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L’UEJF accuse le directeur de l’IRIS de banaliser l’assassinat d’Ilan Halimi

Le chercheur Pascal Boniface est accusé d'avoir "relativisé le mobile antisémite des assassins d'Ilan Halimi en mettant en avant la théorie du ‘deux poids deux mesures’"

Pascal Boniface, en 2015. (Crédit : CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons)
Pascal Boniface, en 2015. (Crédit : CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons)

Dans un récent courrier de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), Pascal Boniface, géopolitologue français, directeur et fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS ; association loi de 1901), a fait l’objet de critiques et d’accusations de « banalisation de l’assassinat antisémite d’Ilan Halimi » – l’objet de la lettre.

Cette dernière était destinée à plusieurs membres du conseil d’administration de l’IRIS. Elle revenait sur des écrits de Pascal Boniface publiés en 2014 et repris sur le site de l’IRIS.

« Au vu de certaines publications que nous avons découvertes sur le site Internet de l’IRIS, il semblerait que cet institut manque désormais à sa vocation », démarrait la missive.

« C’est ainsi que la thèse du Directeur de l’IRIS, Monsieur Pascal Boniface, relative à l’assassinat antisémite d’Ilan Halimi dont vous venons de commémorer le 14ème anniversaire de la mort est toujours relayée sur le site de l’Institut. Une thèse qu’il avait développée dans le chapitre 9 de son livre La France malade du conflit israélo-palestinien intitulé ‘L’affaire Halimi, antisémitisme et barbarie’ (Editions Salvator – février 2014).
Il s’agissait alors de relativiser le mobile antisémite des assassins d’Ilan Halimi en mettant en avant la théorie du ‘deux poids deux mesures’, suggérant que les Juifs bénéficieraient d’un traitement de faveur par rapport aux autres concitoyens français. Ainsi, sur le site de l’Institut que vous administrez dans la rubrique ‘Point de vue de Pascal Boniface’ en date du 11 juillet 2014, vous pourrez retrouver ces quelques lignes : ‘En février 2006, peut-on y lire, un jeune Juif, Ilan Halimi, est torturé et assassiné. Cet événement choquant devient une cause célèbre dans les médias… A peu près au même moment un ouvrier de l’automobile a été assassiné pour de l’argent (comme le fut Halimi). Ce dernier meurtre n’a fait l’objet que de quelques lignes dans la presse.’ »

La lettre était signée par Noemie Madar, présidente de l’Union des étudiants Juifs de France ; Céline Masson, professeure des universités ; Isabelle de Mecquenem, professeure agrégée en INSPE ; Martine Benoit, professeure des universités ; Laurent Loty, chercheur au CNRS ; Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS ; Danielle Delmaire, ancienne professeure des universités ; Patricia Cotti, maître de conférences ; Jean-Jacques Rassial, professeur des universités ; Andrée Leroussean, maître de conférences ; Joëlle Allouche Benayoun, chercheuse associée au CNRS ; Laetitia Petit, maître de conférences ; et Claude Cazalé, professeure émérite.

Ils poursuivaient : « Pour étayer sa thèse, M. Boniface a comparé dans l’ouvrage précité, l’assassinat d’Ilan Halimi à de malheureux faits divers survenus depuis. En conclusion de son chapitre ‘L’affaire Halimi, antisémitisme et barbarie’, il surenchérit en ajoutant ces lignes
terribles : ‘Une grande partie de la communauté juive est convaincue que la dimension antisémite du meurtre d’Ilan Halimi n’a pas été assez évoquée, quand une grande partie de l’opinion pense que cette affaire a été surexposée médiatiquement de par sa dimension antisémite et de nombreux parents se demandent : ‘En aurait-on parlé si la victime avait été mon fils ?’ ».

