Municipales : une faille juridique permet des prêts secrets aux candidats
Les règles en vigueur pourraient faciliter le “blanchiment de prêts sous forme de dons”, prévient un organisme de contrôle gouvernemental
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.

Une lacune dans la loi sur le financement des élections locales, qui n’exige pas que les candidats déclarent publiquement leurs emprunts, pourrait permettre aux personnes fortunées, ainsi qu’aux criminels, d’influencer les résultats des scrutins nationaux du 30 octobre.
Bien que la législation oblige les candidats à enregistrer publiquement les dons – plafonnés à 5 000 shekels – ainsi que les garanties de prêt illimitées, elle exige uniquement que les prêts personnels soient déclarés après les élections, et même dans ce cas-là, les détails ne sont pas publiés.
Dans un accord de prêt, une personne prête son argent à une autre, attendant d’être remboursée à un moment déterminé.
Une garantie de prêt permet à un candidat ou à un parti d’emprunter de l’argent auprès d’une institution telle qu’une banque, ou d’obtenir une avance sur fonds publics, qui est calculée et entièrement payée une fois les scrutins terminés.
Cette brêche, qui protège l’identité des prêteurs personnels et ne nécessite pas de divulguer le montant de leur prêt, signifie que le public n’est pas en mesure d’évaluer l’influence que le prêteur pourrait exercer dans les coulisses sur un candidat élu.
En outre, selon le « Movement for Quality Government » (MQG), organisme de surveillance gouvernementale, cette circonstance permet théoriquement à un soutien de fournir un prêt que le candidat peut, en accord avec lui, ne jamais rembourser – et le public ne sera pas au courant de ces informations.

Les prêteurs demandent l’anonymat pour diverses raisons, dans certains cas, ils conditionnent leurs emprunts à des promesses d’anonymat. Parfois, une seule personne peut prêter de l’argent à plusieurs candidats, ce qu’elle ne veut pas rendre public.
« Nous sommes conscients du problème », a déclaré Zohar Altman-Raphael, avocat de MQG, au Times of Israel. « Vous pouvez accorder un prêt et ne pas le demander en retour. C’est une façon de blanchir des dons sans avoir à les déclarer. »
Dans l’état actuel de la loi, chaque parti doit avoir un compte bancaire de campagne et doit continuellement mettre à jour un site internet accessible au public qui est géré par le Bureau du contrôleur de l’État avec des détails sur les dons et les garanties de prêt, mais pas les prêts.
Les dons doivent être déclarés, en hébreu, dans les trois jours. Ils ne peuvent être donnés que par des citoyens, pas par des entreprises ou des ONG.
L’obligation de déclarer les revenus et la limite des dons visent à accroître la transparence et l’égalité – et à éviter les situations dans lesquelles des personnes riches ou malhonnêtes puissent souscrire des campagnes en faveur d’un candidat donné sur la base d’un accord tacite eux une fois qu’il ou elle est élu.
Ni Altman-Raphael, ni un porte-parole du bureau du contrôleur de l’État n’ont été en mesure d’expliquer pourquoi les prêts ne sont pas soumis aux mêmes règles de contrôle public que les cadeaux et les garanties de prêt.

Le porte-parole a déclaré : « Les données sur les prêts, tout comme les données sur les garanties de prêts, les dons et toutes les autres activités pendant la campagne électorale, sont examinées par le contrôleur de l’État après les élections, conformément à la loi et aux annonces publiques. »
« Malgré cela, la question de la publication des prêts sera réexaminée par le contrôleur de l’État. Si une décision est prise à ce sujet, un préavis sera donné afin que les candidats et les prêteurs soient informés, comme ça a été le cas auparavant pour la publication des garanties bancaires. »
Le Times of Israël s’est tourné vers les trois principaux candidats aux élections de Jérusalem, qui ont été vivement critiqués, et a demandé – dans l’intérêt de la transparence publique et quelles que soient les exigences juridiques qui et pour combien d’argent – s’ils avaient contracté ou promis des emprunts, et si oui, par qui et pour combien d’argent.
Zeev Elkin – l’actuel ministre de la Protection de l’environnement et des Affaires de Jérusalem et représentant du Premier ministre à la mairie – a collecté 6 166 000 de shekels pour sa campagne électorale, selon les chiffres figurant sur le site internet du contrôleur d’État.
Sa liste comprend 16 garanties de prêt, les quatre plus importantes pour un million de shekels chacune – deux d’entre elles provenant de la même personne mais à des dates différentes – ainsi que des contributions de particuliers.
Fleur Hassan-Nahoum, numéro deux sur la liste d’Elkin, a déclaré au Times of Israel : « Toutes nos garanties de prêt figurent sur le site internet du Contrôleur d’Etat et nous n’avons contracté aucun prêt [en espèces], seulement des garanties de prêt. »

