Malgré la répression au Myanmar, une petite communauté juive s’accroche au passé
Sammy Samuels, le leader de facto des Juifs de l'Asie du Sud-Est, a de l'espoir pour l'avenir - mais la lourde politique du pays met en péril toute croissance

YANGON, Myanmar (JTA) – Il y a eu une fête de Hanoukka le mois dernier dans cette capitale et suffisamment d’invités – plus de 200 – pour surprendre un touriste de passage.
« Il n’y a plus de Juifs ici », s’est exclamé le touriste, étonné par la célébration de la fête au Regal Chatrium Hotel de Yangon.
« Si, il y en a », a répondu Ari Solomon, un invité australien.
« Non, on dit qu’il reste 10 familles », rétorque le touriste.
« Eh bien, ce n’est pas rien, ce sont 10 familles », répond Solomon. « C’est beaucoup. Retournez dans ma ville natale, Calcutta, et vous aurez de la chance d’y trouver 16 Juifs et encore moins 10 familles. »
En effet, la communauté juive du Myanmar s’est réduite à environ 20 personnes. La plupart des Juifs avaient fui lorsque le Japon a envahi le pays pendant la Seconde Guerre mondiale, car la puissance de l’Axe se méfiait d’eux pour leur alignement politique supposé avec les Anglais. La majorité qui était restée sur place est partie au milieu des années 1960, lorsque le nouveau régime a nationalisé les entreprises dans le cadre d’un programme socialiste qui allait bientôt faire couler le pays.
Pourtant, Sammy Samuels, 38 ans, le leader de facto de la communauté juive de cette nation d’Asie du Sud-Est, a gardé espoir pour son avenir, sinon pour un renouveau. Ces dernières années, son père, Moïse, avait fait vivre la communauté, ouvrant la porte tous les jours de l’unique synagogue de Yangon, dans l’espoir d’accueillir les touristes.

Après la mort de son père en 2015, Samuels a pris la relève et s’est tourné vers les réseaux sociaux et le tourisme pour maintenir la communauté en vie. Mais la politique impitoyable du Myanmar – en particulier le crime perpétré par son armée contre les musulmans rohingyas – entraîne une baisse du tourisme et met ces acquis en péril.
« [Tout le monde] pense que nous sommes une petite communauté [et qu’il n’y a] rien qui se passe », a dit M. Samuels lors de la célébration de Hanoukka le 7 décembre. « Mais nous organisons ce genre d’événement, les gens du gouvernement viennent – l’ambassade, les amis et la famille aussi ».
La communauté juive locale a connu une croissance rapide entre le milieu du XIXe siècle et 1942. À son apogée, 3 000 Juifs vivaient au Myanmar, alors qu’il était encore connu sous le nom de Birmanie. Certains ont accédé au pouvoir local, comme David Sofaer, qui, dans les années 1930, a été maire de Yangon, alors connu sous le nom de Rangoon. À l’époque, le Myanmar faisait encore partie de l’Empire britannique.
Les restaurants, pharmacies et écoles juives jalonnaient autrefois les rues de la ville. Alors que ces commerces ont disparu, les Étoiles de David ornent encore certains bâtiments de Yangon : une école à près de 40 minutes du centre-ville ; un magasin de soins de la peau au cœur du centre-ville ; un magasin de peinture en face de la synagogue.

Dans les années 1920, le célèbre écrivain britannique George Orwell, alors policier colonial en Birmanie, a constaté la présence juive, quoique cyniquement, dans ce pays. Il condamna les activités britanniques dans le pays comme étant « un moyen de donner des monopoles commerciaux aux Anglais – ou plutôt à des bandes de Juifs et d’Ecossais ».
« Mon arrière-grand-père est arrivé à Rangoon vers le milieu du XIXe siècle, raconte Samuels à JTA dans une interview. Une communauté juive – les « gangs » d’Orwell – commença bientôt à s’épanouir, dont beaucoup, comme la famille Samuels, venaient de Bagdad, en Irak, en quête de prospérité économique.

Aujourd’hui, la synagogue Musmeah Yeshua du 19e siècle de Yangon se retrouve bien seule dans ce pays de pagodes dorées et ne fait l’objet d’aucune surveillance dans le principal quartier musulman de la ville.
« Les gens [ici] ne connaissent pas le mot « antisémitisme », explique Samuels, dont le nom birman est Aung Soe Lwin. « Dieu merci, il n’y a pas de tel mot ici. »
Les propriétaires des magasins qui entourent la synagogue – pour la plupart des hommes qui portent le traditionnel longyi birman et le kufi et le thawb musulmans – ne vendent pas de Judaica mais des colles et peintures, parmi d’autres produits utilitaires. Crachant le résidu de leur noix d’arec mâchée [ou noix de bétel], ces commerçants – adolescents, personnes d’âge moyen et personnes âgées – tachent la rue d’un rouge cramoisi.
« Cinq bâtiments plus loin, nous avons une mosquée. Et puis juste en face de nous se trouve le temple bouddhiste », explique Samuels. « Quel mélange ».
Samuels attribue ce respect aux groupes ethniques et religieux du Myanmar comme étant directement lié à Israël. Joe Freeman explique dans le site Tablet que la Birmanie a été le « premier ami » d’Israël en Asie, les deux pays ayant obtenu leur indépendance des Britanniques en 1948. Le premier Premier ministre birman, U Nu, avait un « faible pour Israël » et était proche de David Ben Gurion, son homologue israélien. U Nu a été le premier Premier ministre du monde entier à visiter l’État juif.

