Mardi, une simple question intolérable : Netanyahu est-il bon pour Israël ?
Il a maintenu la sécurité dans le pays et renforcé ses alliances. Il nous a divisés et il nuit à notre démocratie
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Il y a beaucoup d’éloges à faire de Benjamin Netanyahu au poste de Premier ministre d’Israël au cours de la dernière décennie. Dans une région dangereuse, toxique, imprévisible, il a su maintenir ce pays minuscule – qui ne fait même pas 15 kilomètres de large à l’endroit le plus étroit – pas seulement intact et relativement sûr mais aussi florissant au niveau économique et, de l’aveu même des citoyens, il en a fait une nation heureuse.
Il a affronté l’Iran alors que la République islamique tentait de renforcer sa mainmise sur la région en jouant un rôle des plus déterminants lorsqu’il a fallu empêcher les ayatollahs d’atteindre leur objectif de construire un arsenal nucléaire.
Elaborant des stratégies aux côtés des chefs de la sécurité israélienne, il a su prévenir une escalade de la situation qui paraissait prête à échapper à tout contrôle dans le conflit contre les Palestiniens en Cisjordanie. Et il a déjoué le but avoué du Hamas de détruire l’Etat juif depuis Gaza.
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Il a bâti des relations personnelles fortes avec un président américain imprévisible – et il en a été récompensé par la reconnaissance par Trump d’une proportion non-spécifiée de Jérusalem en tant que capitale d’Israël, et par celle du plateau du Golan stratégique capturé en 1967 à la Syrie.
Il a forgé également des liens efficaces avec l’occupant rusé du Kremlin, en Russie – maintenant la coordination avec Vladimir Poutine tandis qu’Israël tentait d’empêcher l’Iran de s’enraciner dans la Syrie dominée par les Russes, et ce, même après la perte par Moscou d’un avion-espion et de son équipage – 15 militaires se trouvaient à son bord – lors d’un incident qui aurait pu facilement faire dérailler cette relation entre les deux pays. Il a été récompensé, la semaine dernière, par le rapatriement – un calendrier spectaculairement choisi en ce qui concerne les visées politiques de Netanyahu – de la dépouille d’un soldat israélien, Zachary Baumel, mort dans une bataille de blindés pendant la guerre du Liban, il y a 37 ans.
Tout cela et plus encore peut bien expliquer pourquoi, selon nos sondages d’opinion connus pour leur fiabilité, Netanyahu semble bien placé pour remporter les élections israéliennes, mardi – en tant que chef du parti le plus important et, il faut le souligner, comme politicien le plus apte à rassembler une coalition multi-partite.
Mais les antécédents de Netanyahu sont également plus sombres. Il a construit des relations proches et gênantes avec certains hauts-responsables douteux dans le monde – notamment avec Rodrigo Duterte, aux Philippines – dont la valeur en termes de realpolitik pour Israël aurait dû être réfléchies à l’aune de tendances à l’extrémisme difficiles à accepter.
Il s’est aliéné une grande partie de la diaspora juive en sacrifiant l’intérêt de tous les courants de notre foi au nom de considérations politiques étriqués – avec l’abandon de l’accord solennellement négocié qui aurait officialisé le rôle des Juifs non-orthodoxes dans la supervision d’une plate-forme de prière pluraliste dans une section désignée du mur Occidental.
Dans le narratif qu’il a revendiqué tout au long de son mandat et dans la bataille des campagnes électorales – et en particulier celle-ci – Netanyahu et ceux qui votent en sa faveur sont forts, avisés, patriotes, sionistes, tandis que ses adversaires politiques sont faibles, confusément conciliants, et se tiennent aux côtés des ennemis d’Israël en participant à une chasse aux sorcières illégale qui ne vise qu’à le destituer du pouvoir
Alors que le climat politique américain n’a cessé de devenir de plus en plus véhément, Netanyahu a facilité une mauvaise représentation d’Israël aux Etats-Unis devenu exclusivement une cause de Trump, une cause républicaine – un mauvais calcul à court-terme et dangereux de surcroît au vu de la vitesse à laquelle le balancier du pouvoir américain passe d’un côté de l’échiquier politique à l’autre.
Il est aussi délibérément devenu une force montante de division au sein même de l’Etat juif. Dans le narratif qu’il a revendiqué tout au long de ses mandats et dans la bataille des campagnes électorales – et en particulier celle-ci – Netanyahu et ceux qui votent en sa faveur sont forts, avisés, patriotes, sionistes, tandis que ses adversaires politiques sont faibles, confusément conciliants, et se tiennent aux côtés des ennemis d’Israël en participant à une chasse aux sorcières illégale qui ne vise qu’à le destituer du pouvoir.
