Lituanie : fermeture de l’unique synagogue de Vilnius après des menaces
Dans un contexte de controverse sur les politiques nationales de commémorations, les dirigeants juifs ont évoqué des inquiétudes sur leur sécurité
La communauté juive lituanienne a annoncé mardi la fermeture de son siège et de l’unique synagogue de Vilnius en raison de menaces après un débat sur le rôle des Lituaniens dans la Shoah.
« La communauté juive lituanienne a reçu des appels téléphoniques et des lettres de menaces ces derniers jours », a déclaré la communauté dans un communiqué.
Cette décision est intervenue après celle des autorités de Vilnius de ne plus honorer des officiers lituaniens, Kazys Skirpa et Jonas Noreika, en raison de leur participation présumée à l’extermination de Juifs, – décision qui a provoqué un tollé général.
Les deux hommes qui ont combattu les Soviets après la Seconde Guerre mondiale, sont considérés comme des héros nationaux, mais ils ont également été impliqués dans une série de mesures anti-juives. Historiens juifs et activistes avaient salué la décision de la mairie mais les nationalistes lituaniens avaient appelé à des manifestations dans tout le pays.
Faina Kukliansky, chef de la communauté juive, a déclaré dans un communiqué que la synagogue et le centre juif seraient fermés après que la communauté a reçu des appels et des lettres menaçants.
« Dans cette atmosphère de tension croissante et d’incitation à plus de tensions, ni la communauté ni la synagogue de Vilnius n’ont les moyens d’assurer la sécurité des visiteurs, y compris des survivants de l’Holocauste et de leurs familles. »
Pour garantir la sécurité de ses membres et de ses fidèles, la communauté « a été contrainte de prendre une décision difficile mais inévitable, de fermer la décision de fermer le siège de la synagogue et la synagogue chorale à Vilnius, pour une durée indéterminée. »
Elle a également demandé à ce que la sécurité du cimetière juif de la capitale soit renforcée, de peur qu’il ne soit vandalisé dans ce contexte de tensions.
Kukliansky a déclaré qu’aucune réaction officielle n’a été communiquée dans cette « discorde » et qu’elle déciderait de la réouverture de la synagogue et du centre juif « au regarde de l’atmosphère générale et des positions adoptées et exprimées par les dirigeants politiques lituaniens sur ces questions ».
« Nous voudrions entendre les opinions des chefs de la Lituanie et entendre une position ferme sur la façon dont la propagande publique honorant des auteurs de la Shoah sera tolérée en Lituanie », a-t-elle dit.
Contacté par le Times of Israël, le rabbin Sholom Krinsky, guide spirituel de la synagogue chorale, a refusé de commenter ces décisions.
La communauté, qui compte environ 3 000 personnes dans un pays de
2,8 millions d’habitants, a également demandé aux autorités de renforcer la protection du cimetière juif, situé à 20 km de Vilnius.
Les Juifs lituaniens disent se sentir globalement en sécurité, mais certains ont fait part de leur malaise face aux politiques du gouvernement sur les hommages, notamment les rues et les monuments baptisés en l’honneur de partisans anti-soviets, qui sont considérés comme des héros nationaux, amis qui avaient également collaboré avec les nazis.
Après une campagne d’un an, le 24 juillet, le conseil municipal de Vilnius a décidé de débaptiser une rue du centre portant le nom de Skirpa, diplomate et officier lituanien du XXe siècle, en raison de ses opinions ouvertement antisémites.
Le 27 juillet, à l’initiative du maire de Vilnius, Remigijus Simasius, une plaque commémorant Jonas Noreika a été retirée d’une bibliothèque du centre-ville.
Selon le maire, cette mesure a été prise compte tenu du fait que M. Noreika avait approuvé la décision de l’administration nazie de créer un ghetto juif et de saisir les biens juifs.
Ces mesures ont été saluées par la communauté juive, mais critiquées par les forces nationalistes du pays, et principalement par l’Union de la patrie – Chrétiens-démocrates lituaniens, un parti de centre droite.
Les critiques assurent que ni Noreika ni Skirpa n’ont collaboré avec le régime nazi et qu’ils étaient des combattants pour l’indépendance lituanienne.
Les deux mesures ont en revanche été saluées par la communauté juive lituanienne.
Le Premier ministre Saulius Skvernelis a appelé mardi les forces de l’ordre à « prendre des mesures immédiates pour prévenir d’éventuelles manifestations de haine ethnique ».
« J’ai honte que [le maire de Vilnius] soit incapable de discerner oppresseurs et collaborateurs, ceux qui ont, de leur plein gré, remis la liberté de notre nation aux communistes, de ceux qui, dans des conditions très complexes, ont cherché à rendre à notre pays son indépendance et qui ont toujours été du côté de notre pays », a déclaré le député Laurynas Kasčiūnas sur Facebook.
Dans son communiqué, Kukliansky a dénoncé le « désir continu et public d’un parti politique de reconnaître les auteurs d’une tuerie de masse des Juifs de Lituanie comme héros nationaux ».
Le gouvernement de Vilnius ignore les propos antisémites tenus pas les dirigeants politiques, a-t-elle accusé, « ce qui soulève des inquiétudes sur notre sécurité ».
La semaine, le président lituanien Gitanas Nauseda est intervenu dans le débat sur la façon dont le pays entretient la mémoire des partisans anti-soviets, qui ont également commis des crimes pendant la Shoah. Dans un communiqué publié sur son site, Nauseda a expliqué que les politiciens ne devraient pas décider qui est un héros et qui est un anti-héros.
Il a invité les historiens et les experts en sciences politiques et en patrimoine culturel, « à se rassembler pour discuter d’une base pour formuler des principes et une régulation d’une politique commémorative nationale ».
Il a exhorté le public à honorer un « moratoire » sur les débats historiques controversés jusqu’à l’établissement de ces principes.
Gabrielius Landsbergis, président de l’Union de la patrie, qui s’était opposé au retrait de la plage honorant Noreika, a salué le communiqué de Nauseda.
La communauté juive, pour sa part, l’a décrite comme un « appel à maintenir le statu quo des 70 dernières années ».