« La population birmane, si vous lui dites ‘judaïsme’, elle ne sait pas [ce que c’est], mais si vous dites ‘Israël’, elle a le sentiment qu’Israël est une religion », explique Samuels. « Ils respectent pleinement Israël ».
Mais la diversité religieuse de Yangon, qui a longtemps assuré la sécurité des Juifs, ne reflète pas le Myanmar dans son ensemble. La majeure partie du pays reste interdite aux touristes en raison des conflits ethniques qui font rage ; les Juifs ont historiquement vécu principalement à Yangon et Mandalay.
En 2016, l’armée du Myanmar a intensifié sa persécution de longue date des musulmans rohingyas, que la plupart des Birmans considèrent comme des étrangers et certains comme des terroristes. La barbarie militaire de la communauté se traduit par le fait d’incendier des villages, de jeter des bébés dans les flammes, de décapiter de jeunes garçons et de viols collectifs. Environ 1,1 million de Rohingyas ont fui le Myanmar ; des milliers d’entre eux auraient été tués dans ce qu’un enquêteur des Nations Unies a appelé un génocide en cours.
Les habitants de Yangon, depuis la majorité ethnique Bamar jusqu’aux musulmans, sont déconnectés des Rohingyas de l’État de Rakhine, sinon en apparence hostiles à leur égard. Les réseaux sociaux birmans sont inondés de messages anti-Rohingya.
Samuels, peut-être en raison de son éducation occidentale et de sa compréhension juive des horreurs du bouc émissaire ethnique, parle avec plus d’empathie des Rohingya. Il utilise même le mot « Rohingya », bien que le gouvernement israélien, en accord avec la préférence du gouvernement du Myanmar, refuse de faire de même.
Israël a permis à ses entreprises d’armement de vendre des armes aux militaires du Myanmar jusqu’à l’automne 2017. Au cours d’un entretien, Ronen Gilor, l’ambassadeur d’Israël au Myanmar, s’est refusé à tout commentaire sur cette question.
« C’est un événement malheureux ce qui s’est passé dans l’État de Rakhine », dit Samuels avec prudence, probablement en raison de la liberté d’expression limitée du Myanmar. « Nous compatissons vraiment avec eux. »

Le US Holocaust Museum a récemment classé les crimes contre les Rohingyas comme un génocide.
Samuels décline poliment tout commentaire sur le fait qu’Israël a également armé l’armée du Myanmar. Il dit cependant que la campagne militaire a provoqué un déclin du tourisme.
« Beaucoup de gens commencent à boycotter les voyages en Birmanie, mais quand on parle de tourisme, il ne s’agit pas seulement de nous, d’une agence de voyage, d’un hôtel ou d’une compagnie aérienne. Cela implique le guide touristique, le chauffeur de taxi, le groom de l’hôtel », dit-il. « Ils ne devraient pas être punis pour ce qui s’est passé. »
Quand vous venez ici en tant que touriste, vous voyez les choses différemment
Même lorsque le Myanmar était un Etat paria, Moses Samuels avait longtemps aidé les touristes juifs intéressés à visiter le pays, en répondant à leurs questions concernant le logement, les vols et les restaurants. Père et fils ont fini par en faire une entreprise : Myanmar Shalom Travel and Tours.
« Dieu merci, depuis 2011, le pays a commencé à changer incroyablement » et les affaires ont commencé à « exploser », dit le jeune Samuels.
Cette augmentation de l’activité a correspondu à une série de réformes politiques, économiques et administratives menées par la junte militaire du Myanmar. La junte a même libéré Aung San Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix et défenseure des droits de l’Homme, qui a passé près de 15 ans en prison et dirige maintenant le gouvernement civil de son pays. (Depuis, elle a été critiquée pour son refus de défendre les Rohingyas, bien qu’elle n’ait aucun contrôle sur l’armée.) Une photo de Sammy Samuels et de sa famille avec Suu Kyi fait partie d’une exposition de photos à l’extérieur de la synagogue.