Son principal adversaire dans le scrutin de mardi, l’ancien chef d’Etat-major Benny Gantz, a noté dans un entretien qu’il m’a personnellement accordé la semaine dernière que l’armée israélienne, le Mossad, la police et autres hiérarchies changeaient de responsable tous les deux ou trois ans – pour s’assurer qu’ils évoluent de manière effective avec une injection constante de pensées et de vigueur nouvelles.
Ce qu’affirme sans relâche Netanyahu, en comparaison, est que lui et lui seul a la capacité de diriger l’Etat juif – et il a entrepris des initiatives profondément inappropriées pour garantir qu’il continuera à le faire.
Parmi ces initiatives, ses efforts continus visant à diaboliser l’électorat arabe israélien. Il y a quatre ans, le jour-même des élections, lors d’une initiative cynique calculée pour inciter ses électeurs à aller voter, il avait affirmé que les Arabes israéliens se rendaient en masse aux urnes.
Il avait fait cette déclaration via sa page officielle sur Facebook, extrêmement suivie, et elle s’était trouvée également promue pendant des heures en une du site d’information Walla – selon les accusations répertoriées contre Netanyahu dans le dossier de l’Affaire 4000 impliquant Bezeq et Walla dans laquelle le Premier ministre pourrait être inculpé pour pots-de-vin (Le procureur-général a écrit à Netanyahu dans l’acte diffusé le 28 février que « vous avez ordonné [à votre conseiller auprès des médias de l’époque, devenu témoin de l’accusation Nir] Heretz de transmettre la vidéo au [chef de Bezeq et propriétaire de Walla Shaul] Elovitch… Elovitch a ensuite donné l’ordre au [directeur-général de Walla Ilan] Yeshua de la publier avec le gros titre : ‘Netanyahu : Les Arabes viennent voter en masse’. En résultat de ces échanges, « la vidéo a été laissée en une du site pendant de nombreuses heures ».)
Affichant un cynisme similaire peu soucieux des conséquences dans les semaines qui ont précédé le vote de mardi, Netanyahu a personnellement négocié une alliance entre plusieurs factions de droite, craignant que, séparément, elles n’échouent à franchir le seuil électoral de 3,25 % nécessaire à une représentation à la Knesset. Cette alliance a ainsi apporté une légitimité à une formation dirigée par des disciples avoués de feu le rabbin raciste Meir Kahane (dont le parti Kach avait été interdit en Israël dans les années 1980 et désigné comme organisation terroriste au sein de l’Etat juif et aux Etats-Unis). Otzma Yehudit – le nom du mouvement – veut étendre les frontières souveraines d’Israël de la mer Méditerranée jusqu’au fleuve Jourdain et expulser dans le monde arabe tous les non-Juifs de ce pays élargi – notamment les citoyens arabes d’Israël – qu’il désigne comme les « ennemis » d’Israël. La Haute-cour a interdit au chef d’Otzma Yehudit de se présenter au scrutin et son numéro deux devrait occuper un siège à la Knesset.
Netanyahu a lancé une campagne de division et de diabolisation encore plus soutenue contre des piliers essentiels de la démocratie israélienne. Cherchant avec l’énergie du désespoir à s’extirper des accusations de corruption lancées à son encontre, il a, au cours des deux dernières années, fustigé de manière incessante ses opposants politiques et les médias israéliens, les qualifiant de « Bolcheviques » ou de « gauchistes » animés seulement par le désir de le déchoir du pouvoir. Alors que les enquêtes se déroulaient et lorsque la police a finalement recommandé son inculpation, il a élargi ses cibles, y incluant les policiers et leur commissaire – l’homme qu’il avait lui-même nommé – les accusant d’être partiaux à son égard et déterminés à l’anéantir.
Alors que le procureur-général Avichai Mandelblit a finalement fait siennes un grand nombre de ces recommandations en annonçant, fin février, que Netanyahu serait traduit devant la justice pour pots-de-vin, pour fraude et abus de confiance sous réserve d’une audience, le Premier ministre a clamé que le procureur-général faisait, lui aussi, partie du complot et qu’avec son adjoint, il incarnait également et en définitive l’une de ces personnalités faibles désireuses de faire avancer l’agenda des gauchistes.
Le respect et l’appréciation éprouvés par un si grand nombre d’Israéliens pour les accomplissements de Netanyahu en termes de sécurité du pays dans la région agitée prendront-ils le pas de leur inquiétude face aux préjudices causés par le Premier ministre aux structures de la nation ?