Moshe Lion, qui a reçu l’aval des plus grands rabbins ultra-orthodoxes, a déclaré 99 900 de shekels, le tout à partir de dons.
Le porte-parole de Lion a déclaré qu’il n’avait contracté aucun emprunt ni reçu d’avance gouvernementale et qu’il finançait en grande partie sa campagne lui-même.
Selon le site internet du parti Hitorerut (Eveil) et de son chef Ofer Berkovitch, 157 973 shekels ont été collectés jusqu’à maintenant, le tout à partir de dons allant jusqu’à 5 000 shekels chacun.
Berkovitch – un laïc de 35 ans dont la liste reflète un large éventail d’opinions politiques – admet avoir contracté un emprunt dont les conditions, selon les règles, doivent être déterminées par écrit. Mais il ne révélera pas l’identité des prêteurs.
Une déclaration du bureau de Berkovitch dit que lui et son parti « ont collecté tout l’argent sous forme de prêts et de dons conformément à la loi. Chaque shekel est signalé au contrôleur de l’État conformément à ses instructions. Le contrôleur de l’État a décidé ce qu’il fallait publier ou pas. »
La déclaration ajoute : « Le contrôleur de l’État considère un prêt comme un accord financier qui est remboursé avec intérêts après les élections. Nous agissons conformément aux instructions du contrôleur de l’État. C’est l’information qui a été fournie aux divers donateurs et prêteurs. »
Le refus de Berkovitch de révéler l’identité de ses prêteurs a été utilisé par le camp d’Elkin, responsable d’une campagne visant à présenter Hitorerut comme un outil de l’extrême-gauche.
Examen différé
En plus de cette brèche dans le système, l’avocat Altman-Raphael a déclaré qu’il était problématique que le contrôleur de l’État attende la période d’après les élections pour commencer son examen du financement, et par conséquent des mois pour rendre publiques ses conclusions.
« L’examen devrait être immédiat. Au lieu de cela, le contrôleur de l’État met beaucoup de temps à vérifier si les montants ont été déclarés à temps, s’ils dépassent les limites légales, si les contributions proviennent de sources autres que des particuliers, etc. »

« Au moment de la publication du rapport, le public est déjà beaucoup moins intéressé par le fait de savoir si un candidat a été condamné à une amende pour irrégularités. »
La liste de Berkovitch a été condamnée à une amende de 468 562 shekels par le contrôleur de l’État après les dernières élections locales de 2013, pour avoir “géré ses comptes en ne se conformant pas entièrement aux instructions du contrôleur” en omettant de déclarer toutes ses dépenses.
Hitorerut avait enregistré un excédent de 323 066 shekels alors qu’en réalité, le parti avait fini les élections avec un léger déficit de 8 537 shekels.
Le total des revenus du parti pour cette élection – qui n’a pas été contesté par le contrôleur de l’État – s’élève à 3,192 millions de shekels, dont 3,123 millions de shekels qui proviennent de fonds du Trésor et 64 388 shekels de dons.

Hitorerut s’en est bien sorti cette année-là – un grand nombre de partis ont reçu de mauvaises notes, y compris celui du principal rival de Berkovitch à cette époque, le maire sortant de Jérusalem, Nir Barkat, condamné à une amende de 406 087 shekels.
La méthode des ONG
Une autre façon pour les candidats de contourner théoriquement les règles de financement des élections est de passer par des ONG créées de manière à dissimuler leur objectif de collecter des fonds pour un homme politique donné.
En 2015, Yitzhak Rochberger – l’ancien maire de Ramat HaSharon au centre d’Israël – a été condamné à six mois de travaux collectifs, à une peine de six mois avec sursis et à une amende de 40 000 shekels pour fraude et abus de confiance.
Malgré cela, Rochberger a lancé une campagne pour sa réélection à la mairie.
Plus tôt ce mois-ci, le superviseur des élections dans cette région au ministère de l’Intérieur a décidé qu’il lui était interdit de se présenter car sa condamnation était entachée d’une dimension morale – une circonstance qui, en vertu de la loi électorale, l’empêche d’exercer ses fonctions pendant sept ans.

Rochberger a soumis une requête urgente à un tribunal de Tel Aviv pour obtenir l’annulation de la décision – une tentative qui a finalement échoué – et à être représenté par un avocat de premier plan, Renato Yarak, qui dirigeait auparavant le département des requêtes de la Haute Cour auprès du bureau du procureur.
Une enquête menée par la chaîne israélienne Hadashot a par la suite révélé que l’avis juridique de Yarak avait été commandé et payé par une ONG appelée « Association pour l’enquête sur les agents de la fonction publique ».
Cette association a été fondée en mars par un ami de Rochberger, tous ses membres étaient des résidents de Ramat Hasharon.
L’association n’a aucune activité sur Internet et les réseaux sociaux.
L’enquête a révélé que la seule chose qu’elle avait faite était de recueillir des dizaines de milliers de shekels pour financer l’avocat de Rochberger.
Après ce scandale, le MQG a demandé au contrôleur de l’Etat de vérifier si le paiement des frais de Yarak par l’ONG enfreignait les règles de financement de la campagne, qui interdisent à un candidat de recevoir des dons d’entreprises ou d’ONG.