Ilan Halimi, enlevé et assassiné en 2006. (Crédit : autorisation de Stephanie Yin/JTA)

Les signataires estimaient ainsi que « l’idéologie ici développée associe sans vergogne la banalisation d’un assassinat antisémite pourtant reconnu par la justice de notre pays à l’accusation de ‘surexposition médiatique’ des crimes commis contre les citoyens juifs ».

Ils demandaient ainsi aux administrateurs « d’empêcher que de tels propos habituellement colportés par la fachosphère puissent y être relayés impunément. Et de faire en sorte que Pascal Boniface ne reste pas un relai d’opinion qui considère les Juifs dans leur ensemble comme une puissance d’influence et victimise à outrance ceux qui s’en font les détracteurs ; il en va des fondamentaux de la République ».

Ils les appelaient également à se « démarquer solennellement de Monsieur Pascal Boniface, soit en prenant officiellement [leurs] distances avec ses thèses criminogènes et en exigeant qu’il cesse sans délai de les diffuser, soit en démissionnant de [leurs] fonctions statutaires d’administrateur de l’IRIS ».

Pascal Boniface est depuis revenu sur la lettre et s’est justifié de ses écrits dans une vidéo et un texte intitulés « L’UEJF à l’assaut de l’IRIS ».

Dans son article, il s’interroge : « Pourquoi cette indignation à retardement ? Quelles en sont les motivations réelles ? »

Il explique n’avoir jamais nié « la dimension antisémite de l’assassinat d’Ilan Halimi. Je le place dans un contexte global de barbarie, comme l’avaient fait à l’époque de nombreuses personnes que je cite, dont le médiateur du Monde et Théo Klein. Aucun d’entre eux n’a fait l’objet, à l’époque ou aujourd’hui, de la vindicte de l’UEJF ».

« La thèse centrale de mon livre était de déplorer l’importation du conflit israélo-palestinien en France, notamment en criminalisant la critique politique du gouvernement israélien en l’assimilant à de l’antisémitisme », explique-t-il. « Je reprochais également à certaines instances communautaires de faire de l’appréciation de la politique du gouvernement israélien un élément majeur de clivage entre les Français. Je soulignais que la lutte contre l’antisémitisme était pour certains conditionnée par la non-critique du gouvernement israélien, car on refusait le concours, dans la nécessaire lutte contre l’antisémitisme, de ceux qui émettaient des critiques à l’égard de ce dernier. »

« Nul n’est dupe et chacun comprend que ce sont mes positions critiques à l’égard du gouvernement israélien qui sont ici en cause », ajoute-t-il. « Et tout en condamnant l’importation de ce conflit en France, l’UEJF y participe largement. »

Le chercheur regrette ensuite les méthodes de l’UEJF : « Cette association me reproche de considérer les juifs comme une puissance d’influence. Mais que fait-elle en demandant aux membres du conseil d’administration de l’IRIS de démissionner, en les menaçant à défaut de réponse de publier la lettre espérant ainsi leur faire peur et les amener à s’y résoudre ? Quelles sont ces méthodes consistant à ne pas s’adresser directement à celui auquel les responsables de l’UEJF ont d’éventuels reproches à formuler, mais plutôt à utiliser dans son dos menaces et chantage ? »

Frederic Haziza, le 14 mai 2013, sur LCP. (Crédit : AFP/MARTIN BUREAU)

Pour le site La Règle du Jeu, le journaliste Frédéric Haziza a ensuite accusé Pascal Boniface de « mensonges, perversité, calomnies et menaces » – des méthodes qu’il utiliserait « depuis des années ».

« Il a ainsi suffi que l’UEJF dénonce le fait que le site de l’IRIS relaye encore aujourd’hui sa thèse complotiste relative à l’assassinat antisémite d’Ilan Halimi pour que, une fois de plus, Boniface s’abrite derrière le conflit israélo-palestinien », écrit-il.

