Manifestations anti-Netanyahu à gauche, Bennett à droite, se rencontreront-ils ?
Des défis disparates qui ne mettent en danger le règne de Benjamin Netanyahu que s'ils trouvent un moyen de se compléter
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Le 3 septembre 2011, quelque 400 000 Israéliens se sont rassemblés à Tel Aviv pour protester contre la flambée vertigineuse du coût de la vie. Des dizaines de milliers d’autres avaient participé à des manifestations similaires dans tout le pays cette nuit-là, dans un mouvement qui avait débuté environ trois mois plus tôt au milieu de plaintes concernant le prix du cottage, pour ensuite s’attaquer au coût exorbitant de l’achat ou même de la location de l’immobilier dans ce pays.
Les manifestations étaient ancrées dans un grief réel et largement ressenti. Elles n’étaient pas personnellement dirigées contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu, mais plutôt contre l’indifférence perçue de son gouvernement face à l’incapacité des gens ordinaires à finir le mois et à garder un toit sur leurs têtes.
Les participants étaient amers et en colère, mais absolument pas violents. Les parents étaient même venus avec leurs bébés et des tout-petits au rassemblement du 3 septembre, l’apogée du mouvement, qui s’était achevé par un concert.
Ils ne sont pas parvenus à renverser le gouvernement. En l’espace de trois mois, les tentes des manifestants le long du boulevard Rothschild avaient été déplacées et réduites.

Les principaux organisateurs ont soit choisi de se retirer en grande partie de la vie politique (Daphne Leef), soit sont entrés plus formellement en politique (Stav Shaffir n’a pas gagné la direction du parti travailliste l’année dernière, a perdu son siège à la Knesset et dirige maintenant le parti vert; Itzik Shmuli n’a pas non plus gagné la direction des travaillistes l’année dernière et siège maintenant dans la coalition avec son parti quasi-disparu en tant que ministre israélien du Bien-être).

Près d’une décennie plus tard, le coût de la vie en Israël est toujours élevé, le prix du logement toujours intenable et Netanyahu est toujours le Premier ministre.
Une marée montante de protestation, à nouveau
Ces dernières semaines, les veillées commencées il y a des années devant la résidence officielle de Netanyahu à Jérusalem, et dirigées par des vétérans israéliens qui exigent sa démission parce qu’il est embourbé dans des accusations de corruption, ont régulièrement augmenté.
Des israéliens économiquement ruinés par la pandémie de coronavirus y ont participé. Le jeudi et surtout le samedi soir, les foules atteignent désormais les dizaines de milliers de personnes – majoritairement des jeunes, beaucoup d’entre eux désespérément hostiles à Netanyahu, d’autres défendant des causes bien particulières, certaines moins précises, et d’autres encore veulent tout simplement un changement.
La semaine dernière, le fils du Premier ministre a assuré qu’il montrait parfois à son père des extraits des rassemblements, en affirmant que ça l’amusait : « Il voit ce que nous voyons tous – ces extraterrestres aux manifestations. Cela le fait rire, c’est divertissant », a déclaré Yair.
Le jeune Netanyahu a ensuite fait légèrement marche arrière ; son discours sur « ces extraterrestres », dit-il, ne faisait pas référence à tous les manifestants, mais plus précisément à « ceux qui sont déguisés en extraterrestres et en ovnis, ceux qui se déshabillent, ceux qui se déguisent en organes génitaux, ceux qui brandissent des signes grossiers, ceux qui ont des spaghettis sur leur tête et ceux déguisés en Spider-Man. Il y en a trop, et c’est drôle. »

Le Premier ministre lui-même se plaint fréquemment du « côté politique » des manifestations, y compris l’incitation à la haine et les menaces contre lui et sa famille.
Sara Netanyahu, l’épouse du Premier ministre, a même déposé plainte pour harcèlement sexuel par des manifestants, citant des slogans et des images sexuellement explicites brandies lors de rassemblements, ainsi que des menaces de violences. « J’ai absolument le sentiment d’avoir subi des violences sexuelles », a-t-elle déclaré dans un entretien téléphonique avec la Douzième chaîne, soulignant « la terrible marche des ballons [en forme d’organes sexuels] et le message [sur les réseaux sociaux] pour me violer, dans un langage explicite et grossier. »
Mais le Premier ministre ridiculise aussi à plusieurs reprises des chiffres relativement dérisoires. Peut-être conscient de cette énorme manifestation à Tel Aviv il y a près de dix ans, et de son manque d’impact à long terme, il se moque du fait que la participation à Jérusalem représente « un quart de mandat ».
Si 400 000 manifestants – assez d’électeurs pour une douzaine de sièges à la Knesset – n’ont pas pu obtenir de changement stratégique, semble-t-il – ou du moins prétend-il – avoir conclu, quelques milliers de jeunes désunis à Jérusalem ne risquent pas de le renverser.
Les manifestations à Jérusalem sont en effet désorganisées, intentionnellement semble-t-il. Elles s’élargissent également : elles ne représentent plus ‘un quart de mandat’, mais peut-être la moitié, voire plus (si l’on compte qu’environ 35 000 voix donnent un siège à la Knesset de nos jours). Par ailleurs, elles ne se limitent plus à Jérusalem, mais se répandent dans tout le pays, sur tous les ponts autoroutiers.
Ce que Netanyahu peut également voir, cependant, c’est qu’elles s’érigent autour d’un mécontentement national beaucoup plus large : la gestion de la pandémie par son gouvernement – avec des majorités croissantes d’électeurs sondages après sondages, affirmant être profondément insatisfaits de sa gestion et de celle de ses ministres en ce qui concerne la santé et de l’économie d’un pays profondément en crise.

