Manfred Goldberg se souvient de « l’ange » qui l’a sauvé dans un camp de travail nazi
« Je ne l'ai jamais revu », dit ce survivant de la Shoah âgé de 94 ans à propos de celui qui lui a conseillé de mentir sur son âge, lui épargnant le sort de son jeune frère Herman

LONDRES – Manfred Goldberg n’avait que 13 ans lorsque, totalement décharné, en route pour aller parler à un SS chargé de la surveillance de ce camp de travail nazi de Lettonie, un homme s’est penché sur lui pour lui chuchoter le secret qui lui a littéralement sauvé la vie.
« Si on te demande ton âge, dis que tu as 17 ans », lui a dit l’homme.
Goldberg a suivi le conseil et le garde l’a dirigé vers le groupe du travail forcé. Il devait apprendre plus tard que les plus jeunes prisonniers étaient envoyés à la mort : les gardiens estimaient que les moins de 17 ans étaient trop jeunes pour effectuer un travail rentable pour la machine de guerre nazie.
« Je pense parfois à cet homme, qui a pour moi tout d’un ange venu me sauver », explique Goldberg. « Je ne l’ai jamais revu. »
Lundi, la commémoration du 80e anniversaire de la libération d’Auschwitz sera non seulement le moment de se recueillir en mémoire des 6 millions de Juifs morts lors de la Shoah, mais aussi le rappel que le nombre des survivants diminue, et avec eux, celui des personnes capables de témoigner du génocide nazi à une époque où le négationnisme et l’antisémitisme connaissent un fort regain.
« Je ne suis qu’une goutte d’eau dans l’océan », dit-il lors d’une interview au Jewish Care Holocaust Survivors’ Center de Londres. Mais j’ai décidé que tant que Dieu me donnerait la force, physique et mentale, de le faire, alors je continuerais à témoigner. C’est la raison pour laquelle je suis là, devant vous, à l’âge de 94 ans, et que je vous parle.
Voilà son histoire.
La montée du nazisme
Goldberg est né à Kassel, une ville de près de 220 000 habitants du centre de l’Allemagne. En 1933, il a 3 ans lorsque les nazis arrivent au pouvoir et il n’a pas conscience des changements à l’oeuvre, tout du moins jusqu’à son premier jour à l’école primaire juive de son quartier.
À ce moment-là, les Jeunesses hitlériennes, organisation d’apparence semblable aux scouts mais utilisée pour endoctriner les jeunes à l’idéologie nazie, commencent à répandre la haine des Juifs.
« Ils nous guettaient parfois, pour nous tendre un piège et nous attaquer ou simplement nous insulter », confie Goldberg.
Les enfants savent comment réagir : prendre la fuite ou aller au-devant de gros problèmes.

C’est alors que les nazis ont commencé à exclure les Juifs de la vie publique : ils ont menacé de déporter le père de Goldberg, puis de l’envoyer dans un camp de concentration. La mère de Goldberg, Rosa, fait le maximum pour gagner du temps et lui permettre d’obtenir un visa pour émigrer.
Elle a entendu dire que les diplomates de l’ambassade britannique de Berlin pourraient l’aider et fait donc plus de 300 kilomètres pour les voir. Elle y rencontre Frank Foley, un agent secret britannique dont le travail à l’ambassade est une couverture pour ses activités d’espionnage et qui délivrera des visas permettant à 10 000 Juifs de quitter l’Allemagne.
« Je pense que c’était un homme bon », confie Goldberg.

Foley délivre au père de Goldberg un visa d’urgence et dit à sa mère que le reste de la famille pourra le rejoindre dans les prochaines semaines.
Mais 10 jours plus tard, le 1er septembre 1939, les nazis envahissent la Pologne. La famille est donc séparée.
Porter l’étoile
Alors que la guerre faisait rage, l’Allemagne durcit les lois anti-juives.
Les Juifs sont tenus de porter l’étoile de David jaune à six branches à l’extérieur et ne sont autorisés à faire leurs courses que dans certains magasins. Quand ces derniers n’ont plus rien à vendre, les Juifs sont abandonnés à leur sort.
Un jour, la mère de Goldberg lui dit de prendre son cartable, qui couvre l’étoile jaune qui orne sur sa veste, et de venir avec elle dans une boulangerie non juive. Sur le trottoir, de l’autre côté de la rue, elle lui remet une poignée de pièces de monnaie et lui demande d’aller dans le magasin, de demander une miche de pain, de mettre l’argent sur le comptoir et de prendre le pain avant que l’on ne puisse l’arrêter.
« J’avais 7 ou 8 ans. J’ai fait ce qu’elle m’a demandé de faire », explique-t-il. « Mais avec le recul, je me rends compte à quel point la situation devait être grave. Elle devait elle aussi avoir faim, mais elle ne devait sans doute pas supporter de voir ses enfants souffrir de la faim. Et en 1942, le régime nazi s’est lancé dans ce qu’il a appelé « la solution finale », l’extermination systématique des Juifs d’Europe.
Lorsque les SS frappent à la porte du modeste appartement des Goldberg, ils donnent à la mère 10 minutes pour faire sa valise. Après trois jours et trois nuits à bord d’un train, sans eau ni nourriture, Goldberg, son frère cadet, Herman, et leur mère se retrouvent à Riga, capitale de la Lettonie, prélude d’un cauchemar qui le conduira dans cinq camps de concentration les trois années suivantes.