« En dépit des cris d’orfraie de Boniface, il est tout à fait légitime que l’UEJF et d’autres s’interrogent sur le fait que 14 ans après l’assassinat de ce jeune Juif tué parce que né Juif, le site de l’IRIS relaye une thèse aussi peu républicaine », poursuit-il. « Une thèse mêlant en un cocktail explosif la banalisation d’un assassinat antisémite pourtant définitivement jugé comme tel et l’accusation de ‘surexposition médiatique’ des crimes commis contre les seuls Juifs. »

Frédéric Haziza juge ensuite « légitime de s’interroger, comme l’a fait le grand rabbin de France Haïm Korsia au ‘Forum Radio J’ (11 mars) sur la pertinence que l’Etat continue à subventionner un Institut relayant une telle thèse via son site Internet » – selon son rapport d’activité publié en ligne, « les subventions publiques versées s’élevaient, en 2018, à 950 188 euros sur un chiffre d’affaires total de 3 813 837 euros, représentant
24,91 % des ressources de l’IRIS ».

Le journaliste regrette qu’il a « suffi [qu’il] fasse état sur [son] compte Twitter de cette déclaration du grand rabbin Korsia pour que Boniface se livre à des attaques injurieuses et diffamatoires contre [lui]. Avec comme effet collatéral, une multitude de tweets antisémites dirigés contre le grand rabbin Korsia, l’UEJF, la Licra et [lui]-même ».

Il conclut en jugeant « insupportable, comme il est certainement insupportable à la mère et aux sœurs d’Ilan Halimi, qu’un certain nombre d’élus de la République, de dirigeants d’entreprises ou de membres de la société civile cautionnent de facto, par leur statut d’administrateur de l’Iris, de telles dérives ».

Les prises de positions de Pascal Boniface lui ont souvent valu d’être au cœur de polémiques, notamment sur le conflit israélo-palestinien, et d’accusations d’antisémitisme.

En 2018, à son arrivée à l’aéroport Ben Gurion de Tel Aviv – il avait été convié par le consulat français à Jérusalem pour y donner plusieurs conférences –, le chercheur avait été la cible de vives insultes et de bousculades dans le hall des arrivées. En proie à des propos injurieux, il s’était interrogé sur l’absence de personnel de sécurité.

« Ces personnes qui m’ont pris vivement à partie pensent que je suis antisémite parce qu’il m’arrive de critiquer le gouvernement israélien », avait-il réagi. « Il y a donc une confusion qui est gravissime entre la critique d’un gouvernement et la haine d’un peuple. » L’écrivain avait conclu que « la confusion est malheureusement entretenue par beaucoup d’intellectuels et de responsables politiques ».

Outre son poste d’universitaire, Pascal Boniface a été l’ancien conseiller de Jean-Pierre Chevènement – ancien ministre, député, maire de Belfort et sénateur.

En 2001, alors au poste de délégué national pour les questions stratégiques au Parti socialiste, Pascal Boniface avait suscité une vive polémique au sein de la communauté juive de France en comparant Ariel Sharon, Premier ministre israélien entre 2001 et 2006, à Jörg Haider, président du parti d’extrême droite FPÖ en Autriche, fondé par d’anciens nazis et actuellement au pouvoir dans la coalition du chancelier Sebastian Kurz.

Il avait écrit dans une note interne « confidentielle », à l’intention de François Hollande, alors secrétaire du Parti socialiste, duquel était membre Boniface avant de le quitter deux ans plus tard en raison de son « alignement excessif sur les positions pro-israéliennes de la communauté juive ». Dominique Strauss Kahn l’aurait publiquement critiqué.

Le philosophe français Bernard-Henri Lévy a participé à la campagne #WeRemember du Congrès mondial Juif. (Autorisation : Congrès mondial juif)

En 2014, sur Radio J, l’auteur du néologisme « bonifascisme », Bernard Henri-Lévy, avait assimilé Pascal Boniface à l’islamologue Tariq Ramadan ou encore au polémiste Dieudonné, affirmant qu’ils « composent une espèce de nébuleuse idéologique ». Les deux hommes se sont très souvent livrés à des joutes verbales par médias interposés.

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