Cette insatisfaction, comme en 2011, est en grande partie née d’un reproche personnel. Un cinquième du pays est au chômage. Les quelques centaines de shekels que Netanyahu a distribuées en grande pompe sur les comptes bancaires de la plupart des Israéliens ces derniers jours ne remplacent aucunement un emploi stable. Et les électeurs pro-Netanyahu – qui n’auraient jamais imaginé se joindre aux manifestations du samedi soir, juste à côté des pancartes « Ministre du Crime », des défenseurs de la Palestine, des phallus gonflables géants… – ressentent les difficultés tout autant que ceux qui lui sont opposés depuis toujours.
La renaissance de Naftali Bennett
Cette consternation croissante du public devant la mauvaise gestion de la crise commence également à se manifester dans les sondages des intentions de vote. Les principaux partis de la coalition – le Likud et Kakhol lavan – perdent du terrain. De nombreux Israéliens mécontents disent aux sondeurs qu’ils voteraient maintenant pour les partis de l’opposition : Yesh Atid, le centre-gauche de Yair Lapid, et, surtout ces derniers temps, Yamina, la droite de Naftali Bennett.

Yamina, qui n’a remporté que six sièges aux élections de mars, atteint désormais 19 sièges dans les sondages – marquant un renouveau étonnant pour Bennett, – lui, qui n’était même pas parvenu à se faire réélire lors du vote d’avril 2019. En tant que ministre de la Défense dans le dernier gouvernement, Bennett avait exhorté le Premier ministre à donner plus de responsabilités à l’armée pour lutter contre la COVID-19. Il avait aussi élaboré un plan stratégique que Netanyahu aurait ignoré à cause de leur rivalité politique. Selon Bennett, ce plan serait presque identique à celui suivi par Ronni Gamzu, l’homme désormais en charge de traiter la réponse du gouvernement dans la lutte contre le coronavirus.
Le Likud ne s’effondre pas dans les sondages, comme le fait Kakhol lavan depuis que son chef Benny Gantz a changé de cap et choisi de siéger au gouvernement Netanyahu. Mais le parti du Premier ministre est sur une pente descendante – et perd des voix contre un rival du même bord politique, un parti dont le dirigeant n’est pas accusé de corruption, est un fervent défenseur du projet d’annexion et est celui qui a refusé de s’associer aux kahanistes d’Otzma Yehudit, que Netanyahu avait adoubés.
Netanyahu peut raisonnablement rejeter les sondages faisant état de l’ascension de Bennett. Notre spectre politique est fendu de tous les côtés, l’électorat est très capricieux, et les sondages ne sont pas fiables.
Il peut ignorer les manifestants qui inondent bruyamment son quartier de Rehavia comme un mélange de « personnages bizarres » et de gauchistes.
Il peut penser qu’il peut encore exercer sa magie politique – blâmer le malheureux Gantz pour la coalition dysfonctionnelle et tenter de construire un gouvernement alternatif, ou sortir renforcé de la quatrième élection qu’il prétend ne pas vouloir. Il peut même encore espérer façonner un bloc politique qui adopterait une législation pour bloquer son procès pour corruption.
Et il a peut-être raison. Les manifestations se multiplient, mais il a résisté à pire. Il a un rival puissant, surgissant de son propre camp, mais il en a vu passé d’autres. La droite désabusée par la pandémie et ses retombées économiques ne se montrent pas aux rassemblements du ‘Ministre du Crime’ en nombre assez important, et Bennett n’a pas le soutien de la gauche.
Mais si ces forces croissantes et disparates venaient à s’additionner, alors Netanyahu se retrouvera dans une difficulté réelle.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel