Naftali Bennett, le joueur politique qui a écarté son ancien patron Netanyahu
L'homme audacieux qui devrait faire dimanche sa prestation de serment au poste de Premier ministre n'a jamais craint, jusqu'à présent, de prendre des risques - et de réussir
Naftali Bennett, 49 ans, est un modèle en termes de contrastes. Né dans une famille d’immigrants américains, il ne se considère pas comme appartenant lui-même à la communauté anglophone du pays ; ex-membre des commandos au sein de l’armée israélienne, partisan de l’annexion de la Cisjordanie, il vit à Raanana, une banlieue plutôt libérale ; millionnaire grâce à ses prouesses dans le secteur des technologies, il n’a que peu d’expertise dans les sciences informatiques.
Et son improbable ascension au pouvoir est, elle aussi, un exemple de circonstances, revirements et contradictions inattendus.
Bennett est né à Haïfa au mois de mars 1972. Il est le plus jeune d’une fratrie de trois enfants et ses parents, Jim et Myrna, des immigrants américains, avaient quitté San Francisco pour Israël, en 1967, dans le sillage de la Guerre des Six jours. A part deux courts séjours familiaux à San Francisco et à Montréal dans sa jeunesse, il a passé une bonne partie de son enfance dans la ville du nord. D’un caractère résolument ambitieux, il a fait un essai dans l’unité de commando la plus prestigieuse de l’armée israélienne, Sayeret Matkal. Il a réussi les tests de cette unité d’élite, il y a servi puis il a intégré l’unité de reconnaissance Maglan.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Il a passé six ans à plein-temps au sein de Tsahal, quittant l’armée en 1996. Trois années plus tard, à l’âge de 27 ans, il était installé à Manhattan et il y fondait sa première firme technologique, Cyota, revendue six ans plus tard au prix de 145 millions de dollars.
Une relation houleuse avec Netanyahu dès le début
Multimillionnaire autodidacte à l’âge de 33 ans, Bennett s’était tourné vers la politique suite à la guerre du Liban, en 2006. Réserviste de l’unité Maglan, cette année-là, il avait participé à des opérations derrière les lignes ennemies pour détruire les cellules et les lance-roquettes du Hezbollah. Comme il devait le raconter ultérieurement, la stratégie confuse adoptée par le Haut-commandement et l’indécision stratégique dont les politiques devaient faire preuve dans cette guerre – du point de vue d’un soldat qui se trouvait lui-même sur le terrain – devaient faire naître en lui le désir brûlant d’occuper un rôle de décisionnaire.
Comme Avigdor Liberman avant lui, il était entré dans l’arène politique à la fin de l’année 2006 à un poste d’assistant de Benjamin Netanyahu, qui était député à ce moment-là et chef de l’opposition pendant le gouvernement Olmert. Et comme Liberman, Bennett s’était occupé de la campagne de Netanyahu lors des primaires à la tête du Likud (Liberman en 1995, Bennett en 2007), il avait été haut-conseiller politique de Netanyahu puis, en 2008 – une fois encore comme Liberman – il s’était disputé avec Netanyahu et il s’était retrouvé au chômage.
Mais Bennett était rapidement retombé sur ses pieds. Deux ans plus tard, en 2010, lui et Netanyahu s’étaient retrouvés des deux côtés opposés d’une querelle politique. Au mois de janvier 2010, Bennett avait été nommé directeur-général de l’organisation-cadre des implantations de Cisjordanie au moment même où Netanyahu ordonnait un vaste gel des constructions au sein des implantations à la demande de l’administration Obama.
C’est alors qu’il était à la tête du Conseil de Yesha que Bennett avait également fondé le mouvement activiste My Israel avec Ayelet Shaked, qui avait travaillé avec lui au bureau de Netanyahu de 2006 à 2008.
Au mois de novembre 2012, Bennett et Shaked avaient utilisé la plateforme de leur organisation pour se présenter, lors des primaires, à la tête du parti national-religieux HaBayit HaYehudi, alors en difficulté. Bennett avait remporté la victoire avec plus des deux-tiers des votes et avait permis à la formation de droite elle-même de faire une démonstration de force stupéfiante en remportant pas moins de 12 sièges au cours des élections générales de 2013.
Un rythme fou
Et quand Bennett avait fait ses premiers pas sur la scène politique nationale à l’âge de 41 ans, au cours de l’année 2013, de nombreux observateurs avaient d’ores et déjà noté la vitesse frénétique, fulgurante, de son ascension : Une carrière militaire dans l’élite, mais courte – seulement six ans ; une carrière dans le hi-tech très réussie mais qui avait à peine duré sept ans. Sept ans, c’est aussi la période qui lui avait fallu pour passer d’un poste de conseiller de Netanyahu au rôle de vainqueur dans les urnes de la défense de la cause sioniste-religieuse – il a tout fait à plein régime mais rien, semble-t-il, pendant très longtemps.
