Hamas n’ait pas été vaincu et que les concessions faites par Israël pour conclure l’accord de cessez-le-feu avec le groupe terroriste – à savoir la libération de centaines de terroristes condamnés – coûte très cher au pays, à l’avenir, comme d’autres accords l’ont fait par le passé.
« Combien de terroristes ont été remis en liberté contre Gilad Shalit ? » interroge Isaacson en revenant à l’accord de 2011 en vertu duquel plus d’un millier de prisonniers palestiniens de sécurité ont été libérés contre la libération du soldat de Tsahal, à commencer par le chef du Hamas assassiné Yahya Sinwar, cerveau des attaques du 7 octobre.
« Nous refaisons exactement la même chose. Nous laissons sortir d’autres Sinwars. Des gens qui ont assassiné de la manière la plus horrible qui soit, des gens pleins de haine. Nous en avons donné mille pour récupérer Shalit. Quels enseignements en ont-ils tirés ? Que la prochaine fois, ils en enlèveront 250. »
Malgré sa consternation face à ces libérations massives de terroristes palestiniens, Isaacson ne voit aucune alternative pour obtenir la libération des otages israéliens. Il dit que le gouvernement est plus que jamais redevable de la sécurité des communautés frontalières de Gaza.
Isaacson ne croit absolument pas que les coups portés par le Hamas soient de nature à le faire changer de façon de faire, à long terme. Il a repris les propos de dirigeants du Hamas expliquant l’engagement de l’organisation à combattre Israël et commettre d’autres atrocités du type du 7 octobre.
« Nous avons gagné du temps, rien de plus. Les Gazaouis ne disent pas que le Hamas a tort ; rien n’a changé dans leur comportement. A nous de changer le nôtre et de tirer les enseignements de nos erreurs. »
En outre, il ne se sent pas en sécurité. « Je ne me sens pas en sécurité, comment pourrait-il en être autrement ? Je repars du précédent de l’accord Gilad Shalit, et je vois que nous venons de libérer des centaines de meurtriers qui nous détestent plus que tout. »

Isaacson reconnait avec un brin de lassitude qu’il n’existe pas de solutions faciles à cette situation, que « génération après génération », les Palestiniens apprennent à haïr les Juifs, et que seule une « rééducation », sur deux générations au moins, pourra inverser la donne.
Cela ne pourra se produire qu’en changeant la gouvernance de Gaza, dit-il, mais il ignore comment cela pourrait se produire, notamment en raison des réalités du terrain depuis l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu.
Malgré les fortes craintes de nombre d’habitants de la région du Neguev occidental face à l’accord de cessez-le-feu et à tout ce qu’il implique, tous les témoins de cet article dégagent un sentiment de résilience, de détermination et de défi face à une dure réalité, si proche de chez eux.
Sarrusi parle avec enthousiasme du « dynamisme démographique » de Sderot, qui, d’après lui, a non seulement retrouvé son niveau de population d’avant le 7 octobre, mais l’a dépassé, ce qu’il qualifie de véritable « miracle ». C’est pour lui comparable à la prospérité d’Isaac dans cette même région, il y a de cela des milliers d’années.
« On a de nouveaux quartiers et une forte activité au niveau de la culture, de l’éducation et de plein d’autres choses, un fort développement », dit-il avec animation.
Dror, elle, est catégorique : elle ne quittera jamais sa maison de Netiv Haasara, quels que soient les risques, dont elle a bien conscience, et en dépit de sa très grande proximité avec Gaza, qu’elle voit aisément depuis chez elle.
Dror et son mari sont revenus à Netiv Haeasara six mois seulement après le pogrom du Hamas, en même temps que deux autres habitants de ce qui était à l’époque un moshav totalement désert. Ils ont refusé de bénéficier d’un logement payé par les autorités à Ashkelon.
« Ce n’était pas ma maison. J’ai besoin de ma maison, de l’odeur de ma maison. C’est ici, dans ma maison, et nulle part ailleurs, que je puise ma résilience », assure-t-elle avec ferveur.
Dror refuse de mettre des barreaux à ses fenêtres ou de construire un mur d’enceinte, comme l’ont fait un certains habitants de Netiv Haasara : elle dit faire confiance à l’armée pour la protéger. Si elle se sentait un jour obligée de fortifier sa maison, alors elle partirait, dit-elle.
« Cette terre est une partie de l’État d’Israël : je n’en partirai pas. Les gens ne font pas leurs valises lorsqu’il y a des attaques terroristes à Jérusalem ou à Tel Aviv », explique-t-elle. « Je ne ferai pas cette joie au Hamas. »
Isaacson est du même avis.
« Je ne cèderai pas face au mal. J’ai des valeurs morales. On ne peut pas reculer devant le mal. J’ai donné 58 ans de ma vie pour contribuer à créer ce pays. J’ai été agriculteur pendant 28 ans. C’est ma terre », affirme-t-il en reprenant la même référence biblique que Sarussi sur le bonheur d’Isaac dans la région.
« C’était il y a 4 000 ans. Je vis sur cette terre. Comment pourrais-je ne serait-ce qu’envisager d’y renoncer ? Contre quoi le ferais-je ? »
« Que se passera-t-il si l’on s’enfuit ? On nous poursuit. Que se passe-t-il si l’on reste et que l’on se bat ? On a une chance ! »
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