Samuels dit que depuis 2011, les réseaux sociaux ont joué un rôle clé dans le renforcement de sa communauté.
« Nous avons un groupe WhatsApp, ‘Yangon Jews' », explique-t-il. Alors que d’autres au Myanmar ont utilisé WhatsApp pour encourager la violence contre les Rohingyas (les Nations unies ont dit que cela a joué « un rôle déterminant »), Samuels a utilisé cette plate-forme pour le bien.
Et au-delà des réseaux sociaux, Samuels remercie l’ambassade d’Israël pour sa contribution à la communauté juive de Yangon.
« Avec l’ambassade d’Israël, nous formons une famille », confie-t-il.
Gilor s’est fait l’écho de ces sentiments lors d’une interview.
« La collaboration avec Sammy et la communauté juive est une très bonne chose », a déclaré l’ambassadeur à JTA, qualifiant cette communauté de « pont » entre le Myanmar, Israël et le monde juif.

Gilor faisait partie des invités VIP de la célébration de Hanoukka, tout comme Phyo Min Thein, le ministre en chef de Yangon. D’autres dirigeants, parmi lesquels ceux du dialogue interconfessionnel local et des communautés bouddhiste, musulmane, chrétienne, bahaïe et hindoue, étaient également de la partie. Deux groupes organisés par Myanmar Shalom – l’un d’Israéliens et l’autre de Juifs ayant une histoire familiale au Myanmar – représentaient l’écrasante majorité des Juifs de la soirée.
Solomon, l’invité australien ayant l’air d’avoir la soixantaine, a raconté à JTA dans une interview que sa mère était née en Birmanie. Pendant l’invasion japonaise, elle s’est enfuie à Kolkata, en Inde. Solomon est né à Kolkata, anciennement Calcutta, et ni sa mère ni aucun membre de sa famille immédiate n’était jamais retourné en Birmanie.
« Mon père nous a interdit de revenir à cause de la junte militaire », dit Salomon. La mère de Solomon a 90 ans, alors son père a finalement cédé – en partie à cause du voyage organisé par Samuels.
« Cette visite était ma dernière chance de revenir et de rapporter des vidéos et des photos tant qu’elle peut encore les apprécier », a expliqué Solomon lorsqu’on lui a demandé s’il avait des réserves au sujet de sa visite au Myanmar. « C’était ma seule chance. … Elle est revenue à la vie une fois que je suis arrivé en Birmanie et que j’ai téléphoné ». Ses soignants « l’ont emmenée avec son fauteuil roulant jusqu’à l’iPad de papa, et nous avons discuté et elle était si heureuse ».
Samuels a dans le passé saisi l’occasion de sortir des frontières étouffantes du Myanmar, pour faire des études à la Yeshiva University et travailler pour le Congrès juif américain à New York City. Un touriste juif à Yangon l’avait aidé à entrer à la YU et à obtenir une bourse complète. Samuels n’aurait pas pu obtenir une telle formation au Myanmar, car les universités du pays ont été fermées par intermittence pendant des années dans le cadre d’un effort militaire visant à empêcher les révoltes étudiantes à répétition.

« J’aurais pu m’installer aux États-Unis et vivre une vie meilleure », confie Samuels, expliquant pourquoi il est rentré chez lui après le décès de son père en 2015. « Mais notre mission principale ici est très simple : Nous ne voulons pas qu’un touriste juif qui vient dans ce pays se sente étranger ».
De ce point de vue, l’événement de Hanoukka a été une véritable prouesse pour Samuels.
« Les choses changent », dit-il, se souvenant des années où il célébrait la Fête des Lumières avec moins de 20 personnes. « Il y a quelques années, aucun Birman ne connaissait Hanoukka. Aujourd’hui, les bouddhistes me souhaitent sur Facebook ‘Joyeux Hanukkah Sammy !' »
Et alors que la synagogue est classée troisième sur TripAdvisor parmi les « choses à faire » à Yangon, Samuels ne peut toujours pas obtenir un minyan [quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières lors des offices] sans l’aide des touristes.
Un autre signe de délabrement est le cimetière juif de Yangon : Contrairement à celui de Kolkata, il n’est ni informatisé ni répertorié, se plaint Solomon.

En 1997, le gouvernement du Myanmar a annoncé son intention de déplacer le cimetière de Yangon, mais n’y a jamais donné suite. Le cimetière reste caché sur une colline que certains chiens errants ont clairement revendiqué comme leur territoire ; un panneau à l’extérieur indique qu’il n’est accessible « qu’avec la permission de la communauté juive du Myanmar ». Samuels m’en donne la permission en écrivant une phrase en birman sur une carte de visite, que je donne à la vieille dame qui garde le cimetière et qui semble vivre sur place.
La modernité se mêle au caractère historique du cimetière : Un satellite de télévision émerge de la maison du concierge au-dessus des tombes, et son jeune assistant, qui me sourit et me regarde avec désinvolture pendant que je me promène sur les lieux, écoute de la musique pop birmane sur son smartphone en fumant une cigarette.
Au lieu des cailloux placés par les visiteurs, des débris de pierres tombales avec des lettres hébraïques, se trouvent sur les quelques tombes intactes. Alors que Samuels crée une communauté moderne au Myanmar, la mémoire matérielle de ses prédécesseurs birmans continue de se délabrer.
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