Et son entrée à la Knesset, en 2013, avait coïncidé avec l’annonce de la vente, à un prix de cent millions de dollars, de Soluto, une firme qu’il avait dirigée pendant la brève période qui s’était écoulée entre la fin de ses fonctions aux côtés de Netanyahu et ses débuts à la tête du Conseil de Yesha.
Ce rythme fou n’a jamais ralenti.
La démonstration de force de Netanyahu en 2013 avait hanté Netanyahu – qui n’avait jamais oublié leur querelle et qui avait alors commencé à chercher des moyens d’entraver cette ascension populaire entamée sur les chapeaux de roues. Au cours des pourparlers de coalition, à la fin du mois de janvier, Netanyahu s’était tourné vers Shelly Yachimovich, qui dirigeait le parti Travailliste, pour éviter de devoir inviter Bennett dans sa coalition.
Bennett, à son tour, avait formé une union avec un autre néophyte – le présentateur populaire de talk-show Yair Lapid, qui avait fondé son parti Yesh Atid l’année auparavant et qui – il n’en avait pas été le dernier surpris – avait remporté 19 sièges dans les urnes. Ensemble, Bennett et Lapid avaient ainsi contrôlé 31 sièges, le même nombre que ceux glanés par la liste conjointe qui avait été établie entre le Likud et Yisrael Beytenu à l’époque – une liste dont Netanyahu était à la tête.
Netanyahu n’avait pas eu le choix. Bennett avait été nommé ministre de l’Économie et Lapid ministre des Finances. Les formations haredim du Shas et de Yahadout HaTorah avaient été laissées de côté en faveur de ces nouveaux réformateurs.
Cette première prouesse de Bennett avait été stupéfiante, que cela soit dans les bureaux de vote ou dans les négociations de coalition.
Déclin
Mais les choses ne devaient pas durer.
Netanyahu avait mis un terme rapide au gouvernement et lors des élections anticipées, en 2015, le parti HaBayit HaYehudi de Bennett devait passer de 12 sièges à seulement huit – un chiffre encore suffisamment important pour arracher à Netanyahu le poste de ministre de l’Éducation.
Dans les quatre années de ce gouvernement, et de manière de plus précise en 2018, Bennett s’était senti de plus en plus frustré au sein du parti HaBayit HaYehudi qu’il avait dirigé pendant deux élections. C’était un vieux parti – HaBayit HaYehudi était un nouveau nom donné au vieux parti nationaliste-religieux – construit sur de vieilles institutions et sur une base d’activistes vieillissants.
Mais cela avait été les chefs spirituels de HaBayit HaYehudi qui avaient le plus irrité l’ex-directeur-général hi-tech à l’esprit indépendant. Des personnalités religieuses comme le rabbin Haim Druckman avaient pris l’habitude de parler directement à Netanyahu, court-circuitant Bennett puis tentant d’exercer des pressions sur ce dernier à la demande de Netanyahu.
Au mois de novembre 2018, après une dernière querelle survenue entre Liberman et Netanyahu qui avait entraîné le départ de Liberman du poste de ministre de la Défense, Bennett avait ouvertement demandé à occuper cette fonction. Ce que Netanyahu avait refusé tout aussi ouvertement.
Bennett s’était alors considéré comme un concurrent de Netanyahu – et plus comme un vassal soumis aux décrets rabbiniques. Avec un Netanyahu qui tentait apparemment de le retenir et des rabbins, au sein de HaBayit HaYehudi, qui souhaitaient apparemment jouer ce jeu, Bennett s’était rebellé.
HaYamin Hahadash
Au mois de décembre, Bennett et Shaked avaient quitté le parti – le passage de Bennett au sein de HaBayit HaYehudi, comme à son habitude, n’avait duré que six ans – pour établir HaYamin HaHadash.
Le dernier d’une longue liste de paris sous forme de tout ou rien pour Bennett. Et – une fois n’est pas coutume – un pari perdu.
Au cours du scrutin du mois d’avril 2019 – premier de quatre scrutins consécutifs qui devaient avoir lieu en l’espace de deux ans – Bennett était resté à la porte de la Knesset, échouant de peu à franchir le seuil électoral de 3,25 %.
Netanyahu avait mené une campagne agressive contre HaYamin HaHadash et avait été satisfait de ce résultat. La présentation en indépendant de Bennett avait raté.
Cela n’avait été que le 30 mai, dans les dernières heures avant qu’il ne rende au président son mandat de formation d’un gouvernement, que Netanyahu avait réalisé que ses efforts visant à éliminer HaYamin HaHadash avaient eu aussi un effet boomerang qui l’avait frappé de plein fouet. Il manquait dorénavant de sept sièges pour rassembler une coalition. Netanyahu avait tenté d’écraser Bennett, découvrant trop tard qu’il avait, en réalité, besoin de lui.
Désespéré, Netanyahu avait orchestré les nouvelles élections de 2019. Il avait blâmé l’aventurisme politique de Bennett, disant qu’il avait été à l’origine de son incapacité à mettre en place un gouvernement et il avait été déterminé à l’écraser une bonne fois pour toutes dans les urnes.