Devenir un numéro
Goldberg n’a plus de nom. Il devient le n° 56478.
Peu de temps après, ils arrivent dans un sous-camp connu du nom de Precu, où Goldberg et sa mère sont réquisitionnés pour le travail. Mais Herman, trop jeune pour les suivre, reste dans le camp lorsqu’ils partent travailler. En leur absence, les SS viennent et emmènent les enfants.
Goldberg ne devait jamais revoir son frère.
« Le lendemain matin, ma mère et moi avons dû faire la queue et aller travailler comme si de rien n’était », dit-il. « Intérieurement, nous étions en deuil mais si nous avions refusé d’aller travailler, nous aurions perdu la
vie. »
Quelques mois plus tard, Goldberg manque de connaitre le même sort que son frère lorsque son bienfaiteur inconnu lui chuchote ces quelques mots à l’oreille.
Lorsque les nazis commencent à perdre du terrain, sur le front Est, ils déplacent leurs prisonniers vers l’ouest pour que les Russes ne les trouvent pas et pouvoir ainsi continuer à les massacrer.

Goldberg est transféré au camp du Stutthof, non loin de Gdansk : sa porte d’entrée est depuis connue sous le nom de Porte de la Mort en raison du très faible nombre de détenus qui y ont survécu. Plus de 60 000 personnes sont mortes dans le camp – que ce soit du typhus, d’injections létales ou, à partir de juin 1944, suite à l’exposition au Zyklon B, le même composé que celui utilisé dans les chambres à gaz d’Auschwitz -.
Mais il y avait encore pire.
Alors que la fin de la guerre en Europe se profile, les nazis continuent de repousser les détenus vers l’ouest, en direction du centre de l’Allemagne.
Goldberg et sa mère sont emmenés à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest, là où des centaines de prisonniers sont rassemblés sur des barges et retenus au large pendant des jours, sans eau ni nourriture. Lorsque les gardes SS s’absentent, les prisonniers les plus forts en profitent pour briser des planches et en faire des rames pour rapprocher les barges du rivage.
C’est alors que les gardes revinrent. Ils abattirent déjà les plus faibles, incapables de s’échapper, avant de rassembler ceux qui avaient réussi à atteindre le rivage, parmi lesquels Goldberg et sa mère, et de les ramener en Allemagne.
C’est alors qu’une colonne de chars britanniques est arrivée.

« Subitement, les gardes armés qui, quelques instants plus tôt, tuaient ceux qui ne pouvaient pas suivre le rythme, ont fait demi-tour et se sont enfuis dans la direction opposée, loin de nous », se souvient Goldberg. « Les gens étaient fous de joie. Nous n’étions plus sous surveillance. Nous étions libres ! Libres ! … Vous ne pouvez pas imaginer la joie que nous avons ressentie. »
Après avoir retrouvé son père en Angleterre, Goldberg est devenu ingénieur, s’est marié et a eu quatre enfants.
Pendant plus de 50 ans, il n’a pas voulu raconter son histoire.
Il voulait que ses enfants aient des parents normaux, libérés du poids de la Shoah. Mais il y a de cela une vingtaine d’années – il avait alors dépassé les 70 ans -, sa synagogue lui a demandé de participer à une commémoration. Sa femme Shary l’encourage à faire face à ses souvenirs : Qui racontera ton histoire quand tu ne seras plus là ?
Depuis, il n’a plus fait machine arrière.
« Le silence n’aide pas les opprimés », explique Goldberg. « Il n’aide que les oppresseurs. »

La meilleure des vengeances
Le salon des Goldberg, à Londres, est rempli de ce qui compte pour lui, un mélange de photos de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants et des réunions de famille. Dans cette pièce, on voit un homme qui rend grâce d’avoir survécu.
Mais il y a une autre image.
C’est le portrait d’un garçon aux joues potelées, avec un nœud papillon à carreaux et un léger sourire aux lèvres. Accroché à côté de la porte d’entrée, Goldberg le voit à chaque fois qu’il sort dans le vaste monde.
C’est le portrait d’un garçon qui n’a pas eu sa chance.
Le portrait d’Herman.
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