Certains pourraient bien expliquer pourquoi la campagne moins qu’éblouissante de Gantz – qui l’a vu passer de discours dignes d’un chef d’Etat à des contre-attaques contre les initiatives prises par Netanyahu de le dépeindre comme un homme incompétent et instable, a été de manière assez extraordinaire dominée par les hommes (comme cela a également été le cas, bien sûr, de celle de Netanyahu) et a été marquée avec acharnement par des fuites de conversation privée et par la saga curieuse du piratage de son téléphone piraté par l’Iran – mais aura toutefois eu suffisamment d’ampleur pour, pour la toute première fois depuis 2009, mettre en péril Netanyahu.
En grande partie, dans un pays où la politique a des implications de vie ou de mort pour les citoyens – où le choix d’un gouvernement peut déterminer la taille d’un pays, ses mélanges de population et la fréquence à laquelle ses enfants, recrutés dans l’armée, doivent risquer leur vie pour le défendre – le scrutin de mardi pose finalement une unique question : Netanyahu est-il bon pour Israël ?
Pour certains électeurs, la réponse est un simple « oui » ou un simple « non ». Ils adorent ou ils ont en horreur le personnage ou sa politique ; ils ont une immense confiance en lui ou ils s’en défient ; ils voteront toujours/jamais pour lui ; ils sont ravis/dévastés lorsqu’ils évoquent l’application de la souveraineté sur les implantations ; ils applaudissent/fustigent ses partenariats avec les partis ultra-orthodoxes… Il n’y a pas de dilemme.
Pour de nombreux autres Israéliens, néanmoins, la question est d’une grande complexité. Pour de nombreux Israéliens, le vote de mardi est un vote terrible entre les deux facettes de notre Premier ministre, et leur conclusion pourrait bien être de déterminer seulement s’il conservera le pouvoir. Le respect et l’appréciation éprouvés par un si grand nombre d’Israéliens pour les accomplissements de Netanyahu en termes de sécurité du pays, dans la région agitée, prendront-ils le pas face à l’inquiétude suscitée par les préjudices causés par le Premier ministre aux structures de la nation ?
En réfléchissant à ce casse-tête, les électeurs s’interrogeront aussi sur la capacité de Gantz et du reste de son équipe du parti Kakhol lavan – tout en oeuvrant à réparer l’unité interne d’Israël – d’assurer la protection du pays et le maintien de toutes ces relations diplomatiques tissées dans le monde entier. De manière assez ironique, et dans la mesure où Kakhol lavan accueille dans ses rangs deux anciens chefs d’Etat-major, les enquêtes suggèrent que ce sont les antécédents en termes de sécurité affichés par Netanyahu que ses rivaux ont le plus de mal à contrer.
Peut-être l’aspect le plus inquiétant dans le combat livré par Netanyahu pour rester au pouvoir, toutefois, est la suspicion que s’il devait être réélu, il chercherait à faire adopter une loi lui accordant l’immunité judiciaire dans les trois affaires de corruption dans lesquelles il est impliqué. Gantz a averti que Netanyahu plaçait Israël sur la voie de pays comme la Turquie – où le président Recep Tayyip Erdogan a pris un contrôle sans précédent sur les forces chargées de faire appliquer la loi et sur les médias et qu’il « se protège des enquêtes et autres initiatives visant à prévenir la corruption ».
Interrogé de manière répétée sur sa volonté d’initier, de soutenir ou d’encourager tacitement ce qui serait une version israélienne de la « loi française », Netanyahu s’est montré ambivalent. Dans une interview télévisée réalisée il y a deux semaines, il avait indiqué que cette idée était « hors de question » avant, quelques secondes plus tard, de reconnaître qu’il n’en savait rien – puis qu’il ne le pensait pas.
Cette désignation de « loi française » est profondément trompeuse. Pour qu’elle soit utile à Netanyahu, une législation de ce type devrait pouvoir être appliquée de manière rétroactive – une démarche profondément anti-démocratique. De plus, en France, où le président est protégé des poursuites durant tout son mandat, ces mandats ont des limites : Aucun président ne peut en glaner plus que deux. En Israël, le Premier ministre peut servir aussi longtemps qu’il sera élu à la fonction. Une version israélienne de la « loi française » pourrait potentiellement permettre à Netanyahu d’échapper continuellement à la justice.
Plusieurs partenaires de coalition potentiels et des personnalités du Likud ont fait savoir qu’ils s’opposeraient à une telle loi. Si elle devait toutefois être adoptée, les coups portés par Netanyahu aux piliers de la démocratie pourraient finir par les faire trembler et s’effondrer.
Les électeurs, alors qu’ils font leur choix, peuvent peut-être ne pas avoir ce scénario à l’esprit. Et c’est équitable. Après tout, nous sommes dans une démocratie et mardi, l’électorat israélien décidera quel est le chemin que nous allons emprunter à l’avenir.
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