Mais malgré ces efforts, au cours de ce scrutin, Bennett avait obtenu une seconde chance.
Une seconde chance
Désillusionné après son échec du mois d’avril, Bennett avait fusionné sa liste de HaYamin HaHadash à celles de HaBayit Hayehudi, de Rafi Peretz, et de l’Union nationale, de Betzalel Smotrich – et il avait même accepté que Shaked, et non lui, occupe la première place, même si l’alliance avait convenu que c’était lui qui occuperait la plus haute-fonction au cabinet de toute la liste. Résultat : Yamina avait gagné sept sièges au cours des élections du mois de septembre 2019 et cela avait été un Bennett affaibli, à la quatrième place sur la liste, qui était retourné sur les bancs du Parlement israélien.
C’est l’un des moments les plus étonnants de toute l’histoire de Bennett : Depuis sa réussite initiale avec douze sièges en 2013, les résultats obtenus par le politicien, dans les urnes, ont chuté de manière constante, passant à huit puis à sept. Et pourtant, l’influence politique de Bennett n’a fait que s’accroître. Il a appris et retenu les règles du jeu.
A peu près trois semaines après la course du mois de septembre, le 8 novembre, très exactement un an après le rejet de sa demande d’être nommé ministre de la Défense, Netanyahu avait soudainement accepté de lui confier ce portefeuille convoité.
Mais qu’est-ce qui avait donc changé ? Netanyahu avait obtenu un résultat médiocre lors des élections du mois de septembre et il avait commencé à craindre que Bennett ne change de camp en rejoignant Kakhol lavan, de Benny Gantz, pour l’écarter du pouvoir. Bennett devait jouer très exactement sur cette peur.
Mais cette course du mois de septembre avait aussi échoué à produire un gouvernement et l’alliance Yamina s’était encore présentée – cette fois avec Bennett à sa tête – aux élections du mois de mars 2020, glanant six sièges.
Opposition
Le passage de Bennett à la tête du ministère de la Défense avait été court. Le 17 mai 2020, après la conclusion du nouvel accord de coalition d’unité entre Netanyahu et Gantz et alors que Netanyahu n’avait plus eu besoin du leader de Yamina, Bennett avait rejoint l’opposition.
Cela avait été la toute première expérience de Bennett de la vie dans l’opposition. Un autre pari : Lui-même avait misé sur l’hypothèse que le gouvernement d’unité ne survivrait pas et qu’il serait mieux placé pour profiter de son effondrement depuis l’extérieur.
Et au moment du scrutin du mois de mars 2021, le pari le plus ambitieux de Bennett était prêt : Une campagne focalisée sur le défi ouvert de remplacer Netanyahu au pouvoir. Bennett était resté impassible quand Betzalel Smotrich avait sorti sa faction de l’Union nationale de l’alliance Yamina, au mois de janvier dernier, pour se présenter aux côtés du camp de Netanyahu.
Bennett s’était attendu à ce que Netanyahu tente, une fois encore, de l’écraser – et il n’avait donc pas été surpris quand le Premier ministre avait accordé son soutien et sa bénédiction politique à l’alliance naissante conclue derrière Smotrich.
La victoire arrachée
Après des sondages initiaux qui lui avaient accordé 20 sièges dans les semaines qui avaient précédé le scrutin de mars, les enquêtes d’opinion réalisées le jour J n’en avaient donné que moins de dix à Bennett. Une nation très en colère face à la gestion incompétente de Netanyahu des confinements entraînés par la pandémie avait finalement changé d’avis avec le coup d’envoi de la campagne de vaccination en Israël, une campagne unique au monde.
Bennett avait ouvertement fait campagne pour devenir Premier ministre – et il avait eu des raisons de penser que cette possibilité était à sa portée tant que les sondages l’avaient gratifié de 20 sièges. Il avait prédit que c’était lui qui détiendrait le pouvoir de déterminer de la réussite du camp pro-Netanyahu ou celle du camp anti-Netanyahu au Parlement israélien, au sein de cette nouvelle Knesset.
Mais que faire avec les sept sièges seulement remportés le jour des élections ? Un parti détenant uniquement sept sièges – un chiffre réduit à six, au mois de mai, avec le départ du député Amichai Chikli — était-il toujours en mesure de revendiquer le poste de Premier ministre ?
Mais Naftali Bennett, comme toujours, n’a pas cillé. Il s’est élancé.
Pour ses critiques, voir Bennett se hisser au poste de Premier ministre en étant à la tête d’un mouvement réunissant seulement six sièges, avec une formation qui échoue dorénavant à franchir le seuil électoral dans la majorité des enquêtes d’opinion réalisées, a quelque chose d’irritant.
Mais il est difficile d’imaginer un acte qui soit davantage Bennett-esque. Soldat aguerri, millionnaire politique autodidacte, activiste politique devenu leader, homme outrageusement confiant, rapide, batailleur, ambitieux et versatile – le nouveau leader israélien a l’audace de la prise de risque et c’est un joueur invétéré, avec une soif inhabituelle de gagne.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel